B - Le Proto-néolithique et le Néolithique

Cette période débute, en Syrie et au Levant, par l’apparition des premières pointes de flèche et des maisons rondes qui ne sont plus seulement en fosse comme c’était le cas au Natoufien. Se fait jour également ce que J. Cauvin appelle la « révolution des symboles » (Cauvin 1989, 1993, 1997) qui se caractérise par l’apparition de figurines féminines et de représentations de taureaux, thème très répandu par la suite dans la symbolique orientale.

Parmi les sites étudiés dans la région, un seul peut être assimilé à la période du Pre-Pottery Neolithic A (PPNA, 9700-8700 av. J.-C. cal.). Il s’agit très probablement d’un camp temporaire de chasseurs, au regard du type d’artefacts laissés sur place (pointes de flèches), de leur faible nombre et de l’absence d’indices d’une habitation permanente 176 . Il n’y a pas d’autres traces relevant de cette période, l’occupation de la région reste donc très peu significative (figure 44).

Cette période, qui ne désigne qu’un horizon chronologique sans signification culturelle précise, constitue une phase fondamentale sur le chemin de la « révolution néolithique ». Pour certains (Cauvin 1993, 1997), c’est alors qu’apparaît une première forme d’agriculture. Pour d’autres (Aurenche et Kozlowski 1999), il ne s’agit que d’une période de préparation à l’agriculture, ce qui justifierait l’utilisation de la notion de « protonéolithique » et d’agriculture pré-domestique. Mais, dans un cas comme dans l’autre, il semble que la dépression du Jabbûl n’ait pas connu de tels bouleversements et ne soit pas concernée par les enjeux de la naissance de l’agriculture.

C’est au PPNB (pour Pre-pottery Neolithic B) (8700-6900 av. J.-C. cal) et plus précisément au PPNB moyen (8200-7500 av. J.-C. cal) que la région est réinvestie de manière plus probante, avec la présence de trois sites dont deux sont relativement importants au vu de l’abondance en matériel lithique (figure 44). Là encore, il semble s’agir de camps de chasseurs (d’après l’abondance des pointes de flèches) 177 , mais l’un de ces sites est également, probablement, un lieu de taille (Tell Monbatah 2) 178 . Deux de ces sites sont localisés sur les berges du lac Jabbûl. Il semble qu’ils aient profité de sources résurgentes au contact du lac. Celui-ci retrouve donc probablement une partie de son attrait de la fin du Paléolithique. Le site de Monbatah 2, quant à lui, est, on l’a vu, localisé sur une plate-forme gypseuse, probablement aux abords d’une source artésienne, au sud de la région.

Les sites néolithiques observés en bordure du lac, tout comme le site de Monbatah 2, datent du PPNB moyen. Le PPNB coïncide, au Proche-Orient avec une phase de récurrence humide appuyée que l’on appelle l’Optimum climatique holocène. Les marqueurs de cet épisode se retrouvent dans la granulométrie des dépôts observés dans la région. Ils sont grossiers au début de l’Holocène, puis s’affinent (limons, sables fins de l’Euphrate) et caractérisent alors, très probablement l’optimum climatique : plus d’humidité et une meilleure répartition des pluies dans l’année. Il faut cependant bien noter que si ces dépôts témoignent sans conteste de conditions climatiques moins arides, l’ambiance générale reste globalement sèche. Le climat ne s’est pas totalement transformé, en tout cas pas suffisamment longtemps pour permettre l’apparition de marqueurs organiques en dehors de secteurs privilégiés comme les vallées des plateaux. L’absence de ces marqueurs, en particulier dans le fond de la sebkha, tout comme l’absence de paléosols dans les secteurs est et sud-est va dans ce sens. C’est aussi le cas dans la région de Palmyre où l’on n’a pas relevé de véritables phases humides durant l’Holocène (Besançon et al. 1997).

Cependant, la modification du contexte morphoclimatique est réel au début de l’Holocène et va de pair avec le retour de l’occupation humaine dans la région du lac Jabbûl au PPNB, après une longue période de présence limitée. Les pluies se répartissent sans doute mieux au cours de l’année et leur volume est en moyenne légèrement supérieur à l’actuel, ce qui a pu permettre, notamment, d’alimenter des sources tout au long de l’année. Il semble que plusieurs sources apparaissent sur les rives même du lac Jabbûl à ce moment. La présence inattendue de ces dernières serait due à la proximité du front montagneux par rapport au rivage. La nappe phréatique du piémont, bien alimentée durant l’optimum climatique holocène, aurait été trop volumineuse au regard de l’espace disponible entre le piémont et le lac. La pression étant trop forte, du fait notamment de la pente, la nappe phréatique aurait été contrainte de sourdre au contact de la nappe salée et plus dense du lac Jabbûl. D’autres se font jours au pied des corniches basaltiques dans le secteur des plateaux 179 . D’autres enfin apparaissent au sud de la région, liées à des phénomènes de résurgence d’eau profonde. Ces points d’eau jouent un rôle central dans la présence humaine et dans la localisation de l’occupation dans la région. Les trois sites PPNB y sont associés, deux sites sur la berge du lac Jabbûl et un site associé à une source artésienne, au sud de la région.

Ce dernier (Monbatah 2), est donc localisé sur une plate-forme gypseuse 180 , dans une zone de sources artésiennes qui fonctionne très probablement au PPNB moyen. Rappelons que ce type d’édifice a été occupé par l’Homme dans d’autres lieux (notamment à El-Kowm et au sud du Jabal Shbayth). On y retrouve des traces d’occupation remontant au Paléolithique moyen (El-Kowm) et au Kébarien (sud du Jabal Shbayth), ainsi qu’au Néolithique (El-Kowm) (Besançon et al., 1982, Besançon et Sanlaville 1991, Geyer 1998, Geyer et al. 1998). La concentration de l’occupation aux abords de ces points d’eau témoigne d’une ambiance climatique qui reste globalement sèche. Les occupants sont des chasseurs-cueilleurs qui se localisent à proximité des points d’eau, là où la faune 181 et la végétation sont abondantes. Le site de Tell Monbatah 2 est un site fréquenté de manière régulière au PPNB moyen par des chasseurs-cueilleurs. Il ne témoigne donc pas du mouvement général de transformation de l’occupation et des comportements qui s’opère à l’époque dans l’ensemble du Levant et en Anatolie du Sud-Est. C’est en effet au début de cette période qu’apparaissent, dans les restes de céréales et d’ossements d’animaux, les changements morphologiques et quantifiables qui permettent de parler de domestication achevée, c’est-à-dire de naissance de l’agriculture (Aurenche et Kozlowski 1999). En revanche, il est plus difficile de se prononcer quant aux sites localisés en bordure du lac Jabbûl. Un des deux sites est un tell qui sera occupé ensuite au Bronze et à l’époque romano-byzantine. Il a pu être occupé par des sédentaires et seule une fouille archéologique pourrait le confirmer. L’abondance des artefacts suggère en tout cas une occupation sinon permanente, au moins régulière. Bénéficiant sans doute d’une source permanente à proximité du rivage, les occupants ont pu développer une agriculture primitive sur le piémont du Jabal al-Has. Ce processus s’est opéré ailleurs, dans le cadre de regroupements d’habitats sédentaires, à l’image du site de Mureybet à l’est de la région, dans la vallée de l’Euphrate.

Dans le cas de ces différents sites du PPNB, on constate que l’environnement naturel a été le moteur de l’occupation au plan local, par l’intermédiaire des points d’eau permanents, plus nombreux qu’à d’autres époques. Cette amélioration des conditions locales serait une conséquence de la situation d’optimum climatique que connaît le Proche-Orient à l’époque.

Des sites datant du Néolithique à céramique (6900 av. J.-C.-6000 av. J.-C.) ont par ailleurs été retrouvés dans la région. Cela ne concerne que le nord du lac Jabbûl (figure 44), où G. Schwartz et son équipe (Schwartz et al. 2000) ont mis au jour cinq sites datant de cette période 182 . Ils sont préférentiellement localisés le long du Nahr ad-Dahab. Il s’agit de tells qui furent occupés ensuite aux périodes historiques (notamment Tell Sbay‘în, et Tell Shirb‘a) ce qui traduit la continuité de l’occupation et le rôle du cours d’eau. La vallée du Nahr ad-Dahab constitue, à l’époque et pour longtemps, un des espaces préférentiels de la mise en valeur agricole du sol dans le nord de la région. La localisation de ces sites, exclusivement le long du Nahr ad-Dahab, pose cependant problème. Il ne paraît pas vraisemblable, en effet, que les hommes se soient concentrés uniquement sur ce cours d’eau, alors qu’au Néolithique, d’autres écoulements fonctionnaient sur le glacis au nord du lac. Il faut sans doute plutôt s’interroger sur la validité de la prospection effectuée par G. Schwartz et al. (ibid.). Il est fort possible que cette prospection, qui a été rapidement réalisée, ait délaissé un certain nombre de sites, dans un secteur qui en compte, par ailleurs, un très grand nombre.

D’après les différentes données qui précèdent, il apparaît possible que la région du Jabbûl ait participé, par l’intermédiaire d’un site localisé en bordure du lac, aux premiers pas de l’agriculture dans cette région de marge aride. Il serait très avantageux de fouiller ce site afin de déterminer s’il s’agit d’un site de sédentaire. L’analyse d’un sol éventuel (micromorphologie, macrorestes végétaux, pollens) permettrait, en outre, de retrouver la trace d’une éventuelle agriculture primitive et de déterminer avec plus de précision le type d’environnement naturel qui caractérisait la région à l’époque. Mais ce site reste une exception dans la région, d’après notre prospection. Il semble que ce soit surtout au moment de l’achèvement du processus de néolithisation que la région connaît une révolution agricole plus généralisée, avec la présence d’un certain nombre de sites appartenant au Néolithique à céramique au nord du lac. Cette révolution locale interviendrait bien après que celle-ci a vu le jour et se soit diffusée dans l’ensemble du Proche-Orient au PPNB récent (7550-6900 av. J.-C. cal.).

C’est à partir du VIIe millénaire av. J.-C., que « tout va se jouer en Mésopotamie » d’après O. Aurenche et S. K. Kozlowski (1999). C’est également à partir de cette époque que la région du lac Jabbûl connaîtra une occupation régulière jusqu’à la période contemporaine, entrecoupée de phases durant lesquelles la présence humaine est très faible (période du Bronze récent, seconde moitié de la période islamique, début de la période contemporaine notamment).

Notes
176.

Se reporter également au chapitre II, II, A, 2, a.

177.

Se reporter également au chapitre II, II, A, 2, a.

178.

D’après F. Abbès.

179.

Voir aussi première partie, chapitre I, D, 1.

180.

Se reporter également au chapitre II, II, A, 2, a.

181.

Aucune fouille portant sur des sites préhistoriques n’a été réalisée. Il est donc difficile de connaître la faune existant à l’époque. On sait par contre qu’à l’époque du Bronze, la steppe est occupée par de nombreux animaux sauvages chassés par les hommes : l’onagre (âne sauvage de grande taille), la gazelle, le lièvre, le renard, la tortue et l’autruche (Schwartz et al. 2000). On peut supposer qu’il en était de même au Néolithique, dans des conditions climatiques un peu plus humides.

182.

Notons que, pour cet auteur, le Néolithique à céramique s’étend de 6000 av. J.-C. à 5500 av. J.-C., c’est-à-dire jusqu’à la première moitié de la période Halaf selon J.-L. Huot (1994).