Conclusions du chapitre : de nouvelles données sur le Pléistocène et l’Holocène continental syrien

Les traces de phases morphogénétiques dans la région du lac Jabbûl au Pléistocène sont au nombre de trois (QII, QIa et QIb) (voir figure 15 et le tableau récapitulatif de la figure 38 pour le Pléistocène supérieur et l’Holocène). Le témoin actuel de la première est une terrasse alluviale épaisse et étendue, déposée par l’Euphrate au Pléistocène moyen, probablement dans une ambiance moins aride que l’actuel, avec un régime des pluies plus régulier. Par ailleurs, il est fort possible que cette terrasse se soit déposée en fin de cycle glaciaire, au moment où la fonte des glaciers du Taurus constituait un apport d’eau important et régulier, pour un cours d’eau alors beaucoup plus large qu’aujourd’hui. Les deux autres phases morphogénétiques dont on ait une trace dans la région sont signalées aujourd’hui par des glacis ou des terrasses alluviales coiffées de croûtes calcaires souvent épaisses et dures, façonnés à la transition Pléistocène moyen-Pléistocène supérieur (QIa) et au Pléistocène supérieur (QIb). Les premières formations se sont mise en place dans une ambiance encore aride, en fin de glaciaire, puis les glacis ont été lentement façonnés durant la période suivante, moins aride. En fin de phase, ce modelé a été incisé puis, lors de la phase glaciaire suivante, les formations QIb ont été déposés (figure 38). Au cours de l’interglaciaire suivant, dans une ambiance plus humide, les glacis se sont aplanis et un sol s’est développé au sommet, tandis que la dépression du Jabboul était occupée par un lac plus étendu et une lame d’eau plus haute qu’aujourd’hui. Une formation « lacustre » s’est alors mise en place par étape, dans une ambiance climatique complexe, avec de fréquents assèchements du lac. Cette formation a ensuite été érodée par déflation, au cours du dernier maximum glaciaire. Les produits de cette érosion (pseudo-sables, limons) ont été dispersés dans l’ensemble de la région et plus particulièrement dans l’est et le sud, où ils se sont parfois déposés sous forme de dunes allongées et où ils coiffent les dépôts « lacustres » et alluviaux sous-jacents. Ces dépôts contiennent, dans leur partie supérieure, des artefacts du Kébarien. On ne garde pas de trace de morphogenèse particulière au cours du Tardiglaciaire. C’est durant l’Holocène qu’une activité morphogénétique laisse des traces identifiables aujourd’hui. Lors de la transition entre le Tardiglaciaire et l’Optimum climatique, au début de l’Holocène, dans une ambiance un peu plus humide que précédemment, se déroule une première phase de dépôts caillouteux et probablement de remaniement des dépôts de l’Euphrate (Q0a) (figure 38). Cette phase est suivie, à l’Optimum climatique, par un dépôt plus fin (cailloutis) évoluant vers un dépôt limoneux épais (la suite de Q0a), dans une ambiance plus humide et plus chaude que lors des périodes précédentes. Il est fort possible que la dépression soit alors occupée par un lac permanent ( ?) dont les dimensions sont similaires à l’actuel. La période postérieure à l’Optimum climatique holocène est complexe. Elle est globalement plus aride, mais plusieurs phases climatiques la caractérise, notamment un petit optimum climatique à l’âge classique (figure 38). Dans la région, nous gardons la trace d’un alluvionnement à l’époque romano-byzantine et peut-être au Bronze (l’ensemble étant désigné par l’abréviation Q0b). Les deux formations Q0a et Q0b se sont superposées par endroits pour former un glacis polygénique couvert à couverture limono-argileuse. Ce glacis, en particulier dans le nord-ouest, est surmonté par un sol fertile. Les glacis à croûte calcaire quant à eux, et surtout le plus récent des deux, qui occupe une vaste surface dans la région, sont recouverts d’un sol limoneux mince comportant des galets de croûte calcaire.

C’est sur ces différents ensembles morphologiques lentement constitués que l’Homme s’est installé. Les espaces les plus favorables pour les cultivateurs sédentaires ont été les glacis et les fonds de vallées à couverture limoneuse (Q0), en particulier au nord et à l’ouest du lac Jabbûl. C’est ce dont témoigne la répartition des sites, comme on le verra dans la seconde partie. Les glacis à croûte calcaire (surtout QIb) ont également été exploités, en particulier au nord, en raison de la présence d’un sol en surface (héritage probable de Q0a). Les espaces recouverts d’une formation éolienne, dans l’est et le sud-est, n’ont pas constitué des supports favorables aux occupants sédentaires, mais ont été des zones de parcours pour pasteurs nomades. Le résultat de la longue histoire géomorphologique régionale participe donc à l’explication des grands traits de la mise en valeur agricole et de la répartition de l’occupation dans la région, tels que nous les étudierons dans la seconde partie.