Conclusion : le poids du déterminant climatique

Au point de vue naturel, l’évolution du milieu est commandée avant tout, dans la région, par les caractères statiques et dynamiques du climat. Les autres composantes, en particulier la lithologie et les sols en dépendent fortement. L’aridité et la « méditerranéité », avec la dimension fondamentale d’irrégularité des précipitations qui en découle, constituent les caractères statiques du climat. Les modifications du volume des précipitations et leur impact sur l’irrégularité des précipitations constituent un des caractères dynamiques les plus influent du climat dans les régions arides.

Le rôle de la composante statique du climat est de définir les conditions, dont le caractère est quasi-permanent à l’échelle de l’Holocène, de l’évolution du milieu. Dans la région du lac Jabbûl ces conditions se caractérisent par : la dégradation du climat vers l’aride d’ouest en est et du nord vers le sud ; la prédominance des substrats calcaire, basaltique et gypseux ; la grande rareté des cours d’eau pérennes ; la présence d’une nappe salée au centre de la région ; un modelé marqué par deux plateaux et des aplanissements ; une évolution lente et limitée du modelé et des sols ; l’importance des croûtes calcaires et gypseuses ; la permanence d’une végétation naturelle ouverte et basse (rareté de l’arbre).

Dans ce contexte, les composantes dynamiques du climat contribuent à initier une certaine évolution du milieu dont les conséquences peuvent avoir un caractère permanent. Leur rôle fondamental, au point de vue naturel, est de favoriser ou de ralentir certains processus. Elles agissent notamment sur le volume des précipitations et leur répartition dans l’espace et dans le temps ; la constitution des réserves d’eau souterraines (sources, nappes) ; la dynamique fluviale et le ruissellement ; la morphogenèse (érosion mécanique, altération) ; la densité et le type de végétation ; la pédogenèse (notamment la production d’humus) ; l’érosion éolienne.

Le milieu ainsi caractérisé est marqué par des aspects contraignants pour la mise en valeur agricole (composantes statiques), mais on devine aussi que de grandes variations existent au sein des tendances globales. Ces variations se traduisent par la présence de micro-milieux qui peuvent s’avérer adaptés à la mise en valeur agricole. Cette variabilité du milieu semble être, paradoxalement, un autre caractère statique de ce type de région. L’intervention de la composante dynamique du climat, lorsqu’elle se traduit par une plus grande pluviosité, permet d’accentuer l’intensité de ces variations. Dans le cas où la pluviosité baisse et la chaleur augmente, les composantes statiques (l’aridité notamment) deviennent alors plus contraignantes encore pour l’Homme. L’action de la composante dynamique a, par conséquent, une réelle influence sur les modes de mise en valeur agricole (pastoralisme, culture pluviale) et l’organisation de l’occupation (occupation de certains secteurs, migrations). Mais l’Homme est aussi une composante dynamique et il a les moyens de modifier lui-même le milieu pour le rendre exploitable, tandis que ses capacités de résilience et d’adaptation (développement de l’irrigation par exemple, voir paragraphe suivant), en cas d’action des composantes dynamiques naturelles, peuvent évoluer.

Le rôle de plus en plus important de l’Homme en tant que composante dynamique, dans l’évolution du milieu à l’échelle planétaire, s’accroît aujourd’hui particulièrement dans les zones de marges arides. Ces zones connaissent en effet un fort peuplement en raison des potentiels agricoles dont elles bénéficient et ce, d’autant plus lorsque l’irrigation y est possible. C’est ainsi que le poids du facteur statique du climat peut être temporairement atténué. Dans la région du lac Jabbûl, la construction du barrage de Tabqa (1973) et les grands travaux d’irrigation qui ont suivi, à l’est et au nord du lac, témoignent de cette capacité des sociétés à agir sur l’évolution du milieu. Nous verrons dans la seconde partie que des systèmes de mise en valeur des sols par l’irrigation ont existé au nord du lac à l’époque romano-byzantine. Mais ces techniques étaient sans commune mesure avec l’irrigation généralisée qui se met en place dans le nord du lac depuis trente ans. Cette situation a une première conséquence sur l’occupation humaine : elle permet à une population beaucoup plus nombreuse de vivre dans la région en développant une culture intensive. La seconde conséquence en résulte : des transformations forcées de certaines composantes du milieu. C’est le cas du réseau hydrographique, en l’occurrence la disparition du Nahr ad-Dahab, transformé en canal et tronçonné en plusieurs portions. C’est aussi très probablement celui du sol, qui bénéficie d’un apport plus important d’eau pouvant favoriser la pédogenèse (mais aucune donnée n’existe à ce jour) ; le sol peut subir également une dégradation de ses potentiels agronomiques et particulièrement dans ce secteur aride, où une irrigation mal drainée entraîne la salinisation presque irréversible des sols, à l’échelle d’une génération (planche 1, photo C). Avant la construction du barrage, les conséquences de l’action du facteur humain en tant que composante dynamique furent également très importantes sur les autres composantes naturelles du milieu. L’utilisation intensive des motopompes a entraîné la baisse des nappes phréatiques à la périphérie du lac Jabbûl et contribua à leur salinisation partielle par l’intermédiaire des écoulements provenant de la nappe salée du lac.