2 - La sédimentation du plateau d'Alep

Après l’ère paléozoïque, sur laquelle il y a peu de données, deux grandes phases de sédimentation se distinguent dans l’histoire géologique de la Syrie. Une première phase s'étend du Trias au Paléogène et se caractérise par des mouvements à dominante épirogénique 54 accompagnés d’une sédimentation marine ; une seconde, du Néogène au Pléistocène, est marquée par des mouvements ascendants accompagnés par endroits de cassures et d'intense volcanisme. À partir du Miocène moyen, la sédimentation est avant tout continentale.

La majeure partie de la région étudiée est façonnée dans des sédiments paléogènes, néogènes et crétacés. Ces derniers n’affleurent que dans le sud du Jabal Shbayth, tandis que les autres se répartissent sur l’ensemble de la région (se reporter à la figure 37).

Les sédiments paléogènes sont représentés par des dépôts éocènes. L’Éocène inférieur affleure au sud de la dépression du Jabbûl, dans le couloir de Monbatah, où il forme l’assise des Jabals al-Has et Shbayth. Il s’agit d’un calcaire au faciès crayeux avec des intercalations de calcaire silicifié.

La fin de cette époque géologique est marquée par une forte subsidence qui s'accompagne d'une transgression affectant probablement l'ensemble de la région. Elle atteint son maximum à l'Éocène moyen et supérieur, périodes marquées par une très puissante sédimentation. L’Éocène moyen occupe de larges espaces, sous la couverture basaltique (Jabals al-Has et Shbayth) et dans la partie sud-sud-est du lac. Il est représenté par des calcaires marno-crayeux peu résistants, avec des intercalations de calcaire silicifié aisément observables sur le flanc du Jabal Shbayth, dans le couloir de Monbatah. Il est important de noter que cette série contient des bancs de gypse. Ce détail n’a pas été remarqué par les géologues soviétiques (Ponikarov et al. 1966). Or il est d’importance car il pourrait expliquer l’abondance du gypse observée dans la région 55 . Dans la moitié nord de la région, l’Éocène moyen est associé à l’Éocène supérieur en un calcaire « crayeux » similaire à la série précédente.

Une période d’émersion affecte la région par la suite, puis une nouvelle subsidence voit la mise en place de l’Helvétien (Miocène moyen) qui n’affleure que dans la partie ouest du Jabal al-Has. Il s’agit de calcaires détritiques et de conglomérats accompagnés d’au moins deux intercalations basaltiques.

Ces premières émissions de lave seront suivies, au Miocène supérieur, d’une intense activité volcanique d’origine fissurale 56 . Il en résulte une couche de basalte dont l’épaisseur atteindrait en moyenne 10 m, voire 30 m dans certains secteurs des Jabals al-Has et Shbayth (Ponikarov et al. 1966). La morphologie du Jabal al-Has montre que la lave a envahi un relief déjà vallonné, qui s’est façonné au Tortonien, période de l’émersion définitive. C’est donc probablement à la fin de cette phase d’érosion (tortonienne) que les grands traits du relief se sont mis en place.

Au Pliocène, des dépressions du type de celle du lac Jabbûl s’établissent aux dépens des structures synclinales formées au Miocène supérieur. Des lacs apparaissent et, conjointement, la couverture basaltique commence à s’exhumer et à se disséquer. Les sédiments sont à dominante argileuse dans les dépressions et conglomératique en dehors. Dès la fin du Pliocène les bassins lacustres s’assèchent, probablement en parallèle à un exhaussement général. Il en résulte l’apparition de cuvettes fermées dont le Jabbûl est la plus vaste.

Au cours du Pléistocène, les dépressions sont comblées par des sédiments d’origine continentale, dans lesquels dominent le gypse (de néoformation) et un sédiment calcaire très fin de type loessoïde, en strates très minces. Des restes de cette formation se répartissent aujourd’hui autour de la Sebkha Rasm ar-Ruam (qu’ils dominent en falaises d’environ 5 m) et s’observent également sur la rive nord du lac Jabbûl, à l’ouest du village du même nom. D’après V.P. Ponikarov et al. (1966), il s’agit d’un dépôt datant du Pléistocène supérieur, observable également dans la vallée du Qoueik, à l’ouest de la région. Des formations éoliennes se constituent à l’est du Jabbûl, alimentées par la déflation qui affecte la dépression. Des dunes apparaissent en bordure immédiate du lac, tandis qu’une forte accumulation de limons et de sables 57 gypseux recouvre le bas plateau à l’est. En parallèle, les piémonts des jabals connaissent une sédimentation conglomératique. Les dépôts gypso-salins des cuvettes et les formations éoliennes témoignent d’une aridité fort ancienne dont la phase la plus marquée s’affirme dans la seconde moitié du Pléistocène.

D’après V. P. Ponikarov et al. (1966) l’est de la région est parcourue, au début du Pléistocène, par un bras de l’Euphrate 58 . Celui-ci aurait laissé, dans ce secteur, une terrasse formée d’alluvions caillouteuses composées de petits galets arrondis (de 1 cm à 15 cm, et plus fréquemment entre 1 cm et 3 cm) et de bancs de sable fin gris. Les cailloutis sont allogènes pour la plupart, composés de quartz, serpentines, gabbros, roches effusives ou basiques (gneiss, granite) et de calcaire. Nous avons effectivement observé ces dépôts dont on peut suivre la trace en sous-sol jusqu’au sud du couloir de Monbatah (où ils sont remaniés) (figure 7). La datation de la terrasse repose sur la découverte, à proximité de Deir ez-Zor, dans une terrasse du Pléistocène ancien de la vallée de l’Euphrate, d’outils du Paléolithique moyen 59 .

L’analyse de la répartition des types de roches et des formations superficielles dans la région montre une très forte domination des roches carbonatées. Il s’agit de calcaires marneux à intercalations de gypse (Éocène inférieur) surmontés par des calcaires massifs au faciès crayeux (Éocène moyen et supérieur) et par des conglomérats à ciment carbonaté (Pliocène). La seule roche non carbonatée présente dans la région est le basalte qui recouvre les plateaux du al-Has et du Shbayth. Le calcaire comme le basalte peuvent donner des sols au potentiel agricole élevé. Ce point sera analysé dans la partie consacrée aux sols.

Notes
54.

Pour les géologues il s’agit de mouvements cassants différentiels : soulèvement de blocs jouant les uns par rapport aux autres.

55.

La même observation a été faite par J. Besançon et B. Geyer au sud de la région (comm. orale).

56.

Cette origine est encore sujette à caution car les traces de ces fissures ne sont pas évidentes. Cependant, tant qu’une étude géologique détaillée ne sera pas menée, il sera impossible de déterminer l’origine exacte de ces épanchements. Nous en restons donc à la première analyse des géologues soviétiques.

57.

Le terme est utilisé ici dans son acception sédimentologique (fraction granulométrique d’un sédiment dont les particules sont comprises entre 2 mm et 20 m).

58.

Les auteurs mettent en relation ce dépôt avec la terrasse supérieure de l’Euphrate dans laquelle ils ont retrouvé des artefacts datant la formation du Pléistocène ancien. J. Besançon (1993) attribue ces alluvions au Pliocène final.

59.

Voir aussi Chapitre III, III, B, 1.