3 - La mise en valeur du sol par les hommes

Le sol est le support de la mise en valeur agricole et on pourrait même dire, après J. Pouquet (1966), qu’il est « le support de toute civilisation ». Sur ce « capital » commun vulnérable, peut naître une situation de concurrence fonctionnelle, entre l’espace nécessaire à la production de subsistance et celui indispensable à l’habitat. Il en résulte, dans une région où les bons sols constituent une ressource relativement rare, comme celle du lac Jabbûl, une localisation des sites parfois à l’écart des meilleures zones de culture, sur des surfaces difficilement cultivables (les croûtes calcaires par exemple). Mais cela est loin d’être une généralité et l’on verra que des grandes agglomérations (Zabad notamment) se situent sur des sols de bonne qualité agronomique.

Les composantes naturelles qui interviennent dans la qualité agronomique des sols jouent donc un rôle déterminant dans la localisation des hommes, à l’échelle régionale, comme à l’échelle locale. À l’échelle régionale, deux composantes naturelles statiques s’imposent : l’aridité du climat et la nature lithologique du substrat. Elles définissent des conditions globales plus ou moins favorables à la mise en valeur agricole. À l’échelle locale, le rôle de l’hydrologie, de la végétation et des formations superficielles, qui varient fortement dans l’espace, définissent les caractères édaphiques du milieu. Il en résulte une série de micro-milieux imbriqués, plus ou moins favorables à l’agriculture (figure 14).

Dans la région du lac Jabbûl, les piémonts des jabals et le glacis nord sont constitués, en partie, de glacis à croûte calcaire parfois affleurante qui forment des supports peu propices à une mise en culture productive. Des surfaces plus récentes sont emboîtés dans ces glacis et possèdent des couvertures meubles surmontées d’un sol épais. Il s’agit de micro-milieux dont les sols permettent une culture plus productive. Dans les plateaux, les fonds de vallées, qui possèdent des sols limono-argileux, épais, à bonne capacité de rétention de l’eau, constituent également de bons supports à la mise en culture (planche 2). Au nord comme au nord-ouest et sur le piémont du Jabal al-Has, ces sols de qualité sont fréquemment réservés à l’irrigation. Des aménagements furent réalisés dès la plus haute antiquité. Ils seront l’objet d’une étude postérieure spécifique (cf. chap. II, II, A, 2). Dans le sud-est de la région, les micro-milieux exploitables par les cultivateurs sont essentiellement représentés par les fonds d’oueds affluents du Wadi Abû al-Ghor, qui bénéficient d’une humidité relative grâce aux écoulements d’inféroflux. Cependant, les mises en cultures pluviales étant interdites dans ce secteur depuis 1995, ces espaces ne sont, en principe, pas cultivés. À l’extérieur des incisions, les terrains constituaient autrefois des terrains de parcours. Mais le surpâturage et les faibles précipitations ont contribué à diminuer considérablement la densité de la végétation depuis les années 1950.

Les espaces favorables à la mise en valeur agricole influencent généralement, dans le détail, la localisation des sites d’occupation dans la région du lac Jabbûl. Les sites sédentaires, lors de la réoccupation de la région à la fin du XIXe siècle, se sont concentrés avant tout au nord, le long des vallées sèches, au nord-ouest, sur le glacis de Sfirat, dans les vallées, sur le piémont et au sommet du Jabal al-Has et dans le couloir de Monbatah. Le Jabal Shbayth a été moins réoccupé. À l’est, l’occupation sédentaire est sporadique. Il s’agit le plus souvent de semi-nomades qui tentent de s’installer définitivement, en particulier aux abords du Wadi Abû al-Ghor, grâce à la présence d’un écoulement permanent. Ils tentent de développer une irrigation, avec des résultats mitigés en raison de la médiocre qualité des sols et de la réserve hydrique. Au sud-est, l’occupation est le fait de semi-nomades qui pratiquent une culture pluviale d’appoint pour leur bétail.

Dans le passé, l’occupation témoignent, selon les périodes, des mêmes choix préférentiels. Seule la densité varie. C’est un choix logique fondé sur le mode de mise en valeur agricole pratiqué et la nature de la ressource. Ainsi, au cours de la période romano-byzantine (l’apogée de l’occupation dans la région), si les sites sédentaires apparaissent plus nombreux qu’aujourd’hui et en particulier dans le sud de la région, les espaces exploités en priorité restent les mêmes (les fonds de vallées notamment) (ce point sera étudié dans la troisième partie). Par ailleurs, toujours à cette époque, les quelques sites sédentaires, qui semblent être vouées à l’agriculture, apparaissent plus loin vers l’est et le sud-est. Mais leur localisation, en bordure des oueds importants, témoigne toujours du rôle joué par la ressource à l’échelle locale : les talwegs constituent des micro-milieux adaptés à la culture pluviale d’orge et sont par ailleurs pourvoyeurs d’eau, ce dont témoigne la présence de citernes.