B - Le déroulement des cycles morpho-dynamiques

Cette question, on l’a vu pour le Maroc, est complexe. Mais il est important d’y répondre, afin d’expliquer la formation et la configuration du relief actuel.

Les questions concernant les périodes précises de comblement puis de creusement des vallées, ainsi que le rôle de la néotectonique dans ce processus ne sont pas encore définitivement tranchées. Une première hypothèse suppose que c’est durant les interpluviaux (ou interglaciaires) que les terrasses fluviatiles se forment. P. Sanlaville (2000) rappelle que, dans le domaine tropical, les phases humides correspondent à la remontée vers le nord du front de convergence intertropical, c’est-à-dire aux interglaciaires. Dès lors, l’idée serait que durant les interglaciaires, des épisodes torrentiels auraient favorisé l’alluvionnement en fond de vallée. Cette hypothèse est confirmée par l’existence de plusieurs paléorivages au Liban et en Syrie dont les dépôts marins passent, latéralement, au voisinage des vallées, à des dépôts fluviatiles grossiers. Il y aurait donc eu une forte torrentialité au moment des transgressions marines, c’est-à-dire lors des interpluviaux.

Une seconde hypothèse repose sur des observations qui infirment la première. Ainsi, sur la côte syrienne, le dernier complexe de terrasses pléistocènes ravine et recouvre les rivages marins du dernier interglaciaire, il en est donc postérieur. Ce phénomène s’observe également dans la vallée de l’Euphrate où une terrasse volumineuse remblaie la vallée très creusée (terrasse QII). Ces terrasses se sont donc déposées postérieurement aux transgressions (interpluvial), c’est-à-dire au cours de la période de régression marine suivante (le pluvial). De plus, si l’on considère que les interpluviaux sont des périodes de plus grande humidité, on peut supposer qu’ils se seraient caractérisés par la présence d’un couvert végétal plus dense qui aurait eu tendance à freiner l’érosion latérale et à accentuer le creusement des cours d’eau (théorie de la bio-rhexistasie).

La contradiction soulevée par ces deux hypothèses a été discutée par J. Besançon (1994) qui a également signalé que, sous ces climats arides et semi-arides, une augmentation de l’humidité a de fortes chances de se traduire par un retour de la végétation et un recul de l’érosion latérale. Les données récoltées dans la vallée de l’Euphrate lui ont permis d’élaborer une théorie valable localement. Selon lui, une première étape de remblaiement a lieu au cœur du pluvial (anapluvial et plénipluvial), au moment où les conditions périglaciaires qui règnent dans les montagnes du Taurus favorisent la production d’alluvions dans le haut bassin versant, venant combler la vallée en aval. Lors du passage à l’interpluvial, les conditions climatiques s’adoucissant, le haut bassin versant est recolonisé par la forêt et l’érosion latérale s’atténue progressivement. En aval, dans les steppes plus sèches, la végétation est affectée par l’aridité. Elle devient plus clairsemée et provoque alors une seconde phase de remblaiement durant un temps très court (alluvions locales). Par la suite, des conditions stables se mettent en place durant l’interpluvial.

On pourrait là aussi discuter ce modèle en précisant que si la végétation colonise les pentes des reliefs montagneux en amont durant le passage à l’interpluvial, on peut s’attendre à ce qu’un creusement concomitant des fonds de vallées s’opère et que des alluvions tauriques participent à la seconde phase de remblaiement, voire alimentent un remblaiement au moins au début de l’interpluvial. Or cela ne semble pas être le cas.

Au regard de ces différentes hypothèses on peut tenter de prendre position et de recentrer les interrogations sur la région du lac Jabbûl. On se fondera sur l’idée de G. Beaudet et al. (1967) déjà citée et de J. Besançon (1994), selon laquelle les variations climatiques responsables de l’allure des formes pléistocènes s’exercent dans des cadres morphologiques différents et n’ont donc pas la même action ni la même signification. On s’inspirera également des travaux réalisés au Maroc par J.-P. Texier et al. (1985) qui corrèlent les pluviaux aux périodes interglaciaires, considérées comme plus humides dans les régions aujourd’hui arides, et les interpluviaux aux périodes glaciaires, considérés comme arides. Il s’agit en fait du même point de vue que celui de P. Sanlaville, à la différence que les termes pluviaux et interpluviaux sont inversés et sont donc utilisés au plus proche de leur « vrai » sens. Dans les zones arides, à l’image de la région du lac Jabbûl, l’érosion latérale aurait lieu en début de cycle 103 , au passage entre les périodes humides et les périodes sèches, c’est-à-dire entre les pluviaux et les interpluviaux. Au début du pluvial les vallées se combleraient d’alluvions, de même que les bas de versants, sur les piémonts. Durant le pluvial, une végétation coloniserait progressivement les versants. L’érosion latérale diminuerait alors, relayée par une forte érosion linéaire et un creusement des vallées concomitant. Des cônes alluviaux pourraient alors se constituer sur les piémonts, à la sortie des vallées. Les secteurs de vallées et de piémont, plus stables au point de vue morphologique, connaîtraient alors une pédogenèse. Lors du passage à l’interpluvial suivant, plus sec, les rivières, moins bien alimentées, déposeraient leur matériel et les vallées se combleraient de nouveau. L’érosion latérale reprendrait en début de cycle, mais aurait surtout pour conséquence un progressif aplanissement du modelé de piémont et l’apparition de glacis durant la période. Au cours de la période, l’activité érosive aurait également pour conséquence le creusement des dépressions endoréiques par le biais de la déflation. En fin d’interpluvial, le retour de l’humidité se marquerait tout d’abord par une forte érosion latérale suivie d’une érosion linéaire et d’une incision des glacis et des terrasses.

Notes
103.

Cette idée s’inspire de l’hypothèse de J. Besançon (1994) évoquée précédemment, qui place la phase d’érosion/sédimentation lors de la transition pluvial/interpluvial, ou phase catapluviale.