A - La fin du Paléolithique supérieur - Kébarien et l’Épipaléolithique

La présence d’une dépression fermée à proximité de sites d’occupation n’est pas un cas isolé. Cette configuration s’observe également à Palmyre (Besançon et al. 1997) à El-Kowm (Besançon et al. 1982, Besançon et Sanlaville 1991), à Azraq en Jordanie (Besançon et al. 1989), ainsi qu’en Djézireh (Bottema 1989). Aujourd’hui, toutes ces dépressions sont des sebkhas. Quant à la dépression du Jabbûl à l’heure actuelle, elle ne fonctionne que partiellement comme une sebkha, une partie de sa surface restant en eau toute l’année en raison de l’apport des surplus d’eau d’irrigation.

Cet environnement naturel, centré sur une dépression salée, répulsif au premier abord, s’accorde difficilement avec la présence de sites d’occupation humaine sur son pourtour immédiat. On a vu les modes d’occupation de la fin du Paléolithique supérieur et l’insertion des sites dans leur environnement (voir chapitre II). Rappelons qu’il s’agit de sites de taille modeste, dont un certain nombre sont localisés sur les rives du lac Jabbûl, sur des dépôts éoliens : c’est le cas de 13 sites sur 20. La prospection n’a révélé que sept sites significatifs (possédant un grand nombre d’artefacts lithiques en surface), non localisés sur les berges du lac (figure 44). La répartition et l’importance des sites du Paléolithique supérieur témoignent donc d’une fréquentation, d’autant plus assidue que l’on s’approche des rives du lac Jabbûl, par les hommes de cette époque qui restent des chasseurs (pêcheurs ?)-cueilleurs, se déplaçant au gré de leurs besoins, avec une fréquence qu’il est difficile de déterminer aujourd’hui.

Le nombre de sites sur les rives du lac Jabbûl s’explique par le fait que le lac, bien que salé, a constitué le centre d’attraction de la région pour la faune comme pour les hommes, en tant que dépression recueillant les eaux d’écoulement des secteurs alentours ainsi que des sources localisées sur son pourtour. Au cours de périodes légèrement plus arrosées, des écoulements plus volumineux ont contribué à rendre la nappe d’eau moins salée. Ainsi, est-ce le cas au Paléolithique supérieur, période durant laquelle la dépression du Jabbûl a fonctionné différemment d’aujourd’hui. Des dépôts attestent en effet que jusqu’à récemment (jusqu’à la fin du Pléistocène), il y a eu de longues périodes durant lesquelles la dépression était en eau 172 . Elle a été recreusée lors d’un premier assèchement prolongé, d’où la présence des dépôts éoliens sur les rives de la dépression actuelle. Par la suite des phases légèrement plus humides ont périodiquement rendu vie au lac. L’occupation humaine du Paléolithique supérieur et notamment du Kébarien, dont on retrouve la trace dans les sites situés à la surface des dépôts éoliens, s’est sans doute inscrite dans une de ces phases et a bénéficié d’un de ces moments de répit entrecoupant les périodes d’assèchement du lac. Dans une ambiance générale froide et sèche correspondant au maximum du dernier glaciaire (25000-15000 BP), les phases de récurrence humide 173 pourraient expliquer le lien étroit qui semble se dessiner entre les sites de la fin du Paléolithique supérieur et le lac, à une époque où les hommes sont si dépendants de l’environnement naturel. Mais ces récurrences humides ne semblent pas se traduire, si elles ont eu lieu, par un changement profond dans l’environnement naturel. Aucun marqueur organique ou sol hydromorphe n’ont été observés 174 et il semble que l’ambiance générale reste toujours sèche (action des composantes statiques du climat).

La période de l’Épipaléolithique (17500-10000 av. J.-C. cal.) n’est représentée ici que par un seul site datant du Kébarien géométrique (16500-12200 BP). Il se situe dans l’est de la région, à l’écart de tout cours d’eau (figure 44). Au vu de la typologie des artefacts et de leur faible volume en valeur absolue, il s’agit d’un camp de passage de chasseurs-cueilleurs. Il est surprenant que nous n’ayons trouvé qu’un seul site de cette époque qui fait suite au Kébarien, dont nous avons de nombreuses traces. Il ne semble donc pas y avoir de continuité dans l’occupation de la région entre le Paléolithique supérieur et l’Épipaléolithique. Cette dernière période correspond pourtant à une première phase de réchauffement post-glaciaire au Proche-Orient (Sanlaville 1996). Ce réchauffement ne se serait pas accompagné, dans la région, d’un changement significatif du contexte hydraulique et n’aurait donc pas eu de réelles conséquences sur l’occupation de cette époque, qui dépendait avant tout de la présence de sources. Le lac n’est donc pas redevenu un lieu attractif pour les populations de chasseurs-cueilleurs qui ont recherché les sources et en ont trouvé dans la steppe notamment, au sud de la région du lac Jabbûl (Geyer et al. 1998).

Le Natoufien (12300-10000 av. J.-C. cal.) est, au Proche-Orient, un moment charnière durant lequel débute le processus de sédentarisation. Les premiers sédentaires exploitent les alentours de leur site d’occupation, tout en restant des chasseurs-cueilleurs. Cette période n’est connue dans la région de Jabbûl que de manière anecdotique. Nous n’avons relevé aucun site ; seuls quelques outils apparaissent parfois, associés à d’autres outils d’époques plus récentes. Durant cette période où se prépare la néolithisation, l’économie des hommes relève d’une prédation à « large spectre » (Cauvin 1993, 1997), c’est-à-dire très variée, dans laquelle la cueillette des céréales tient parfois une place importante. La région du lac Jabbûl semblerait tout indiquée pour ce genre d’économie et il est étonnant qu’aucun site de cette période n’ait été trouvé. Cependant, des foyers d’occupation existent à la fin du Natoufien, non loin de la région, sur les rives de l’Euphrate (Mureybet, Abû Hureyra). Dans cet ensemble régional nord - syrien les hommes ont donc probablement préféré la vallée de l’Euphrate parcourue par un cours d’eau pérenne, plutôt que le bassin du Jabbûl et son lac salé.

L’analyse de l’occupation humaine dans notre région à ces époques montre que les hommes se sont concentrés avant tout sur les rives du lac Jabbûl. La période d’occupation principale correspond au Paléolithique supérieur et notamment au Kébarien. La région ne semble avoir été que très peu fréquentée lors de la période suivante de l'Épipaléolithique. Le lac, qui ne constitue plus, à ce moment là, un centre d’intérêt au point de vue hydrologique et faunistique, est délaissé au profit de sources pérennes situées dans la steppe au sud de la région ou le long de la vallée de l’Euphrate 175 . Au Néolithique ce mouvement s’inverse et les rives du lac sont de nouveau investies.

Notes
172.

Les dépressions de Palmyre et de El Kowm, notamment, furent, elles aussi, au moment de l’occupation préhistorique, occupées par un lac (Besançon et al. 1982 et 1997).

173.

De courtes périodes humides ont été notées ailleurs au Levant, en particulier dans le nord du Negev vers 18000-17000 BP (Goldberg 1986), dans le bassin d’Azraq entre 21000 BP et 19000 BP (Garrard et al. 1988 et 1990) ainsi que dans la région de Palmyre où un sol hydromorphe a été daté de 18900+/- 200 ans BP et 19410 +/- 150 ans BP (Besançon et al. 1997).

174.

Il n’en reste en effet aucune trace dans les dépôts de fond de la sebkha. Ceux-ci sont uniquement minéraux et contiennent avant tout des limons, des argiles, du gypse et de l’halite. Données observées d’après un forage réalisé dans la sebkha Rasm ar-Ruam, montrant une accumulation limono-gypseuse, contenant beaucoup de sel, sur 5 m d’épaisseur.

175.

Voir le paragraphe suivant pour la définition.