I - Nomades et sédentaires

Située dans les marges arides, en bordure du Croissant fertile, la région du lac Jabbûl constitue un espace de contact entre les deux modes d’occupation fondamentaux des régions sèches du Proche-Orient, le nomadisme et la sédentarité.

A - Le mode de vie sédentaire : le poids du milieu naturel

La sédentarité suppose un habitat fixe et permanent. Dans la région du lac Jabbûl, l’habitat actuel est regroupé en petites agglomérations qui se succèdent le long des voies de communication bordant le lac, dans les vallées des plateaux et à leur débouché sur le piémont, au sommet de ces plateaux, aux abords des vallées sèches du nord du lac ou encore éparpillées sur le bas plateau à l’est et au sud-est. Le plus souvent elles se situent en bordure d’un oued. Ces agglomérations sont constituées de maisons généralement en terre, de forme conique, typique des régions steppiques syriennes (planche 9, photo D ; voir également planche 6 et planche 13).

Le mode de vie sédentaire est associé généralement à la culture et souvent à l’élevage. Sur les marges désertiques, il s’agit le plus souvent d’une culture pluviale extensive fondée sur les annuelles (céréales et les légumineuses). Ce mode de culture est presque généralisé au Proche-Orient, notamment parce que les régions arides et semi-arides couvrent une grande partie de la surface exploitable ; c’est également le cas en Syrie où elles représentent 70 % du territoire. Ce qui faisait dire à J. Weulersse, dès les années 1940, qu’‘«’ ‘ en dépit du mirage de l’eau, ce sont les cultures sèches qui constituent le fondement de l’exploitation agricole ’ ‘»’ (Weulersse 1946). Cependant, depuis 1940, l’irrigation, qui existait avant de manière sporadique, a pris une place de plus en plus grande, en particulier avec l’aide de la motorisation. Les zones irriguées se localisent aussi bien dans les larges plaines alluviales des fleuves et des rivières syriens (Euphrate, Oronte, Khabour...), que dans les zones sèches, au cœur des oasis (Palmyre, Damas...), ou encore dans les espaces de marges arides où l’eau des cours d’eau allogènes est acheminée. Pour ce qui concerne l’irrigation, la région du lac Jabbûl correspond à ce dernier cas de figure : elle est alimentée par des dérivations acheminant l’eau du barrage de Tabqa, sur l’Euphrate. Il existe également des sondages profonds (jusqu’à 500 m) qui puisent l’eau dans les nappes phréatiques dont certaine sont fossiles.

Dans la région du lac Jabbûl, l’élevage pratiqué par les paysans sédentaires est confronté à la rareté de pâturage, étant donnée que la plupart des espaces fertiles sont mis en culture. Les secteurs de pâturages (zones de glacis à croûtes calcaires subaffleurantes, berges salées du lac) sont souvent recouverts d’une végétation sporadique qui ne suffit pas toujours à nourrir le bétail. Il existe cependant des fourrages et il arrive que le bétail soit conduit sur les champs en jachère. Mais l’élevage ne constitue qu’un appoint à la culture. Les grands troupeaux sont gérés par les nomades ou les semi-nomades qui ont besoin de beaucoup plus d’espace. Le cheptel est dominé avant tout par les ovins, viennent ensuite les caprins et de rares bovins.

Dans la région, deux modes de cultures sont pratiqués : les cultures pluviales et les cultures irriguées. Les premières sont dominées par les céréales, le blé et surtout l’orge, cette dernière étant plus résistante à la chaleur. Viennent ensuite les légumineuses, et notamment les lentilles et les pois-chiches. La plupart des espaces non réservés à l’irrigation sont cultivés, mais pas en permanence car le système de l’assolement biennal ou triennal existe.

Les espaces irrigués se sont beaucoup étendus depuis 30 ans, à la suite de la construction du barrage de Tabqa (mis en eau en 1973). 120000 ha devaient être mis en chantier pour être irrigués autour du lac Jabbûl. Les travaux ont rapidement débuté autour de Meskéné, à l’est du lac : en 1998, 21000 ha étaient irrigables et 18000 ha étaient irrigués (Jaubert et al. 1999). Le nord et le nord-ouest du lac ont été mis en chantier un peu plus tard. Dans ces secteurs, cultures pluviales et cultures irriguées sont imbriquées, les premières sur les surfaces à croûte calcaire, les secondes sur les glacis à croûte mais possédant un sol épais (vers l’amont) et dans les zones déprimées, vallées sèches et glacis récents, aux sols épais. Les principales cultures irriguées sont le blé, les légumes (tomates, concombre) et les cultures annuelles (maïs, coton).

En direction du sud de la région, les cultures irriguées se font rares. Elles se rassemblent autour du Wadi Abû al-Ghor, ou se concentrent autour de forages profonds (couloir de Monbatah). Les cultures pluviales d’orge dominent alors très largement. Dans la plus grande partie de l’est du lac Jabbûl et au sud-est, la culture pluviale est interdite depuis 1995 (après avoir été temporairement autorisé à partir de 1988), car on se trouve au-delà de la limite administrative des 200 mm de précipitations par an. Nous verrons plus loin que cela n’a pas toujours été le cas. Au milieu du XXe siècle, notamment, les cultures pluviales se sont étendues dans ces zones, avec des conséquences destructrices sur les pâturages 127 . C’est aujourd’hui le domaine des semi-nomades et des nomades.

Notes
127.

Se reporter au chapitre III, III, D.