A - La chronologie du Pléistocène en Syrie

Il n’existe pas de chronologie complète du Pléistocène en Syrie parce que l’on n’a pas retrouvé de marqueurs sûrs témoignant d’une alternance glaciaire/interglaciaire sur toute la durée du Pléistocène. Seuls subsistent des éléments pour une chronologie partielle de cette période, en particulier pour le Pléistocène moyen et supérieur (entre 800 ka 102 et 10 ka BP).

Les paléorivages de Syrie et du Liban sont de bons marqueurs des changements climatiques du Pléistocène. Ils témoignent des variations du niveau de la mer en relation avec les cycles glaciaire/interglaciaire : le rivage se façonne au moment de l’interglaciaire qui correspond aux maximums transgressifs. Des restes de ces paléorivages peuvent être datés de la seconde moitié du Pléistocène moyen, avec une plage perchée (à 60 m du rivage actuel) contenant des artefacts du Paléolithique inférieur (Jbaïlien I, 400 ka BP). La dernière transgression majeure qui correspond à l’interglaciaire précédant l’actuel a laissé un rivage à 6-8 m du niveau actuel (Tyrrhénien) (Sanlaville 2000).

Les marqueurs continentaux sont nombreux mais rarement datés, en particulier pour les dépôts anciens, faute de matériel propice ou de méthodes adéquates. Les corrélations avec la chronologie isotopique se révèlent donc difficiles. Cependant, les terrasses fluviatiles emboîtées ou étagées s’observent dans les principales vallées des cours d’eau importants de Syrie (ou dont une section traverse ce pays). Ainsi, l’Oronte, l’Euphrate, mais également l’Afrine, le Nahr el-Kébir ou encore le Khabour ou le Litani montrent le plus souvent une série de quatre ou cinq niveaux de terrasses.

Pour l’Euphrate on note au moins cinq terrasses (de QI à QV). Les deux plus anciennes remontent au Pléistocène ancien et moyen et sont aujourd’hui peu marquées. Les trois terrasses les plus récentes sont plus importantes (surtout QII) et se rapportent au Pléistocène moyen et récent. Les assemblages lithiques présents dans ces formations permettent une datation relative (Besançon 1994, Geyer et Besançon 1997).

Dans la vallée du Nahr el-Kébir septentrional (Nord-ouest de la Syrie), on trouve un ensemble assez complet de terrasses fluviatiles et de paléorivages intercalés. Quatre paléorivages s’étagent jusqu’à plus de 200 m d’altitude et quatre terrasses fluviatiles s’intercalent ou ravinent les paléorivages (Sanlaville éd. 1979). Ces niveaux marins et lacustres ont été assimilés, dans un premier temps (1979), aux glaciaires et aux interglaciaires de la chronologie traditionnelle, utilisée comme cadre théorique. Si, là aussi, aucune datation absolue n’a pu être réalisée, une chronologie relative, fondée sur l’étagement des terrasses, les matériaux et l’outillage lithique a été établie. Deux terrasses récentes (QIb et QIa), ont été assimilées au dernier cycle glaciaire (le Würm de la chronologie européenne). Une de ces terrasses, QIb (ou Ech Chir 2), se termine par un cône alluvial qui fossilise la plateforme marine tyrrhénienne datée par ses Strombes (gastéropodes de mers plus chaudes que l’actuelle) à 130 ka BP (Besançon 1994). Cette terrasse, qui contient une industrie moustérienne, est attribuable au début du dernier glaciaire (60-70 ka BP). La terrasse QIa (Ech Chir 1) est superposée à la précédente et contient également de l’industrie moustérienne. D’après P. Sanlaville (2000), sachant que des datations effectuées sur d’autres sites font remonter cette industrie beaucoup plus loin dans le passé, cette terrasse daterait plus probablement du stade 6 au moins, dernier épisode glaciaire avant l’interglaciaire würmien.

La terrasse précédente (QII) est l’épaisse formation de Jinndiriyé, correspondant à la terrasse d’Abû Jemaa sur l’Euphrate. Elle contient une abondante industrie datant de l’Acheuléen récent. Celle-ci, tout comme le Moustérien, doit être vieillie. Ainsi la terrasse, plutôt que de dater de l’avant-dernier cycle glaciaire (équivalent sans précision au Riss), remonterait à l’antépénultième stade (stade 8) et peut-être même, plus vraisemblablement, aux stades 10 et 12 (figure 15). La terrasse la plus ancienne (QIII) de la vallée du Nahr el-Kébir est assez peu développée. Par contre, sur l’Oronte, cette terrasse (Latamné) est puissante et renferme de l’industrie de l’Acheuléen moyen. Elle serait à rattacher au stade isotopique 16, le stade 14 ayant été peu marqué (Ibid.).

Ces différents éléments chronologiques sont résumés dans la figure 15. L’abandon des repères classiques fondés sur un découpage chronologique simple de quelques phases glaciaires et interglaciaires rend la chronologie relativement complexe. L’absence de marqueurs géomorphologiques se référant à l’ensemble de la période du Pléistocène la rend incomplète. Cependant, les alternances pluviaux/interpluviaux sont marquées et témoignent du mode de façonnement des paysages durant la période. Ce témoignage suffit-il à déterminer précisément et simplement les phases de sédimentation et de creusement ? Probablement pas, mais il confirme en tout cas la validité du modèle dont on retrouvera les marques, à un degré moindre, dans la région du lac Jabbûl.

Notes
102.

Pour « kilo-années » (1000 ans).