II - La région du lac Jabbûl, un espace de marge en mouvement

L’isohyète des 200 mm, défini plus ou moins arbitrairement par l’État 130 , passe au sud du lac et concerne toute la région située au-delà, vers l’est et le sud-est. Or, on l’a vu, c’est dans cet espace que les nomades ont longtemps exploité les parcours tout en cultivant les fonds d’oueds. Les sédentaires y ont pourtant été présents à certaines périodes de l’histoire, et parfois en grand nombre, comme au Bronze ou à l’époque romano-byzantine. Cette occupation s’est-elle traduite par un déplacement de la limite des deux domaines, ou par une interpénétration des deux populations ? En d’autres termes, la venue périodique de sédentaires a-t-elle entraîné le départ des nomades ? Cela n’est pas certain. À l’époque byzantine, par exemple, l’occupation sédentaire à l’est et au sud-est du lac Jabbûl se traduit par la présence de fermes isolées (voir le chapitre II, 2). Il semble donc que la situation ait été suffisamment stable, à cette époque, pour permettre une cohabitation des deux modes de vie. Par ailleurs, en raison de leur localisation dans la steppe aride, l’élevage extensif paraît avoir été une des principales activités de ces fermes. Cela s’est peut-être fait en coopération avec les nomades ou les semi-nomades. C’est le cas également plus au sud-est, dans la région des marges arides étudiées par l’équipe de B. Geyer (voir notamment B. Geyer et M.-O. Rousset, 2001).

Vers le nord et le nord-ouest, les campagnes ont été occupées par les sédentaires avant tout et ce, de manière continue. Il semble cependant qu’à certaines époques les nomades ou les semi-nomades aient pu occuper le secteur. Mais les traces de cette occupation sont très difficiles à percevoir en raison de l’intensité de l’exploitation du sol. Dans cette zone, la forte présence de ces populations aurait été rendue possible, nous semble-t-il, par le départ des sédentaires, notamment à l’époque du Bronze récent et à l’époque islamique. En temps normal, la densité de l’occupation sédentaire, la qualité agronomique des sols et leur intense exploitation auraient rendu difficile la cohabitation permanente des deux populations. Cette cohabitation n’aurait été possible que temporairement, au moment des moissons, suivant le système traditionnel des migrations saisonnières des nomades.

Lorsque l’on parle de cohabitation durable de ces populations, cela sous-entend que les différents groupes humains, les nomades comme les sédentaires, soient présents. Cela implique donc que le contexte naturel et historique soit propice à l’occupation, marqué notamment par un certain équilibre. Dans ce cas, une frontière, relativement floue mais réelle, se met en place entre des secteurs réservés aux parcours, occupés majoritairement par les nomades et des secteurs réservés aux cultures, occupés très majoritairement par les sédentaires. Dans cet espace frontière, les sédentaires peuvent s’installer ponctuellement pour pratiquer un élevage extensif tandis que se développe progressivement une population de semi-nomades. La cohabitation a donc certaines limites ; elle reste soumise à des règles qui constituent les conditions de survie des deux populations. Mais la frontière est mouvante, elle avance ou recule en fonction de l’état du milieu, le contexte socio-politique et le contexte naturel. Dans ce cas, avancées et reculs se font au profit de l’une ou l’autre des populations.

Notes
130.

Se reporter à la première partie et à la conclusion sur le climat (chapitre I, C).