La région du lac Jabbûl (et plus généralement celle des zones arides) est marquée par l’irrégularité des précipitations (interannuelles comme intraannuelles). Ce contexte climatique, qui s’accentue en direction des secteurs les plus arides, produit des conditions de mise en valeur agricole que l’on peut qualifier d’aléatoires. Il explique le rôle fondamental joué par les micro-milieux (et donc les facteurs édaphiques) dans la mise en valeur agricole.
L’aridité édaphique s’envisage à la lumière d’un certain nombre de facteurs révélés par la lithologie, la géomorphologie, l’hydrologie, la végétation et la pédologie. Leur rôle est d’accentuer ou de limiter localement l’action du climat et de le répercuter sur le déficit hydrique. Dans la région du lac Jabbûl, la présence des plateaux basaltiques intervient dans l’établissement de conditions locales favorables à la mise en valeur agricole. Les réserves hydriques, localisées dans le calcaire « crayeux », sous la chape basaltique, ont longtemps constitué un des atouts principaux de la région. Aujourd’hui, fortement diminuées par les ponctions, leur rôle est moindre. Cependant, les écoulements d’inféroflux, dans les nombreuses vallées des plateaux, contribuent à atténuer l’aridité édaphique et à favoriser la mise en valeur agricole. C’est aussi le cas des écoulements d’inféroflux affectant les vallées aujourd’hui sèches au nord du lac.
À l’inverse, le lac Jabbûl, en grande partie asséché de la fin du printemps au début de l’automne, est un facteur local d’accroissement de la salinité des sols et de l’aridité de l’air. En raison de son assèchement, le lac est soumis à l’action des vents qui transportent les poussières salines (gypse et halite) pour les déposer sur les sols et sur les cultures. Ce phénomène contribue à diminuer le potentiel agronomique des sols tout en accentuant l’action desséchante du vent. Cette situation est valable pour l’ensemble de la région mais affecte surtout les cultures irriguées d’été. Cependant, la portée réelle de ce phénomène n’est pas connue.
À partir de ces exemples on peut comprendre la répartition parfois inattendue des espaces cultivés en céréales dans les marges arides. Pour illustrer cette observation, nous nous baserons sur l’étude menée par R. Jaubert et F. Debaine (1998) au sud de la région du lac Jabbûl. Ces auteurs ont cartographié les espaces cultivés en céréales à partir des images satellites de 1988, 1989 et 1990, dans des secteurs qui ont été ensuite interdits à la culture pluviale 71 . Partant de la subdivision bioclimatique définie plus haut, l’État syrien a divisé le territoire en 5 zones administratives agricoles, en affectant à chacune un plan d’occupation des sols. Seule la dernière zone (V), qui correspondrait à des précipitations inférieures à 200 mm en moyenne par an, est interdite à toute forme de culture, mais bénéficie exceptionnellement d’une irrigation planifiée dans certains secteurs (la ferme de Meskéné notamment, à l’est du lac Jabbûl). Cette zone correspond, d’après la classification de Le Houérou (1974, 1982), à la zone bioclimatique aride inférieure, considérée comme peu apte à recevoir les cultures pluviales 72 . Or, d’après l’étude de R. Jaubert et F. Debaine, les surfaces effectivement mises en cultures (en orge essentiellement, en raison de la plus grande résistance de cette plante et de sa courte période de maturation) ont très largement débordés sur cette zone (en 1988 et 1989). Ces résultats, s’ils traduisent sans doute la rigidité d’une administration centrale, qui affecte sans nuances un découpage climatique arbitraire à un espace hétérogène 73 , montrent également que les subdivisions de l’aridité climatique adoptées par H.-N. Le Houérou varient très clairement en fonctions des conditions locales.
Il faut cependant signaler que cette cartographie repose sur une classification d’images satellitaires obtenues au printemps d’années humides (surtout l’année 1987-1988 et dans une moindre mesure l’année 1988-1989). Dans ce contexte, on comprend mieux le succès des cultures pluviales dans le sud-est de la région à cette époque. L’année 1990 quant à elle, fut catastrophique car plus sèche que la moyenne ; les surfaces exploitées dans cette région à ce moment ne furent alors pas productives. Cette nuance est à noter (la classification fondée sur une image en année humide), mais l’observation reste pertinente : il existe bien une grande variété de micro-milieux qui ont pour origine les différents degrés de l’aridité édaphique. Le fait que l’image satellitaire de la région concerne une année humide ne fait que renforcer davantage cette variété et son observation. La variété des micro-milieux et de leurs potentiels de mise en valeur agricole constitue donc la caractéristique fondamentale de ces espaces de marges arides. En conséquence, ces derniers ne peuvent être considérés comme des ensembles homogènes qualifiés d’ « arides », avec tout ce que ce qualificatif induit dans le cadre d’une occupation humaine, sans autres nuances.
La culture pluviale au-dessous de l’isohyète des 200 mm (dans la zone V), a été autorisée par décret en 1987, puis interdite à nouveau en 1995. Au moment où les images satellitaires ont été enregistrées (1988-1989-1990), l’autorisation était toute récente. N’ayant pas pu obtenir des images de ces périodes (surtout les printemps de 1988 ou de 1989), nous n’avons pas pu réaliser cette étude nous même.
Et ce d’autant plus que la variabilité interannuelle des précipitations est grande. D’après C. Perrin de Brichambaut et C. C. Wallen (1964), plus l’irrégularité des précipitations est grande, plus le volume des précipitations doit être important pour assurer des cultures pluviales. Une variabilité interannuelle de 37 % correspond à un volume de précipitations de 240 mm. Or, dans la région, la station de Jabbûl, qui reçoit environ 250 mm de précipitation annuelle, connaît une variabilité de 39 %. On mesure donc la difficulté a priori de mettre en place une culture pluviale plus au sud et à l’est.
L’isohyète des 200 mm, au-delà de laquelle toute culture pluviale est interdite, est calquée sur les limites administratives des communes. Cette rigidité peut cependant s’expliquer par l’intensité de la variabilité des précipitations qui nécessiterait, si elle était réellement prise en compte, de déplacer les limites des secteurs agricoles chaque année. Sur la limite des 200 mm en Syrie, voir F. Debaine et R. Jaubert (1998).