1 - La terrasse de l’Euphrate

Les caractéristiques de ce dépôt, en particulier sa grande variation latérale de faciès (présence de chenaux de cailloutis et de sables, de sable gris non stratifié, de lentilles de limons voire de limon induré sur plusieurs mètres associé à du sable gris très fin) et son étendue (on le retrouve dans tout l’est de la région et plus au nord également, à l’aval de la confluence entre la vallée du Sajour et la vallée de l’Euphrate, J. Besançon et P. Sanlaville 1985), témoignent d’une mise en place par un cours d’eau anastomosé divaguant dans une large plaine d’inondation. Les zones constituées de cailloutis et de sables stratifiés, indubitablement fluviatiles, appartiennent aux chenaux actifs de ce réseau, tandis que les dépôts plus fins, sableux et limoneux constituent les dépôts de débordement. L’Euphrate d’alors était sans doute plus encaissé au nord et, à la sortie des derniers contreforts du Taurus, circulait dans une plaine d’inondation beaucoup plus large qu’aujourd’hui, tout en transportant un grand volume de sédiments. La région du lac Jabbûl, probablement déjà déprimée, bordait la plaine d’inondation et ce paléo-Euphrate, alimenté par des pluies régulières dans le Taurus, y a déposé une vaste terrasse alluviale que l’on observe aujourd’hui, en place, dans l’est de la région. La présence de gypse en grande quantité dans les sédiments provient de l’érosion du calcaire marneux à bancs de gypse sous-jacent, ainsi que de la recristallisation du gypse de surface, d’origine éolienne. Le tracé de l’Euphrate était déjà globalement similaire à l’actuel, mais ses formes étaient sans doute plus amples et notamment dans l’est de la région, à la hauteur du « coude » de Meskéné, cette courbe qui affecte le cours d’eau en direction de l’est.

Cette formation appartient à une terrasse ancienne. Elle a été constituée par un cours d’eau allogène et ne reflète donc pas l’état du milieu naturel régional à l’époque de sa mise en place. Par contre, elle témoigne d’un apport régulier et abondant d’eau depuis les montagnes du Taurus. Elle s’est donc constituée au cours d’une période marquée par une pluviométrie abondante, probablement un interglaciaire. Le dépôt basal, plus grossier, témoignerait d’une phase d’érosion plus importante (pluies plus irrégulières et plus brutales dans le Taurus ?) et le dépôt limoneux supérieur d’une période plus calme caractérisée par l’apport de limons de débordement, au cours de l’interglaciaire. Cette terrasse semble pouvoir être mise en relation avec l’épaisse formation d’Abû Jem‘a sur l’Euphrate (quatrième niveau au-dessus de la plaine d’inondation), qui s’apparente à elle par son extension et son faciès (cailloutis et sables tauriques en abondance à la base, nappe de limons au sommet) et qui contient des outils de silex de l’Acheuléen récent (Besançon et Sanlaville 1984). La même terrasse a également été décrite plus au nord, après la confluence entre le Wadi Sajour et l’Euphrate. Elle est identique également par son épaisseur et son faciès et contient également des silex de l’Acheuléen récent (Besançon et Sanlaville 1985). V. P. Ponikarov et al. 1966 l’avaient également mise en relation avec une « quatrième terrasse de l’Euphrate » dans laquelle il avait été trouvé des silex de type abbevilien. Les connaissances préhistorique ayant évolué depuis, il est fort possible que ces outils appartiennent en réalité à l’Acheuléen récent. Il s’agirait donc d’une terrasse mise en place à la fin du Pléistocène moyen (et non pas au Pléistocène ancien selon V.P. Ponikarov et al., ibid.) et probablement, comme celle d’Abû Jem‘a, au cours du stade isotopique 10 (Sanlaville 2000). Elle s’apparenterait à un QII dans la région du lac Jabbûl (figure 15). Un dernier argument semble militer en faveur de son assimilation à la terrasse d’Abû Jem‘a : sur l’Euphrate, les terrasses antérieures sont très peu développées, elles ont été érodées (voir par exemple Besançon et Sanlaville 1984 et 1985, Geyer et Besançon 1997). Or la nappe alluviale de l’est du lac Jabboul n’est assimilable qu’à une grande phase de dépôt dont il subsiste d’importantes traces. Cette phase semble être la même que celle qui a vu l’édification de la terrasse d’Abû Jem‘a.