2 - Les cultures dans la région du lac Jabbûl

La région du lac Jabbûl est comprise dans les zones agricoles 3, 4 et 5 sur les 5 zones administratives définies par l’État. Celles-ci sont déterminées, pour l’essentiel, à partir de la pluviométrie annuelle moyenne (voir le tableau ci-dessous et la figure 14).

Tableau 2 - Les zones agro-climatiques syriennes
zones agricoles pluviométrie annuelle moyenne
1a supérieure à 600 mm
1b de 350 à 600 mm avec des précipitations supérieures à 300 mm 2 années sur 3
2 de 250 à 350 mm avec des précipitations supérieures à 250 mm 2 années sur 3
3 de 250 à 350 mm avec des précipitations supérieures à 300 mm 1 années sur 3
4 de 200 à 250 mm
5 inférieure à 200 mm
Sources : R. Jaubert et al. 1999.

La limite entre les zones 4 et 5 a été établie d’une manière relativement floue (c’est le cas également des autres mais c’est avant tout cette frontière qui nous intéresse ici). Elle a été définie dans les années 1940 à partir de la ligne dite du « désert » et de la limite de la zone cadastrée par l’administration du Mandat français. Elle est sensée représenter l’isohyète des 200 mm de précipitations annuelles moyennes. Cette limite est donc fondée davantage sur des considérations politiques et administratives que climatiques. Ainsi, des villages fondés avant 1940 dans des secteurs où la pluviosité moyenne était supposée inférieure à 200 mm ont été intégrés dans la zone 4. C’est le cas, par exemple, de Khanasir (Jaubert et al. 1999). À l’est du lac Jabbûl, la limite a été calquée sur celle du lac, tandis que dans la partie nord-est elle est extrapolée en raison de l’absence de données. Dans la zone 5, l’État a interdit la culture pluviale par décret depuis 1995. Le secteur est réservé aux pâturages, mais des réserves pastorales ont été établies depuis la fin des années 1950 afin de constituer des réserves d’arbustes fourrager pour les périodes de disette et de sécheresse et d’étudier les possibilités de réhabilitation et d’amélioration des parcours. À la fin des années 1990 il y avait 70000 ha mis en défends dans les provinces de Alep et de Hama (Jaubert et al. 1999).

L’orge représente 80 % de la surface réservée aux cultures pluviales dans les zones 3 et 4 (planche 4, photo A ; orge moissonné en zone 4), tandis que les 20 % restants sont occupés par le blé et les légumineuses 94 telles que les lentilles et les pois chiches. La culture pluviale est pratiquée en champs ouverts, en lanières à partir du bas de versant dans le secteur des jabals (planche 4, photo C). Dans le nord-est de la région, les limites de parcelles ne sont pas marquées et les champs d’orge s’étendent à perte de vue (planche 4, photo A). La pratique de la jachère existe également bien qu’elle ait beaucoup diminué ces dernières années : la jachère couvre en général moins de 30 % de la surface cultivable. La densité du couvert végétal, mise en évidence par la classification de l’image satellitaire à notre disposition est très hétérogène(figure 13) 95 . La plus forte densité s’observe dans le nord-ouest de la région, sur le piémont nord-est et sud-ouest du Jabal al-Has (caractérisée par des cultures de blé, de légumineuses et d’orge). Certains secteurs du nord du lac possèdent également une végétation dense en raison de l’irrigation. Le couloir de Monbatah et le piémont du Jabal Shbayth (cultures d’orges essentiellement) sont moins denses. La classification a été réalisée sur une image de la fin de l’hiver et après plusieurs années sèches. Elle se fonde sur la réponse spectrale des plantes qui dépend avant tout de leur développement et de la surface de leurs feuilles. Un feuillage rare se traduit donc sur l’image par une faible densité de végétation (cet aspect sera analysé plus en détail ultérieurement, dans la troisième partie de ce travail). Cette image ne nous donne donc pas une idée totalement exacte de ce que peut être la densité du couvert végétal au moment où la végétation est en pleine maturité et en période de précipitations moyennes. Dans les secteurs irrigués, la densité de la végétation est encore faible car certaines des cultures y sont pratiquées l’été (maïs et coton) tandis que d’autres sont en cours de développement et que les arbres n’ont plus de feuilles. Un traitement d’image similaire a été réalisé par R. Jaubert et al. (ibid.) sur une image d’avril 1988, année humide. La densité est alors plus aisément observable et surtout on se rend compte qu’elle peut-être importante dans les secteurs sud, en particulier dans le couloir de Monbatah et sur le piémont du Jabal Shbayth.

L’arboriculture existe surtout au nord du lac Jabbûl, sur le glacis d’Al-Bâb, dans le secteur du Jabal al-Has au sommet du plateau et, dans une moindre mesure, sur ses versants (en particulier à la hauteur du glacis de Sfirat et dans la vallée de Tât) ainsi que dans le couloir de Monbatah (planche 7). Dans ces derniers cas, il s’agit de cultures récentes d’oliviers (à 60 %), ainsi que de pistachiers et d’amandiers, pratiquées après que la croûte calcaire a été défoncée ou perforée (planche 7, photo C). Ces croûtes calcaires, qui supportent souvent un sol mince de mauvaise qualité agronomique, peuvent constituer des atouts pour l’arboriculture. Une fois la croûte d’une épaisseur de 20 cm à 50 cm perforée, l’arbre bénéficie d’un matériel limoneux et calcaire dont la qualité agronomique est rehaussée par le fait que la croûte sus-jacente freine l’évaporation. L’extension de cette arboriculture est aujourd’hui importante dans les zones 3 et 4 ; dans la zone 3 elle est favorisée par le programme de « ceinture verte » lancé à la fin des années 1970 (programme de développement agricole de l’État syrien, fondé sur la fourniture d’une aide technique et financière aux agriculteurs ; R. Jaubert et al. ibid.). La présence de plantations d’oliviers dans le couloir de Monbatah en est un exemple (planche 7, photo B).

Dans la région, l’irrigation se fait à partir des eaux de surface répandues sur les champs divisés en secteurs (planche 1, photos A et B). Elle concerne essentiellement le secteur de Meskéné, à l’est de la région et le nord du lac Jabbûl (figure 11). Les plantes cultivées sont avant tout le blé, les légumes, le coton et le maïs. Le périmètre de Meskéné connaît une plus grande variété de plantes cultivées. Il couvre 28000 ha dont 21000 ha sont irrigables et 18000 étaient irrigués en 1998 (ibid.). La production arboricole domine, avec 8000 ha plantés de peupliers, et 130 ha d’arbres fruitiers divers. Vient ensuite le blé (4000 ha), le maïs (1000 à 1500 ha), le coton (1000 ha), la luzerne (800 ha) et l’orge (200 ha). On comptait également environ 7000 têtes d’ovins et 500 têtes de bovins en 1998.

En dehors de ces deux zones, d’autres secteurs, plus restreints, bénéficient de cultures irriguées par apport d’eau de l’Euphrate : sur le glacis de Sfirat, au sud de ce dernier, jusqu’à Haklâ et le long du Wadi Abû al-Ghor (figure 11). Sur le glacis de Sfirat cette irrigation concerne avant tout le blé et les cultures vivrières (en particulier les concombres) (planche 1, photos B). Dans les autres secteurs, le blé d’hiver et le coton d’été dominent.

L’irrigation par les eaux souterraines est beaucoup plus rare dans la région. Elle est pratiquée essentiellement à partir de forages profonds (500 m), depuis l’abaissement des nappes phréatiques et leur salinisation (NaCl) dans le pourtour du lac Jabbûl. Ces puits profonds se répartissent dans le couloir de Monbatah, au sud de Khanasir, et à l’amont du glacis de Sfirat (figure 11). Ici c’est aussi le blé en hiver et le coton en été qui sont dominants.

Notes
94.

Légume dont le fruit est une gousse. Famille de plante appelée aujourd’hui fabacées.

95.

L’aspect technique du traitement d’images numériques sera abordé dans la troisième partie de ce travail. L’image traitée est une image de 1993.