Conclusion générale de la première partie

L’analyse du milieu naturel a été mené en deux étapes : tout d’abord une description du milieu naturel actuel et une mise en évidence des grands ensembles morphologiques. Ensuite, une analyse diachronique de ces ensembles, fondée sur l’étude géomorphologique des dépôts superficiels. L’étude des composantes naturelles du milieu a fait ressortir le rôle déterminant du climat, aussi bien au plan statique que dynamique. Cette composante se situe en amont des autres composantes dans la mesure où, dans une région aride, elle conditionne leur évolution. Ses caractères statiques, aridité, « méditerranéité » et irrégularité des précipitations, se mettent en place à la fin de la période glaciaire. Le début de l’Holocène connaît un rôle accru des composantes dynamiques (phase de l’Optimum climatique holocène) qui se traduit par un alluvionnement important, notamment de dépôts fins, ce qui témoigne d’un climat aux précipitations plus régulières et mieux réparties dans l’année. Après 5000 BP, le climat se caractérise par une plus grande stabilité marquée par une prééminence des composantes statique. Celles-ci ne favorisent pas l’évolution de l’environnement naturel (lenteur de la morphogenèse, faible érosion du modelé). Cependant, il existe encore des phases où les caractères dynamiques du climat, en particulier l’oscillation du volume des précipitations et la baisse de leur irrégularité favorise des changements du milieu naturel. C’est particulièrement le cas à l’époque romano-byzantine (on en garde les traces sur le terrain), avec un alluvionnement et une pédogenèse plus importants et des réserves hydriques plus abondantes.

Ces deux ensembles de caractères climatiques, sur lesquels reposent l’évolution du milieu naturel, déterminent également, pour partie, le potentiel agricole des unités morphologiques. Dans la constitution de ces unités, qui se caractérisent en grande partie par la nature de leur sol, intervient également la lithologie. La répartition des trois grands types de roches, basaltiques, carbonatées et gypseuses, contribuent à la formation de sols plus ou moins favorables à l’agriculture. La lithologie et le climat expliquent donc en grande partie la localisation des sols fertiles au sommet des plateaux, ainsi que dans leurs vallées et sur les glacis (au nord du lac tout comme sur les piémonts des plateaux). Ces composantes expliquent également la mauvaise qualité des sols dans l’est et le sud-est et dans une moindre mesure le sud, dominés par le gypse, les sables et les limons, peu fournis en argiles et soumis à une aridité, édaphique comme climatique, plus prononcée.

Une partie des surfaces, dans la région, résulte d’une morphogenèse datant du Pléistocène moyen et du Pléistocène supérieur. Elles constituent aujourd’hui des supports dont le sol, mince et caillouteux, est relativement peu fertile. Cette situation est due à la présence de croûtes calcaires au sommet, parfois épaisses et subaffleurantes. Cependant, au nord et au nord-ouest, ces surfaces sont fréquemment cultivées car elles sont recouvertes d’un sédiment fin pédogénisé datant du début de l’Holocène. En contrebas de ces surfaces et parfois au-dessus, comme on vient de le voir, une unité morphologique, caractérisée par des alluvions caillouteuses à la base et fines vers le sommet, s’est mis en place au début de l’Holocène, au cours de l’ « Optimum climatique holocène ». Ayant bénéficié d’une pédogenèse, ce dépôt constitue aujourd’hui l’essentiel des sols fertiles, les plus adaptés à la culture (vallées des plateaux, glacis récent sur les piémonts, fonds de vallées sèches et glacis ancien à couverture meuble holocène au nord du lac) (figure 14 et figure 37).

À la répartition des sols, au potentiel de mise en valeur agricole plus ou moins important, répond la répartition des hommes : les sédentaires cultivateurs se concentrent généralement dans les espaces aux sols les plus fertiles, tandis que les pasteurs nomades ou semi-nomades investissent les grands espaces aux sols plus médiocres pour la culture, mais constituant des pâturages de qualité (planche 6, photos A et B). Ce modèle apparemment déterministe varie au cours des temps, dans la mesure où des événements historiques ont pu « vider » la région de ses sédentaires (au Bronze récent ou à l’époque islamique par exemple, nous verrons cela dans la seconde partie) ; les nomades et semi-nomades s’approprient alors les meilleures terres. Ce modèle a pu varier également en raison du niveau technique des sociétés qui développent, au cours de l’histoire, une capacité d’adaptation plus grande (pratique et généralisation de l’irrigation, par exemple). Enfin, ce modèle peut évoluer en cas d’intervention des composantes dynamiques du climat, qui peuvent avoir une influence réelle sur la répartition et la mise en valeur de certains secteurs. Cette intervention peut avoir un caractère positif ou négatif pour les sociétés et peut agir, partiellement au moins, sur l’organisation de l’occupation et des modes de mise en valeur agricole. Ainsi, la capacité d’adaptation des sociétés, alliée à l’intervention des caractères dynamiques du climat (pluviométrie légèrement plus abondante et plus régulière sur l’année), a pu favoriser le développement agricole dans certains secteurs. C’est ainsi que, nous le verrons dans la partie qui va suivre, le Jabal Shbayth a été occupé et mis en valeur de manière intensive à une époque de l’histoire (romano-byzantine), alors que l’exploitation agricole dans ce secteur se révèle aujourd’hui difficile.

Le rôle des hommes s’est progressivement accru dans la région au cours des temps. De quelle manière cela s’est-il traduit dans le paysage ? Quels sont les modes de mise en valeur qui ont été privilégiés ? Enfin, quelles ont été les influences partagées du milieu naturel et des hommes dans les changements de l’occupation et de l’exploitation agricole ? Telles sont quelques unes des questions abordées dans la première partie et qui devront, maintenant, trouver une réponse.