2 - Le rôle de l’eau dans l’agriculture

La pratique culturale dans les régions de marges arides est basée sur la monoculture pluviale de céréales et de légumineuses, avec une rotation jachère - céréales ou légumineuse. Les céréales représentent la majorité de la production car ce sont les cultures alimentaires qui s’adaptent le mieux aux conditions des zones semi-arides du Proche-Orient. En effet, leur période de développement, relativement courte, coïncide avec celle durant laquelle l’humidité est disponible ; elles peuvent par ailleurs s’adapter et supporter des périodes de sécheresse (Perrin de Brichambaut et Wallén, 1964). Les céréales les plus cultivées sont l'orge et le blé dur. L'orge est d’autant plus adaptée à la zone que son cycle végétatif est court, ce qui le met plus souvent que le blé à l'abri de l'échaudage consécutif aux sécheresses printanières (Le Houérou 1974) et qu’il est plus tolérant que d’autres plantes cultivées à la présence de sels dans le sol.

En dehors des céréales, il se pratique, dans les zones les moins sèches, des cultures de légumineuses à graine d'hiver et de printemps (lentilles, pois chiches...). Mais si elles sont capables de se développer sur des périodes relativement brèves, ces cultures demeurent plus sensibles que les céréales à l'insuffisance d'humidité et aux températures printanières élevées (Perrin de Brichambaut et Wallén 1964).

L’équilibre agricole reste donc précaire, car la réussite d’une récolte dépend de la bonne répartition des pluies au cours de l’année, sous réserve, bien évidemment, que les précipitations soient suffisantes en valeur absolue. Or, on l’a vu 134 , d’une part la répartition inter-mensuelle est soumise à une grande variabilité, et ceci est d’autant plus vrai que l’on s’approche des régions arides et, d’autre part, cette irrégularité est maximale au printemps, étape annuelle cruciale pour le mûrissement des céréales.

La solution, pour remédier à ce délicat équilibre fondé sur la dépendance totale aux précipitations, réside dans la pratique de l’irrigation. C’est l’autre rôle fondamental joué par les réserves d’eau. En plus des céréales, qui forment la base de l’alimentation des populations de la région, des cultures vivrières irriguées sont pratiquées pour apporter une nourriture d’appoint tout au long de l’année. (Dans le passée, des puits, des citernes et des qanâts ont été construits dans ce but ; les nappes phréatiques constituaient alors, notamment à l’époque romano-byzantine, une ressource exploitable pour l’irrigation.) Jusque dans les années 1940, l’irrigation fut modeste, fondée sur les puits voire la réutilisation de qanâts, et caractérisée par une culture de jardins. À partir des années 1940-1950, l’irrigation s’est pratiquée de manière plus intensive grâce à l’introduction des motopompes. La construction du barrage de Tabqa, en 1973, lui a fait prendre une ampleur encore plus importante à partir de cette date 135 .

Enfin, l’eau est la ressource première des pasteurs nomades ou semi-nomades qui occupent l’est et le sud-est du lac. La pratique du nomadisme pastoral dans les régions de steppe, aujourd’hui comme dans le passé, est centrée sur l’élevage moutonnier, animaux relativement fragiles pour lesquels une alimentation en eau régulière est indispensable 136 . Cet élevage est centré sur la production de viande et de lait. Les troupeaux sont donc constitués essentiellement de brebis et, une partie de l’année, d’agneaux (entre 3 mois et 5 mois). Dans ce contexte, l’apport d’eau est vital, avant et après l’agnelage. Dans la zone pastorale de la région du Jabbûl, on a vu que les réserves en eau sont assez limitées. Il existe quelques puits, mais ce sont surtout les citernes localisées dans les talwegs qui sont utilisées, aujourd’hui comme dans le passé (notamment aux époques romano-byzantine ou islamique). Ces réserves se constituent de la fin de l’automne à la fin de l’hiver, et doivent permettre aux troupeaux de rester une partie du printemps dans la steppe avant de partir vers l’ouest ou le nord (zone agricole de Meskéné). Mais ces réserves sont bien souvent insuffisantes face à l’augmentation de la taille des troupeaux. La présence de l’Euphrate non loin constitue pour les pasteurs une réserve d’eau supplémentaire qu’ils exploitent aujourd’hui à l’aide de camions-citernes. Ainsi, tous les campements de nomades ou semi-nomades possèdent aujourd’hui une réserve d’eau artificielle qu’il faut régulièrement renouveler (planche 9, photo B). Dès lors se pose, avec plus d’acuité encore qu’auparavant, l’autre question cruciale pour la survie de ces populations, à savoir celle des pâturages.

Notes
134.

Se reporter à la première partie, chapitre I, C, 2 a.

135.

Nous verrons plus loin dans le détail les aménagements agricoles relatifs à ces différentes étapes (se reporter au chapitre II, II, B, 2.

136.

Celle-ci ne doit pas forcément être journalière, si les aliments sont verts. Concernant le bétail, il faut préciser par ailleurs que les moutons sont généralement de la race Awassi. Ils possèdent une queue grasse et épaisse qui peut avoir les mêmes avantages que la bosse d’un chameau. Elle constitue une réserve de graisse utilisable en cas de pénurie alimentaire.