1 - Les aplanissements

Si elle n’est pas toujours très épaisse, la couverture alluviale des glacis est bien présente. Il s’agit donc de glacis couverts (Dumas 1967), mais dans notre cas il est nécessaire de préciser cette terminologie en employant la formule de glacis à couverture mince.

Sur le piémont du Jabal al-Has on retrouve deux niveaux de glacis pléistocènes emboîtés ou superposés, que l’on peut noter QIa et QIb. La formation qui constitue le plus ancien (QIa) s’observe dans une coupe réalisée lors de la construction de la route reliant Sfirat à Khanasir (planche 8, photo C). Sur environ 5 mètres la coupe laisse voir, de bas en haut (figure 16 et figure 17, coupe 1) :

  • le calcaire éocène raviné (1) ;
  • une accumulation grossière et hétérométrique formée de gros blocs de basalte (jusqu’à 1 m de grand axe) et de blocs de calcaire dans une matrice sablo-caillouteuse rosée indurée (3 m) (2) ;
  • un dépôt calcaire tendre blanchâtre passant vers le haut à une croûte calcaire rosée très dure en bancs constituée de blocs de croûte plus ancienne et de blocs basalte (jusqu’à 30 cm de grand axe), pouvant atteindre 2 m d’épaisseur (3) ;
  • une croûte d’environ 50 cm, composée de blocs de basalte, de calcaire et de croûte calcaire arrondis (15 cm à 20 cm de grand axe) dans une matrice calcaire indurée (ce niveau n’est pas présent partout) (4).

Au site de Dart al-Khraybat, sur le piémont du Jabal Shbayth, une coupe assez similaire laisse voir, de la base au sommet (figure 16 et figure 17, coupe 2) ;

  • le calcaire « crayeux » éocène altéré et raviné (1) ;
  • une croûte calcaire très dure incorporant des galets et des blocs de calcaire et de basalte altérés (1,5 m à 2 m visible) (2) ;
  • une croûte calcaire bréchique dure, comportant des galets de calcaire et des blocs de basalte émoussés et arrondis dont la taille peut atteindre 20 cm de grand axe, enrobés dans une matrice carbonatée, sur 1 m (3). Ce niveau contient beaucoup de rognons de silex et d’outils du Paléolithique moyen 113 .

Le glacis que l’on observe en contrebas (QIb) est assez similaire à celui que nous venons de décrire. Cependant, sa croûte est moins épaisse et sa position topographique moins élevée. Ce niveau peut être très caillouteux, en particulier sur les piémonts des plateaux, tandis qu’au nord et au nord-ouest son matériel est beaucoup plus fin.

Un exemple représentatif de couverture caillouteuse grossière est apporté par la coupe située en amont du village de Abû Jrayn, sur le piémont du Jabal al-Has, qui laisse voir, de la base au sommet (figure 16 et figure 18, coupe 3) :

  • le calcaire « crayeux » éocène très altéré vers le haut (1) ;
  • une accumulation de gros blocs de basalte (jusqu’à 1 m de grand axe) et de blocs calcaires dont la taille est très variable (du cailloux au bloc de plusieurs dizaine de centimètres de grand axe) dans une matrice calcaire, évoluant vers le haut en un dépôt calcaire tendre blanchâtre avec très peu de blocs, le tout sur 1,5 m à 2 m (2).
  • une croûte calcaire de 50 cm à 1 m d’épaisseur, incorporant des blocs de basalte altérés et des blocs de calcaire, dans un ciment calcaire très dur, s’achevant en une croûte rubanée au sommet (3) ;
  • un dépôt caillouteux formé de galets de calcaire arrondis, de galets de croûte calcaire ancienne et de basalte (15 cm à 20 cm de grand axe) dans une matrice limoneuse rosée, le tout légèrement induré (50 cm à 80 cm d’épaisseur) (4).

Cette surface de glacis est souvent recouverte d’un manteau d’alluvions non consolidées résultant d’une phase de sédimentation postérieure, qui la ravinent légèrement. Au nord-ouest du lac Jabbûl, le glacis de Sfirat se compose en général d’une couverture de limons et de blocs non indurés surmontant une croûte calcaire plus ancienne. Celle-ci constitue le sommet d’une surface de glacis qui nous semble contemporaine de celui que nous venons de décrire.

Une coupe située à l’est du village de Sfirat laisse voir, de bas en haut (figure 16 et figure 19, coupe 4) ;

  • une accumulation calcaire tendre, avec présence de nodules calcaires (2 m visibles) (1) ;
  • une croûte calcaire constituée de blocs de basalte et de croûte ancienne arrondis (jusqu’à 20 cm de grand axe) dans une matrice calcaire rosée très dure (sur 50 cm à 1 m) (2) ;
  • une accumulation limono-argileuse avec une proportion plus ou moins forte de blocs de basalte et de galets de croûte calcaire très arrondis (15-20 cm de grand axe), dominant à la base, sur une épaisseur variable, de 50 cm à plusieurs mètres (3).

Au nord du lac les deux niveaux de glacis à croûte calcaire se superposent fréquemment, à l’image de ce que nous avons observé au sud du lac (coupe 2 décrite plus haut). Une coupe localisée au sud-est de Dikwânat, le long de la route menant au village de Jabbûl laisse voir de bas en haut (figure 16 et figure 19, coupe 5) :

  • une accumulation calcaire tendre blanchâtre sur 1 m à 2 m visibles (1) ;
  • une croûte en strates composée de cailloux calcaires et de débris de croûte plus ancienne en faible quantité dans un ciment rosé très dur (50 cm à 1 m) ;
  • une accumulation de cailloux et de blocs calcaires et de débris de croûte calcaire arrondis, jusqu’à 20 cm de grand axe, évoluant en une croûte calcaire bréchique très dure vers le sommet, le tout sur 50 cm à 1 m ;
  • un niveau limono-argileux comportant une faible proportion de blocs arrondis de calcaire et de croûte calcaire ancienne (20 cm de grand axe maximum), sur une épaisseur de 80 cm voire 1 m.

Un glacis plus récent (Q0) à couverture alluviale meuble est emboîté dans le glacis précédent. Dans certains secteurs il n’y a pas eu d’érosion suffisamment importante pour créer un emboîtement et les deux couvertures alluviales se superposent (la seconde ravinant la première). Dans ce cas la couverture récente peut être mince, comme on l’a vu avec la coupe 5 (figure 19) et comme on le verra avec la coupe 6 (figure 20, voir ci-après). Dans l’étude de la couverture récente qui va suivre, l’analyse de certains secteurs sera plus approfondie car ces zones constituent des supports privilégiés pour la mise en valeur agricole.

C’est le cas du glacis de Sfirat dont la mise en valeur agricole est presque généralisée en raison du potentiel agricole des sols élevé et de la réserve hydrique. En amont, en bordure du front montagneux, la couverture du glacis est mince et se superpose à la croûte calcaire du glacis précédent. Une coupe type laisse voir, de la base au sommet (figure 16 et figure 20, coupe 6) :

  • une croûte calcaire dure, rosée, souvent lapiazée, dont l’épaisseur varie entre 50 cm et 1 m (1) ;
  • une accumulation limono-argileuse avec des galets et des blocs de calcaire et de croûte calcaire ancienne arrondis (jusqu’à 30 cm de grand axe), sur une épaisseur d’environ 1 m (2). À certains endroits cette couverture a été décapée et la dalle calcaire affleure.

Vers l’aval la couverture est plus épaisse et, généralement, se succèdent une strate de galets et de blocs de moins d’un mètre à plusieurs mètres d’épaisseur et une accumulation limono-argileuse, très peu caillouteuse, pédogénisée au sommet. Cette disposition caractérise l’ensemble du piémont du Jabal al-Has et le glacis de Sfirat : seule la taille du matériel de la strate caillouteuse et son épaisseur peuvent varier. Un exemple de ce type de couverture est représenté par la coupe suivante qui laisse voir, de la base au sommet (figure 16 et figure 20, coupe 7) :

  • un niveau de calcaire marneux éocène altéré (1) ;
  • une accumulation calcaire tendre lié par une matrice peu argileuse contenant des galets de calcaire (10 cm à 20 cm de grand axe) et des concrétions calcaires, sur 2,5 m (2) ;
  • un dépôt limono-argileux sans cailloux, sur 2 m environ (3).

Mais la strate caillouteuse observée à peu près partout sur le piémont du Jabal al-Has montre également, assez fréquemment, un premier niveau constitué de limon et de blocs en vrac, surmonté d’une strate de cailloux relativement homométriques avec peu de matrice fine.

On l’observe dans la coupe suivante qui montre, de la base au sommet (figure 16 et figure 20, coupe 9) :

  • une accumulation calcaire parsemée de concrétions calcaires (1) ;
  • ce niveau évolue vers le haut en une accumulation plus caillouteuse (blocs et galets de croûte de 10 cm à 40 cm de grand axe) dans une matrice calcaire tendre, sur 2 m à 3 m (2) ;
  • une accumulation de blocs et galets de croûte calcaire très arrondis (10 à 30 cm de grand axe) avec peu de matrice limoneuse, sur 50 cm (3) ;
  • une couche de limon argileux brun-rouge contenant des blocs et des galets de croûte très arrondis en faible quantité à la base (10 cm à 20 cm de grand axe) sur 50 cm (4).

Cette coupe est située à la limite sud du glacis de Sfirat, mais d’autres coupes similaires s’observent sur le piémont du Jabal al-Has, plus au sud (voir par exemple la coupe 10, figure 18).

Dans certains secteurs du glacis de Sfirat, la couverture meuble s’amincit et, parfois, la croûte calcaire du glacis précédent affleure. Lorsqu’elle n’affleure pas tout à fait, mais qu’elle n’est pas loin de la surface, il semble que le dépôt limoneux à blocs disparaisse et que seul le dépôt de cailloux et de blocs homométriques soit en place, surmonté de la couverture limoneuse sommitale.

C’est le cas par exemple de la coupe suivante qui laisse voir, de la base au sommet (figure 16 et figure 20, coupe 8) :

  • une croûte calcaire lapiazée (1,5 m) (1) ;
  • une accumulation de galets et de blocs très arrondis (10 cm à 30 cm de grand axe) dans un sédiment calcaire poudreux, sur 70 cm (2) ;
  • une accumulation limono-argileuse de couleur brun-rouge (5 YR 4/4), parsemée de quelques galets à la base, sur 1,5 m (3).

De l’amont à l’aval, sur le piémont, la dalle calcaire du glacis précédent apparaît régulièrement dans les coupes observées, sauf dans la zone centrale. La surface du glacis ancien a donc été ravinée, à l’image de nombreux glacis observés dans d’autres régions arides (cf. Géomorphologie des glacis 1974), même si ce ravinement a été assez limité car la couverture n’est jamais très épaisse. Elle ne semble pas dépasser 10 m ; c’est en tout cas l’épaisseur maximale que nous ayons notée dans une coupe plus au sud, sur la partie aval du glacis de Haklâ - Um ‘amûd Kabirat, en bordure du lac (figure 2). La coupe laisse voir, de la base au sommet, sur 12 m (figure 16 et figure 21, coupe 11) :

  • le calcaire « crayeux » éocène altéré et raviné (1) ;
  • un niveau caillouteux avec des galets de croûte calcaire (10 cm à 30 cm de grand axe) et des blocs de basalte arrondis (20 cm à 40 cm) disposés en strates, dans une matrice limoneuse très carbonatée (2) ;
  • vers le haut, ce niveau évolue en une accumulation où domine le limon et l’argile avec des passées de cailloutis (3).

Ces diverses coupes sont représentatives de la couverture des glacis observés sur le piémont du Jabal al-Has. Les glacis anciens à croûte calcaire semblent avoir été davantage disséqués au sud du glacis de Sfirat, où certaines coupes montrent une accumulation alluviale sur une dizaine de mètres directement sur le calcaire éocène altéré, qu’au nord où on a vu que la croûte calcaire affleurait parfois. L’étroitesse du piémont, la densité des cours d’eau et la dimension de leur bassin versant expliquent, en partie au moins, cette forte dissection vers le sud.

Au nord du lac la couverture du glacis récent (Q0) est souvent superposée à un niveau antérieur conglomératique, qui constitue généralement la croûte calcaire du glacis précédent. Mais, dans les environs immédiats du lac, il semble que l’assise du glacis récent soit un conglomérat néogène. C’est la conclusion des géologues soviétiques qui ont travaillé dans la région dans les années 1960 (Ponikarov et al. 1966) 114 . Comme sur le glacis de Sfirat et plus au sud sur le piémont du Jabal al-Has, la couverture du glacis présente à peu près partout les mêmes caractéristiques, avec au-dessus du glacis à croûte calcaire précédent (ou du conglomérat néogène en bordure du lac), une accumulation caillouteuse surmontée d’un niveau limono-argileux à cailloux. La couverture récente coiffant le glacis ancien à croûte calcaire est d’une épaisseur variable. Une coupe laisse voir, de la base au sommet (figure 16 et figure 22, coupe 12) ;

  • un sédiment calcaire blanchâtre tendre qui peut parfois contenir des galets de calcaire et de croûte calcaire (1 m) (1)
  • la croûte calcaire rosée très dure en strates (1 m) (2) ;
  • un dépôt très caillouteux composé de cailloux et de galets de calcaire et de croûte calcaire ancienne arrondis (5 cm à 20 cm de grand axe) mêlés à des limons en faible quantité, sur une épaisseur variant entre quelques cm et 1 m, se terminant en surface par un sol mince très caillouteux dont la matrice est limono-argileuse (quelques décimètres) (3) ;

Sur le glacis récent plus à l’aval, la couverture est un peu plus épaisse mais similaire. Ainsi, une coupe située au nord-est du lac, près de la berge, laisse voir de la base au sommet (figure 16 et figure 23, coupe 13) :

  • le conglomérat néogène (1) ;
  • une accumulation de galets calcaires et de galets de croûte calcaire (10 cm à 20 cm de grand axe) dans une matrice limoneuse, sur 1,2 m (2) ;
  • un sol limono-argileux comportant des cailloutis et du sable, sur 50 cm (3).

Le niveau caillouteux est parfois remplacé par une accumulation plus fine, à dominance calcaire. Cette variation de faciès est probablement due au mode de façonnement du glacis, incisé par des chenaux dans lesquels transitaient les alluvions grossières tandis que les dépôts fins s’étalaient sur la plaine d’inondation lors des crues. On a pu observer la trace de ces chenaux sur la berge même du lac. Ainsi, à l’est du village de Jabbûl, une petite falaise laisse voir, de la base au sommet (figure 22, coupe 14) :

  • un sédiment carbonaté constitué de cailloux et de cailloutis calcaires et de cailloux de croûte calcaire rosée, bien roulés et émoussés, de grosseur variable mais le plus souvent inférieure à 10 cm de grand axe, mêlés à des sables calcaires : l’ensemble est induré. On observe des chenaux entrecroisés, signe d’un dépôt fluviatile ; l’ensemble est visible sur 70 cm (1) ;
  • un dépôt limoneux poudreux parsemé de rares cailloutis sur 1 m à 2 m (2).

Il semble que l’accumulation de cailloutis puisse être importante car une coupe située à l’ouest du village de Jabbûl montre une accumulation de ces cailloutis et sables sur 2 m visibles. Au regard de la position de ces coupes, il pourrait s’agir de dépôts deltaïques du Nahr ad-Dahab, dépôts qui seraient contemporains du glacis récent.

Dans le nord du lac, le glacis ancien à croûte calcaire a donc été lui aussi disséqué, mais cette dissection est plus nette vers l’aval, aux abords du lac. Ailleurs les vallées ont incisé le glacis peu profondément (mais souvent ces incisions sont très larges). Là encore, on constate que les conditions de la mise en valeur du sol dans ce secteur n’ont probablement pas été partout aisées du fait de la présence de la croûte calcaire. Cependant, le sol qui forme la partie supérieure de la couverture du glacis récent, qui lui-même recouvre le glacis précédent à croûte calcaire, permet le développement d’une culture sèche.

Sur le piémont du Jabal Shbayth la couverture du glacis diffère sensiblement de ce que l’on observe sur le piémont du Jabal al-Has et dans le nord de la région, en raison de la présence d’un type d’alluvions particulier et en raison de l’épaisseur des dépôts meubles souvent assez forte. Sur le haut piémont, la couverture du glacis récent n’est présente qu’à la sortie des vallées, elle forme des terrasses et des cônes alluviaux coincés entre les affleurements du glacis antérieur encroûté. En bas de pente, celui-ci est généralement encore présent et la croûte calcaire affleure. Vers l’aval, la couverture récente se généralise. Dans la partie médiane du glacis la couverture est relativement épaisse. Une coupe laisse voir, de la base au sommet (figure 16 et figure 24, coupe 15) :

  • du sable gris dont la composition minéralogique indique une origine allogène (le Taurus), sur 2 m au moins (1) ;
  • un niveau argileux, mélangé à du sable à la base, et se présentant en fines lamines subhorizontales (< 1 cm) de sables et d’argile plus fréquentes vers le sommet, dont l’épaisseur d’ensemble varie entre 10 cm et 70 cm (2) ;
  • une accumulation limoneuse avec des cailloutis tauriques et des concrétions d’argile en boules (10 cm à 20 cm de grand axe), sur 1,1 m (3) ;
  • des limons rougeâtres (7,5 YR 4/4) et des sables gypseux avec de rares cailloutis tauriques à la base, sur 2,2 m.

L’observation de plusieurs puits sur le piémont révèle une couverture sédimentaires identique. La couverture du glacis du piémont du Jabal Shbayth se caractérise donc par sa relative épaisseur. En surface se trouvent des limons gypseux accompagnés d’une faible proportion d’argiles et, sous cette couche superficielle, s’observe un dépôt alluvial de sable et de cailloutis d’origine allogène (Taurus), probablement remanié. On a pu voir, grâce à la présence de puits, que cette formation est présente jusqu’au sud du couloir des Monbatah. Elle surmonte une formation alternant de fines couches d’un sédiment calcaire très fin et de gypse. Cette dernière formation est identique à celle observée sur le pourtour de la Sebkha Rasm ar-Ruam que nous décrirons plus loin, et qui correspond à une phase de dépôt « lacustre ». Les alluvions grossières observées sur le piémont du Jabal al-Has ne sont présentes qu’au sein des vallées.

Notes
113.

Détermination de F. Abbès.

114.

C’était également l’avis de J. Besançon qui avait parcouru la région en 1995 et 1996.