I - Les données du Pléistocène

Introduction : la chronologie du Pléistocène

La réflexion sur l’évolution du modelé au Pléistocène prend ses racines dans les travaux de A. Penck et E. Brückner et en particulier dans leur ouvrage commun Die Alpen im Eiszeitalter 100 (1909). L’observation de terrasses fluviatiles emboîtées ou étagées a amené ces auteurs à proposer un certain nombre d’hypothèses sur leur genèse, en particulier celle d’une origine climatique, aujourd’hui adoptée. Sans rentrer dans les détails de cette théorie, rappelons-en les principaux éléments. Pendant les périodes glaciaires, l’apport massif de sédiments dans le fond des vallées, du fait de la faible couverture végétale et de la cryoclastie, alimente les rivières qui, progressivement, perdent de leur capacité de transport et ont tendance à déposer le matériel. Lors de la période suivante, que l’on appelle interglaciaire et qui se caractérise par un réchauffement climatique, la plaine de remblaiement périglaciaire se couvre d’une forêt. Progressivement la rivière perd sa charge solide et s’encaisse, tandis que des sols se forment : la terrasse apparaît.

Là où les auteurs allemands avaient vu des phases glaciaires et interglaciaires longues, les travaux de Milankovitch et sa théorie astronomique des climats, puis les progrès de la géologie du Quaternaire et l’apparition de la chronologie isotopique 101 dans le milieu du XXe siècle, ont mis en évidence un grand nombre de cycles glaciaire/interglaciaire (un tous les 100000 ans). Mais le principe reste le même et montre que l’évolution du relief au Pléistocène est dû principalement aux fluctuations du climat et, en particulier, à la succession des phases glaciaires et des phases interglaciaires.

Depuis lors ce modèle est une référence et sert de repère à qui veut reconstituer les étapes de l’évolution d’une région au Pléistocène. Ainsi, dans les régions aujourd’hui arides et semi-arides, les phases glaciaires et interglaciaires ont été qualifiées, dans un premier temps, de pluviaux et d’interpluviaux. Au Maroc, par exemple, la première tentative d’établissement d’une chronologie du Pléistocène, réalisée dans les années 1950 par G. Choubert et al., corrélait des phases dites « pluviales » (plus humides), de sédimentation, aux périodes glaciaires traditionnelles, et des phases dites « interpluviales » (plus sèches), de creusement, aux interglaciaires. Cette première théorie a ensuite été remise en cause, des recherches ayant montré que les variations climatiques responsables de l’allure des formes pléistocènes s’exerçaient dans des cadres morphologiques différents et que l’on ne pouvait donc pas corréler telle forme et tel climat (Beaudet et al., 1967).

À la suite des travaux de G. Beaudet et al. (op. cit.), G. Beaudet (1971), et de J. Martin (1981), J.-P. Texier et al. (1985) ont proposé une nouvelle chronologie fondée sur la théorie de la bio-rhexistasie. Les auteurs constatent une corrélation entre les interpluviaux (ou arides) et les périodes glaciaires et entre les pluviaux (ou interarides) et les périodes interglaciaires. La différence fondamentale réside dans le type de climat supposé régner au moment des pluviaux et interpluviaux. Durant les périodes glaciaires, le Maroc aurait connu un climat sec, une végétation clairsemée sur les versants et un dépôt corrélatif en fond de vallée ; durant les périodes interglaciaires le climat aurait été plus humide, permettant à une végétation de s’établir sur les pentes et aux cours d’eau de creuser.

Cet exemple illustre la difficulté, pour un modèle, de prétendre à l’universalité. Cependant, s’il peut être remis en cause sur certains points, sa validité conceptuelle n’est pas critiquée, en particulier parce que le rythme des phases morphoclimatiques du Pléistocène est un fait avéré dans de nombreuses régions du monde. Nous verrons que la chronologie du Pléistocène en Syrie et les théories relatives aux cycles morpho-climatiques sont spécifiques à cette région, tout en étant fondés sur le modèle présenté plus haut.

Notes
100.

Les Alpes à l’âge glaciaire.

101.

Les recherches océanographiques ont permis d’élaborer une chronologie fondée sur le rapport entre deux isotopes de l’oxygène appelée chronologie isotopique. L’eau de mer, constituée essentiellement d’oxygène de masse atomique 16, contient également une petite quantité (0,2 %) d’oxygène 18, plus lourd. L’eau qui s’évapore au-dessus de l’océan à un rapport 18O/16O plus faible que celui de l’eau de mer parce que l’oxygène 18, plus lourd, s’évapore plus difficilement. Lors des périodes glaciaires, la glace qui se forme sur les continents est pauvre en 18O, tandis que l’eau de mer s’enrichit en 18O. Il en est de même pour les micro-organismes qui vivent dans ces eaux (diatomées, foraminifères notamment). Les fluctuations du rapport 18O/16O observées dans les carottes marines reflètent donc les oscillations des calottes glaciaires. Grâce aux progrès concomitants des techniques de datation (14C, Uranium/Thorium), des datations absolues ont pu être associées à ces courbes dessinant les oscillations 18O/16O. La première constatation est la présence de cycles réguliers de glaciation/déglaciation tous les 100000 ans. Au sein de ces cycles les courbes montrent un grand nombre de stades intermédiaires (réchauffement/refroidissement), démontrant une grande instabilité climatique au Pléistocène. Par convention, on a attribué des nombres pairs aux phases glaciaires et des nombres impairs aux phases interglaciaires (d’après P. Sanlaville 2000).