3 - La faible occupation au Bronze récent (1600-1200 av. J.-C.)

Le nombre de sites datant du Bronze récent est plus faible qu’aux époques précédentes. On n’en compte seulement 11 dans la région, tous localisés au nord du lac (figure 68) 187 . Cette diminution de l’occupation est également très forte dans la région des marges arides située au sud du Jabal Shbayth. Il ne reste en effet dans ce secteur que 5 sites de cette période (Geyer, comm. pers.) Cette diminution pourrait sembler paradoxale puisque l’on sait que les quatre derniers siècles du Bronze (1600-1200 av. J.-C.) constituent, pour de nombreuses autres régions (la Mésopotamie et le littoral levantin par exemple), une période au rayonnement exceptionnel. Mais la région représentée par la Syrie intérieure actuelle fait ici exception, touchée par ce repli de l’occupation. Dans le nord, on le constate de façon évidente (voir le tableau 5). Certains auteurs supposent qu’une telle situation reflète le développement de la nomadisation (Wilkinson 1998). Mais les causes elles mêmes de ce phénomène ne sont pas connues.

La région située entre l’Euphrate et la Méditerranée, la Syrie d’aujourd’hui, continue à vivre dans l’émiettement de ses multiples cités qui se sont reformées au Bronze moyen et qui sont incapables de se fédérer ou de s’organiser en un royaume assez puissant pour tenir tête aux ambitions des voisins (voir les lignes suivantes). Les cités florissantes d’alors (Alep, Hama, Homs, Emar, Ugarit, Byblos) semblent davantage occupées à développer leurs activités commerciales qu’à renforcer leur défense militaire (Margueron et Pfirsch 1996). Avec ses côtes ouvertes sur la Méditerranée, la région de la Syrie actuelle se situe donc au cœur du système d’échanges qui se développe alors. Elle va devenir le champ des rivalités internationales, coincée entre l’empire hittite au nord, dont le seul débouché vers le sud-est passe par la Syrie du Nord, le royaume du Mitani et l’Assyrie à l’est et l’Égypte au sud, intéressés entre autres par le bois des forêts côtières de Méditerranée. Alep elle-même est au carrefour de ces ambitions croisées. Nul doute que cette position a eu un impact décisif sur l’évolution de la région de Jabbûl. L’insécurité croissante a-t-elle poussée une partie des habitants au nomadisme ? Il est difficile pour nous de discuter cette thèse de Wilkinson (op. cit.) à partir de l’étude de la région de Jabbûl. Elle est sans doute partiellement juste, mais l’insécurité grandissante a pu simplement pousser une partie des occupants à migrer vers des contrées plus stables.

Cette période est également marquée par une modification de l’environnement naturel qui se traduit par un changement de la dynamique des cours d’eau et par le dépôt, à la fin du Bronze moyen ou au début du Bronze récent, d’une terrasse, observée sur l’Euphrate (Geyer 1999 a) et dans le nord de la région, dans le bassin-versant du Sajour (terrasse datée du Bronze sans autre précision, J. Besançon et P. Sanlaville 1985). Dans la région nous n’avons pas observé cette formation, mais l’absence de vallée possédant un cours d’eau au débit important, capable de transporter et de déposer un grand volume d’alluvions, peut l’expliquer. Il existe des dépôts de glacis récents, mais leur datation est délicate, en particulier parce que ces dépôts se superposent et que les moyens de datation sont rares. La mise en perspective de cet événement mal daté reste donc difficile dans la région. On peut quand même supposer que le changement de dynamique qu’il traduit (après une phase d’incision) est due, au moins pour partie, à une légère évolution du climat vers l’aride. Cette modification alliée à une migration des occupants (pouvant amorcer une érosion des sols) auraient conduit à l’édification des terrasses.

La migration des habitants de la région s’expliquerait alors par la conjugaison de la péjoration climatique et de l’accroissement de l’insécurité. Quant à savoir la destination des migrants et leur éventuelle adoption du mode de vie nomade, les données sont encore trop limitées pour se prononcer.

Notes
187.

Pour la cartographie des sites dans le nord du lac, voir la note 185.