2 - Le nomadisme en Syrie et dans la région du lac Jabboul : l’évolution récente

En Syrie et dans la région du lac Jabbûl, on distingue essentiellement les « grands nomades » (anciennement chameliers) et les « tribus moutonnières » (Seurat 1980). Seuls les premiers, descendant d’une des deux tribus mères Chammar et ‘Anaza sont de vrais bédouins (badou). Les autres, tribus « inférieures » ne sont que des Chawâyâ, des « éleveurs de moutons ». L’aire de mouvance (dîra = territoire) d’une tribu bédouine s’étend sur 500 km à 600 km, parfois davantage, entre les pâturages d’hiver, les points d’eau pour l’été et les marchés urbains. Nomades de marge par excellence, les tribus moutonnières ont une aire de transhumance qui ne dépasse généralement pas les 50 km (mais qui peut aller jusqu’à 300 km 128 , ces dernières années notamment, du fait de la sécheresse persistance) avec des campements fixes d’été et d’hiver (planche 9, photo B) et des contacts étroits avec les sédentaires (Seurat ibid.).

Une bonne partie des grands nomades à migration périodique sur de longues distances ont évolué vers des déplacements courts et irréguliers voire vers le semi-nomadisme à la fin du XIXe siècle. Dans la région, quelques tribus (les Wuldah et les Fardun notamment, Lewis 1987) se sédentarisent au nord du lac et dans la région du Mateh, sous la pression des autorités ottomanes qui réhabilitent une partie des villages. La sédentarisation forcée, débutée à la fin du XIXe siècle se poursuit au XXe siècle. Les chefs de tribus (Chaykhs) se voient attribuer par l’État une partie des terres de leur dîra, les membres de la tribus devenant leurs métayers. Ils participent dès lors à la vie politique du pays. Le Mandat français systématisera cette implantation des bédouins dans le cadre politique national. En 1958, le code bédouin, qui régissait la conduite des affaires civiles dans la communauté, est abandonné ; les nomades sont désormais soumis aux mêmes lois que les autres citoyens syriens. Au même moment, une première réforme agraire entame le pouvoir des Chaykhs en redistribuant leurs terres entre les membres de leurs tribus (Seurat ibid.). Une seconde réforme agraire, mise en place par le pouvoir Baath dans les années 1965-68, redistribuera de manière plus systématique les terres des tribus et des notables citadins. La sédentarisation s’accélère, favorisée par ailleurs, par la mécanisation qui pousse à étendre les cultures dans les espaces de parcours (cette pratique sera interdite en 1973). Aujourd’hui, la majorité des habitants de la zone steppique réservée à l’élevage (au-delà de la limite officielle des 200 mm de précipitation moyenne par an) sont en réalité des semi-nomades qui possèdent une maison en dur et qui migrent une partie de l’année. C’est le cas dans la zone est et sud-est du lac Jabbûl, où l’on voit, dès la fin du printemps, la plupart des hameaux se vider de leurs occupants qui partent avec leurs troupeaux vers l’ouest, où ils pourront trouver des pâturages et souvent se mettre au service des agriculteurs (dans le Ghab notamment).

Avant l’interdiction stricte de la culture pluviale au-delà de l’isohyète des 200 mm de précipitation moyenne par an (1995), les semi-nomades cultivaient, lorsque les conditions climatiques le permettaient, l’essentiel des surfaces en orge, dans un espace compris entre 200 mm et 150 mm de précipitation moyenne par an, tandis que les troupeaux ne pâturaient que les chaumes (Leybourne 1997). Depuis l’interdiction, les terrains sont réservés aux parcours, mais les dégâts causés par les mises en culture passées les ont rendus très peu productifs, en particulier dans le sud-est de la région (affleurement de la croûte gypseuse). Ils ne représentent plus qu’une très faible partie de la nourriture du bétail, à la fin de l’hiver et au début du printemps (en 1991-1992 seuls 33 % de la nourriture pour le bétail n’était pas achetée ; M. Leybourne ibid.). Le reste est représenté 129 par des aliments en hiver (paille, son, pulpe de betterave et pain pour 83 %), l’orge verte et les chaumes (de la fin du printemps au début de l’été) et les résidus de cultures irriguées (de la fin de l’été au début de l’hiver) (Leybourne ibid.) Certains semi-nomades se sédentarisent définitivement dans les environs du lac Jabbûl et tentent de cultiver des sols gypseux à l’aide d’une eau d’irrigation de qualité moyenne (salinité de 5 g/l en juin 1998) car récupérée dans le Wadi Abû al-Ghor qui canalise les surplus des eaux d’irrigation du secteur de Meskéné, en amont.

Notes
128.

Transport motorisé.

129.

Pour l’année 1991-1992.