2 - Le léger repli de l’occupation au Bronze moyen (2100-1600 av. J.-C.)

Il a été relevé 34 sites du Bronze moyen dans la région du lac Jabbûl, contre 52 pour l’époque précédente. La plupart de ces sites (33) sont localisés au nord du lac (Schwartz et al. 2000), tandis que l’on en a observé un seul, dont l’attribution à cette période est sûre, dans la moitié sud de la région (figure 67) 185 .

Pour ce qui est des régions périphériques à celle du lac Jabbûl, la situation est contrastée. Si, dans la vallée du Qoueik, la baisse du nombre de sites est également nette entre le Bronze ancien (43 sites) et le Bronze moyen (35 sites) (Matthers 1981), tout comme dans les marges arides au sud du Jabal Shbayth (96 sites 186 contre 193 sites, Geyer comm. pers.). En revanche, dans la région du Sajour, on a relevé 37 sites du Bronze moyen contre 21 sites du Bronze ancien (Sanlaville éd. 1985).

Ce recul inégal de l’occupation au Bronze moyen pourrait être mis en relation, dans certaines régions, avec la disparition de certaines cités à la fin du Bronze ancien (on peut même parler d’effondrement de la civilisation urbaine levantine durant une centaine d’année d’après J.-C. Margueron et L. Pfirsch, 1996) et avec la concentration de l’occupation dans les espaces les plus riches, tandis que dans l’ensemble, les steppes sèches sont moins occupées. Certains auteurs ont supposé que cet effondrement pourrait être dû à un brutal assèchement du climat, mais cet événement a été récemment vieilli entre 2600 BC et 2300 BC (cal.) (Courty 2002). D’autres raisons ont sans doute joué et en particulier la situation politique de l’époque. En effet, la fin du IIIe millénaire est marquée, dans la région, par les incursions régulières des Amorites, nomades installés sur la frange nord du désert syrien et qui envahissent les pays du Levant et de la Mésopotamie. Il semble que l’effondrement d’un certain nombre de cités-royaumes du Levant (et notamment d’Ébla) entre 2300 et 2200 av. J.-C. puisse leur être imputée. À la toute fin du IIIe millénaire av. J.-C., ils pénètrent à Sumer et vont dès lors contrôler la Mésopotamie, jusqu’à la fin de leur dynastie (1753 av. J.-C.), tandis que des chefs de tribus prennent souvent le contrôle des cités et que se créent de petits royaumes (aussi bien en Mésopotamie qu’en Syrie du Nord) (Margueron et Pfirsch op.cit.).

Dans la région d’Alep les Amorites créent le royaume de Yamhad. À partir de la seconde moitié du Bronze moyen, la région du lac Jabbûl et surtout le nord du lac est soumise à ce royaume (Schwartz et al. 2000). Um al-Marâ, qui reste le site le plus important de la région est probablement la capitale d’un petit royaume vassal de Yamhad. Ouvert sur la steppe, il constituerait en quelque sorte la « ville-porte » à l’est du royaume. Dans ce secteur, l’occupation se maintient à proximité des vallées, tandis que la zone du nord-est est délaissée. La diminution du nombre de sites dans le reste de la région et notamment vers le sud, pourrait s’expliquer pour partie par le fait que le royaume n’est pas suffisamment puissant pour s’opposer aux tribus qui perdurent dans la zone steppique.

Si l’agriculture continue à dominer l’économie de la région du lac Jabbûl, le fait marquant au Bronze moyen est le développement de la chasse à l’onagre, au nord du lac Jabbûl au moins, d’après les études réalisées sur le site de Um al-Marâ (Schwartz et al., ibid.). Cette chasse existait déjà au Bronze ancien, mais elle devient alors prépondérante. Le nombre d’individus trouvés dans le site de Um al-Marâ dépasse largement celui des moutons et des chèvres réunis, à la fin de la période du Bronze moyen. Parallèlement, le rapport entre le nombre des échantillons de plantes sauvages et celui des céréales cultivées montre que les premières diminuent encore au profit des secondes (le ratio tombe au Bronze moyen à 555). Les animaux et les hommes se nourrissent davantage de plantes cultivées (céréales, légumineuses et fourrages). La proportion d’arbres diminue également dans les échantillons relevés sur le site de Um al-Marâ, ce qui indique, selon G. Schwartz et son équipe, un processus de défrichement consécutif à l’extension des cultures. Depuis le Bronze ancien, l’élevage a donc reculé, non seulement au profit de la culture, mais également au profit de la chasse. Ce dernier constat paraît surprenant, la chasse étant davantage une activité d’appoint que l’apport principal en viande, dans une société de sédentaires. Nous verrons plus bas que cette chasse a été probablement une véritable petite industrie fondée sur l’exploitation de troupeaux semi-sauvages. On assisterait donc plutôt à une évolution de la pratique de l’élevage plus qu’à sa réelle disparition. Est-ce à dire, comme le supposent G. Schwartz et al. (2000), que cette période voit la naissance dans le secteur, d’un groupe social spécialisé dans la chasse ? Cette hypothèse est vraisemblable. Cependant, il nous semble aussi intéressant de voir dans le développement de cette pratique, un accroissement des échanges entre des occupants sédentaires cultivateurs et certaines des tribus nomades et semi-nomades de la région ayant développé une technique particulière d’élevage-chasse reposant sur l’exploitation de l’onagre.

L’hypothèse d’un intense développement de l’exploitation de l’onagre dans le cadre d’un élevage de troupeaux semi-sauvages nous paraît devoir être développée. Nous supposons, dans ce cas, que cette exploitation serait menée à l’aide des kites que nous avons relevés dans le Jabal al-Has, qui seraient alors utilisés pour rassembler les troupeaux et sélectionner les bêtes destinées à l’abattage. On sait qu’une partie des kites étaient susceptible de posséder des enclos en pierre à la base, surmontés d’une palissade végétale. Cela aurait suffi à contrôler des animaux tels que les onagres, à l’image de ce qui se fait aujourd’hui avec les rennes (dans des dimensions beaucoup plus modestes) dans le nord finlandais (Échallier et Braemer 1995). D’après ces auteurs, les périodes les plus concernées par l’utilisation de ces structures sont le Chalcolithique et le Bronze ancien. L’exploitation de l’onagre apparaissant dès le Bronze ancien dans la région du lac Jabbûl, il est possible que les kites aient été construits à cette époque et dans ce but, puis aient été utilisés activement au Bronze moyen. Cette hypothèse nous paraît tout à fait vraisemblable ; des fouilles archéologiques permettraient de la confirmer.

Notes
185.

Notons que seuls apparaissent sur la carte, au nord du lac, les sites qui ont été localisés et renseignés par les auteurs de la prospection dans ce secteur (Schwartz et al. 2000). Comme il a déjà été dit précédemment, ces auteurs n’ont pas fourni, dans leur publication, de liste de site et de localisation précise. Dans ce cadre, seuls certains sites ont pu être localisés sans trop grand risque d’erreur.

186.

Il s’agit, là aussi, de sites sédentaires comme de sites nomades.