F - La végétation et les cultures

1 - Une végétation naturelle dégradée

La végétation naturelle s’observe avant tout dans les secteurs est et sud-est de la région, épargnés par une mise en culture généralisée. C’est particulièrement le cas en bordure immédiate du lac, où la formation éolienne est encore colonisée par la végétation pérenne parfois dense (planche 6 photo A). Mais, le plus souvent, la densité de la végétation dans l’est de la région est assez faible en dehors des fonds d’oueds, où se développe une végétation d’annuelles (particulièrement dans le bassin versant du Wadi Abû al-Ghor, figure 13). En cas d’année humide, les annuelles colonisent l’ensemble du milieu (planche 6, photos B et C).

Au plan phytogéographique la région appartient au domaine irano-turanien (Zohary 1940, 1973) qui rassemble le plus grand nombre d’espèces (43 %) de ce que M. Zohary appelle le « désert syrien », c’est-à-dire la zone qui s’étend de l’est des chaînons côtiers jusqu’à l’Euphrate et du sud d’Alep jusqu’au nord de l’Arabie Saoudite.

La végétation naturelle peut se diviser en plusieurs groupements végétaux correspondant aux diverses unités morphopédologiques représentées dans la région. W. Deiri (1990) distingue deux grands types de formations végétales dans la région du la Jabbûl : la formation herbacée des plaines et la formation complexe herbacée-ligneuse basse et ligneuse haute de la montagne (plateau du al-Has et du Shbayth). L’ensemble est appelé généralement steppe, ou pseudo-steppe 91 .

Les plaines sont divisées en plaines limono-sableuses (en dehors des dépressions drainées et des fonds d’oueds) et les plaines argilo-limoneuses (les dépressions drainées, les fonds d’oueds humides). Les premières sont majoritairement représentées dans la région et particulièrement dans l’est et le sud-est. Le groupement caractéristique est une association de Salsola azaurena et Artemisia herba-alba 92 . On trouve également Achillea conferta, Prosposis stephaniana, Stipa barbata (cette dernière signalant un milieu naturel sableux). Dans ce type de plaine, et notamment à l’est et au sud-est du lac Jabboul, les herbacées annuelles dominent largement (citons notamment Hordeum glaucum, Plantago ovata, Bromus tectorum, Malva aegyptia…). Elle sont suivies par les herbacées pérennes, Poa bulbosa et, plus rarement Carex stenophylla, des plantes fragiles qui témoignent, par leur présence, d’un espace peu dégradé, ainsi que Eremopyrum confusum, plante grasse pérenne des milieux très secs. Enfin, les ligneux bas sont représentés essentiellement (en dehors des secteurs mis en défens) par Artemisia herba-alba, plante vivace très pâturée, bien représentée en raison de sa résistance à l’aridité 93 et Haloxylon articulata, plante vivace en buisson, au réseau racinaire étalé sur sols caillouteux.

En bordure du lac Jabboul on trouve une série d'associations halophites telles Atriplicetum halimi, Salsoletum tertrandrae, Tamaricetum tertagynae, caractéristiques de la végétation des sebkhas ; sur gypse on observe des espèces telles que Erodium glaucophillum, Celsia lanceolata ou Satureia pallaryi.

Dans les fonds d’oueds humides, le groupement végétal typique est Haloxylon articulata et Hordeum glaucum. Lorsque la pression sur le sol est continue (surpâturages…), le faciès évolue et Peganum harmala (caractéristique des milieux naturels dégradés et des sols caillouteux) remplace Hordeum glaucum. Dans ces zones, les herbacées annuelles dominent fortement avec un taux de recouvrement moyen de 60 % (Deiri op. cit.). Il s’agit de Hordeum glaucum, Bromus tectorum, Schismus arabicus, Koeleria phleoides, Heliantherum salicifolium et Malva aegyptia. Les herbacées pérennes viennent ensuite : Carex stenophylla, Poa bulbosa et Peganum harmala dans certains secteurs. Quant aux ligneuses basses elles sont rares, sauf dans les secteurs mis en défens. On peut cependant trouver Anabasetum articulatae qui remplace souvent l'Artemisia dans les dépressions et les zones humides, ou Salsola spinosa, petit arbuste pâturé.

Dans le secteur des plateaux, sur les versants et au sommet existe une végétation naturelle dont le faciès est relatif à l’abondant cultural ou aux friches (Deiri op. cit.). Sur le sommet, on trouve un témoin d’une végétation arborescente relique : W. Deiri signale un pistachier. D’après lui, le Pistacia atlantica était la formation arborescente typique de notre région. Ce dernier n’y existe plus à l’état naturel aujourd’hui et les plantations que nous avons observées se localisent très au nord de la région, en particulier dans le secteur de Za‛râyâ (figure 2, planche 7, photo A). Les restes de végétation arborée naturelle s’observent sur les pentes nord-est du Jabal al-Has. Il s’agit d’arbustes épineux, peut-être Prunus microcarpus ( ?) ou bien quelques petits genévriers, dispersés ponctuellement dans des secteurs difficiles d’accès. On trouve également assez régulièrement des figuiers à proximité des points d’eau actuels ou anciens (figuiers près des sources aménagées ou dans les citernes anciennes). Le groupement végétal est donc un sous groupement dérivé de Pistacia atlantica, à Crataegus azarolus (en raison de la présence du basalte). Les ligneux hauts ont un taux de recouvrement de 5 % à 10 %. Il s’agit de Prunus microcarpus et de Rhammus palestinus). Les ligneux bas sont représentés par Thymus syriacus et Centaurea dumulosa. Les herbacées sont, ici aussi, majoritairement représentées (60 % à 70 % de recouvrement). Les herbacées pérennes sont essentiellement Poa bulbosa, Asphodulus microcarpus et Carex stenophylla ; les herbacées annuelles, largement dominantes sont représentées par Lagoecia cuminoides, Lolium rigidum, Psilurus incurva et Avena Barbata.

Sur les versants les éléments arborés sont inexistants. Les ligneux représentent 15 % à 20 % du recouvrement. Il s’agit de Thymus syriacus, Noea Mucronata, Centaurea dumulosa, Prosopis stephaniana. Les herbacées sont encore une fois dominantes, surtout les annuelles : Matthiola longipetala, Chritopsis delileana, Micropus logipetalus, Plantago ofra… On note également une prolifération des espèces épineuses : Ovopordon heterocanthum, Centaurea dumulosa, Eryngium desertarum, Astragalus spinosus et Prospis stephaniana ; des espèces non palatables se répandent également : Euphorbia macroclada et Peganum harmala.

En 1940 M. Zohary décrivait un couvert végétal beaucoup plus dense qu’aujourd’hui. L’auteur vantait l’abondance et la variété des espèces du « désert syrien ». Il expliquait cette abondance par la présence, à l’ouest, d’une flore méditerranéenne très riche et par la variété des conditions orographiques, géologiques et climatiques qui offraient une grande diversité d’habitats. Aujourd’hui la densité de la végétation naturelle a baissé. Dans le nord et l’ouest de la région, cela s’explique par la mise en culture de la plupart des surfaces disponibles. Dans l’est et le sud-est du lac, cette faible densité du couvert végétal s’explique pour partie par la minceur et la faible cohésion des sols (gypseux), pour partie par les excès de la culture pluviale et pour partie enfin, par le surpâturage. Ainsi, en 1990 déjà, W. Deiri remarquait que les groupements végétaux en présence dans la région reflétaient les divers états d’une évolution régressive et d’une forte dégradation. Il fondait son constat, entre autre, sur le développement de Peganum harmala et de Erodium glaucophillum, dans les secteurs de plaine, des plantes toxiques traduisant un état de dégradation généralisé (dû notamment au surpâturage à l’extension des cultures pluviales et à l’abandon des cultures). De même que sur l’extension de Poa bulbosa et de Carex stenophylla sur différents domaines, témoignant du surpâturage et du tassement du sol. De l’autre côté, il notait la raréfaction voire la disparition de Salsola vermiculata (très broutée), entraînant une extension d’espèces épineuses telles que Noea mucronata ou Gundellia turnefortis.

Notes
91.

L’utilisation du terme steppe est contesté dans les régions arides parce que la steppe s.s. est adaptée à un climat continental saisonnièrement froid et sec. Dans ce cas, elle présente deux périodes critiques de repos : l’été, du fait de la sécheresse et l’hiver en raison du froid. Les termes de pseudo-steppe ou de semi-désert sont proposés, correspondant aux climats tropicaux arides ou semi-arides (George et Verger 1996, Dresch 1982).

92.

D’après W. Deiri (1990), ainsi que Jaubert et al. (1999), Guillet (1998) et Zohary (1940, 1973).

93.

« Les steppes à Artemisia herba alba se rencontrent de la courbe isohyète annuelle de 100 mm jusqu'à celle de 400 mm » (Le Houérou 1995).