4 - Les bas niveaux : des formations meubles récentes

Un premier épisode morphoclimatique se traduit par la mise en place d’une formation caillouteuse hétérométrique à la fois dans les vallées, sur le piémont des plateaux et au nord du lac, après le ravinement de la couverture antérieure (début du Q0a). Cette formation résulte de la même dynamique d’érosion hydrique décrite plus haut, dans laquelle des averses brutales sur des sols minces et peu végétalisés facilitent le ruissellement et l’écoulement en nappe capables d’une érosion latérale. L’érosion est également active dans les oueds, dont les berges, peu protégées, sont rapidement sapées tandis que le matériel arraché est abandonné brutalement en surface lorsque le cours d’eau déborde et que la crue cesse. Cette dynamique explique l’allure du matériel et l’absence de classement.

Cette formation caillouteuse est sans doute contemporaine du remaniement des alluvions tauriques à dominante de cailloutis et de sables, à l’est et au sud du lac, jusqu’au sud du couloir de Monbatah. Au cours de cette période, le dépôt lacustre en place dans la région aurait été partiellement décapé (à l’est et au sud du lac actuel) et les débris de cette érosion auraient été réincorporés aux alluvions remaniées, ce dont témoigne la présence de gypse en grande quantité dans les formations superficielles, en particulier vers le sud.

Au sud-est de la région, la couverture du glacis orienté sud-nord se met en place par la divagation d’un important réseau de larges oueds qui l’incisent latéralement, et qui convergent à l’aval vers le Wadi Abû al-Ghor. La mince couverture du glacis à cet endroit témoigne de la faible importance de l’activité érosive plus en amont et surtout de la capacité de transport limitée des oueds à cette époque.

La présence d’outils néolithiques (anté-PPNB) dans des dépôts caillouteux sur le piémont du Jabal Shbayth suggère une mise en place de cette formation autour de 9000 BP, au cours d’une période de transition vers l’ « Optimum climatique holocène » (figure 15). À cette époque la dépression du lac Jabboul est vraisemblablement occupée par un lac plus profond que l’actuel.

La phase suivante correspond à la mise en place des épaisses couches de limons (fin du Q0a, jusqu’à 4 m à Fijdân, dans le Jabal al-Has), tout juste postérieures au dépôt des alluvions grossières de la phase précédente, puisqu’on a vu que, vers la surface, sables tauriques remaniés et limons pouvaient être liés (sur le piémont du Jabal Shbayth). Le climat de cette époque est plus doux et probablement un peu plus humide, mais surtout les pluies se répartissent de façon plus régulière tout au long de l’année. En conséquence, la morphogenèse est moins brutale et la sédimentation est d’abord colluviale. Ce type de dépôt caractérise fréquemment la fin d’une phase très active comme celle que l’on vient de décrire. La nouvelle phase est contemporaine de l’aplanissement du glacis. En effet, le dépôt précédent, souvent grossier, constitue un obstacle à la concentration du ruissellement. L’écoulement se fait donc par une mince nappe d’eau transportant un matériel colluvial fin. Au regard de l’épaisseur de cette nappe de limons dans certaines zones, on peut supposer que cette morphogenèse a perduré. La présence de sable taurique dans les vallées du Jabal Shbayth indique que l’écoulement a été puissant et explique en partie la forte épaisseur des limons. Le développement d’un sol dans la partie supérieure de ce dépôt, sol que nous avons noté à plusieurs reprises (en particulier à Sirdah et à Fijdân), indique qu’une période morphologiquement calme et relativement humide s’est poursuivie un certain temps après le dépôt. La dépression du lac Jabbûl est alors occupée par un lac plus profond qu’aujourd’hui et le dépôt de sédiments fins s’amorce. La présence d’outils lithiques néolithiques et probablement PPNB incite à penser que cette formation s’est mise en place ente 8-9 ka BP et 7 ka BP, durant l’ « Optimum climatique ».

Dans certaines coupes, à Fijdân notamment, une passée caillouteuse sépare très clairement deux couches de limons. Il s’agit probablement du témoignage d’un bref retour de l’aridité (action des composantes dynamiques du climat) marqué par une dynamique érosive plus brutale sous forme d’averses violentes. Celle-ci aurait eu lieu lors de l’épisode plus sec et plus froid relevé ailleurs en Syrie au cours de l’Optimum climatique holocène, entre 8 ka BP et 7,6 ka BP (Sanlaville 1996).

Les deux formations superposées, qui forment une terrasse (Q0a), correspondent clairement à une phase de dépôt qui s’est prolongée longuement dans le temps. Ce phénomène d’alluvionnement aurait commencé à la transition entre le début de l’Holocène (plus sec) et l’Optimum climatique holocène et se serait poursuivi durant cette phase légèrement plus humide (entre 9 ka BP et7 ka BP). On expliquerait donc ainsi le dépôt basal très grossier allant en s’affinant vers le haut où dominent les limons. Des terrasses similaires bien datées s’observent au Maroc. Elles sont le résultat, au moins pour les plus anciennes (Holocène ancien et Holocène moyen), du même processus de modification climatique (Wengler 1994).

Un fonctionnement similaire et des dépôts corrélatifs ont été observés pour la vallée de l’Euphrate, plus en aval. D’après B. Geyer et J. Besançon (1996), au cours de l’Holocène ancien, l’Euphrate a remblayé sa plaine alluviale avec un système de lit en tresse, à chenaux multiples et changeants. C’est à partir de 7 ka BP - 8 ka BP que la dynamique s’est inversée et que l’Euphrate a commencé à creuser son lit. Enfin, une terrasse similaire, également datée du PPNB, s’observe aussi dans la vallée du Sajour (Besançon et Sanlaville 1985).

La phase suivante correspond à l’incision partielle de la formation limoneuse par de petits oueds. Cette incision est nette dans les vallées des plateaux et sur l’étroit piémont du Jabal al-Has, au sud du glacis de Sfirat. L’incision des cours d’eau est généralement provoquée par la concentration forcée des écoulements du fait de la végétalisation des versants. Cette morphogenèse a donc eu lieu durant une période où l’humidité plus importante aurait favorisé l’implantation d’une végétation plus dense. Les terrasses que l’on observe aujourd’hui dans ces incisions contiennent des tessons de céramique datant au plus récent de la période byzantine. Certaines terrasses ne contiennent que des tessons romains alors que des habitats byzantins et islamiques se localisent en amont. Il est donc probable que l’épisode morphogénétique qui suit le dépôt des limons est très complexe, avec plusieurs phases de creusement et plusieurs phases d’alluvionnement, au cours de périodes différentes mais proches dans le temps. Ces diverses phases sont observées ailleurs où elles sont parfois plus aisément remarquables. Ainsi, dans la vallée de l’Euphrate il existe une terrasse du Bronze et une série de dépôts complexes postérieurs (Geyer et Besançon 1996). Dans le bassin-versant du Sajour, J. Besançon et P. Sanlaville (1985) ont relevé des terrasses grossières du Bronze dans une vallée et romaine dans une autre (mais pas les deux dans la même vallée) 125 .

Il est en tout cas clair qu’une période de dépôt (terrasse Q0b) fait suite aux occupations romaine et byzantine. L’existence d’une terrasse de l’époque du Bronze est encore difficile à prouver pour le moment, car nous n’avons observé qu’une seule terrasse contenant des tessons de céramiques de cette période, terrasse qui se trouve par ailleurs en aval d’un site du Bronze (et non de sites romains ou byzantins). Les coupes étudiées montrent soit des alluvions non classées et assez grossières (Sirdah, coupe 18), soit un dépôt plus fin (cailloutis, graviers) et relativement bien classé (Jnid, coupe 21, Khirbat al-Mû‘allak en amont de Rasm al-Nafl) (figure 16). Il s’agit donc de deux types de dépôts caractérisant à la fois des décharges hydrologiques brutales dans un climat semi-aride à averses brutales et courtes et une ambiance climatique plus calme, avec des pluies plus régulières tout au long de l’année, engendrant un transport d’alluvions un peu moins grossières et une tendance au classement. Cette différence de granulométrie provient également de la taille et de la nature des cours d’eau (oueds) et de la position des dépôts par rapport aux bas de versant. Dans le cas du dépôt de Sirdah qui se situe très en amont, à la sortie même de la vallée, il est logique que la terrasse soit constituée d’alluvions grossières, la capacité de transport étant plus importante à l’amont et diminuant rapidement.

Les terrasses récentes constituées d’alluvions classées, sont plus fréquentes dans la région. Elles traduisent donc l’action des composantes dynamiques du climat qui favorisent l’apparition, au sein d’un climat méditerranéen marqué par l’aridité, d’une phase aux précipitations légèrement plus abondantes et mieux réparties dans l’année, à l’époque romano-byzantine. Une partie des terrasses serait contemporaine de la fin de l’occupation byzantine, période durant laquelle la densité de l’occupation décroît tandis que les terrains cultivés sont progressivement délaissés. Concernant ce phénomène supposé de déprise, il faut préciser cependant que les terrasses ne sont jamais très épaisses ; les phases d’érosion et de dépôt n’ont donc rien à voir avec ce qu’ont pu connaître d’autres régions du fait de l’Homme, en particulier en Italie, après la colonisation hellénistique (voir paragraphe précédent, Depuis 5000 BP…). L’observation suivante confirme, par ailleurs, cette analyse. En effet, s’il semble bien que le dépôt de ces terrasses se soit accompagné d’une certaine érosion des sols (on retrouve, par endroits, des poches de limons), cette érosion est restée très modeste.

Notes
125.

Il faut ajouter que des terrasses récentes, postérieures au Bronze, existent dans tout le bassin de la Méditerranée et correspondent à des épisodes morphogéniques divers, résultant notamment d’une combinaison de facteurs liés aux activités humaines et aux fluctuations climatiques.