4 - Le rôle de l’agriculture spéculative

D’après les données paléobotaniques et les ossements d’animaux analysés par l’équipe d’archéologues fouillant à Um al-Marâ (Schwartz et al. op. cit.), on sait que les produits agricoles dominants étaient les céréales et les ovins-caprins et que la chasse à l’onagre a pris une place importante. Des restes de plantes en plus faible quantité ont également été trouvés, tels que des figues, des olives et de la vigne. Pour G. Schwartz et al. (ibid.), ces plantes n’ont pas été cultivées localement mais ont été importées. Cette idée repose sur le fait que le volume de ces restes de plantes est faible et que les conditions climatiques ne seraient pas réunies, dans la région du lac Jabbûl, pour cultiver l’olivier.

Cette interprétation nous paraît discutable, en particulier ce dernier argument, puisque l’on sait qu’avec un minimum d’irrigation et dans les conditions de température qui caractérisent la région, la culture des oliviers et surtout de vigne y sont possible, ce dont témoigne d’ailleurs les plantations actuelles d’oliviers sur les pentes du Jabal al-Has et dans le couloir de Monbatah. Cette question est pourtant fondamentale, car il semble bien que le royaume de Yamhad ait été, au Bronze moyen, un important exportateur d’huile d’olive et de vin vers un certain nombre de grandes villes, le long de l’Euphrate et vers le sud de la Babylonie notamment (Michel 1996). Les archives de Mari confirment, dans un premier temps, l’importance de cette route commerciale, en particulier le tronçon Alep-Emar (Meskéné) puis Mari, ou Alep-Carkémish-Emar-Mari, ainsi que le rôle joué par la cité d’Emar dans la redistribution des denrées commerciales (Joannès 1996) (et voir l’introduction du chapitre III). Les produits agricoles qui dominent les importations mariotes sont, outre le blé qui ne provient pas de Yamhad, le vin et l’huile d’olive qui transitent par Carkémish ou Emar en provenance de l’ouest. Il n’est pas sûr que l’huile d’olive ait été importée exclusivement des environs d’Alep, car des accords commerciaux avaient été passés avec la ville de Alahtum, dans la région de l’Amuq (Michel op. cit.). En revanche, le vin provient bien du Yamhad et probablement, au moins partiellement, de la région du lac Jabbûl.

Ces données d’ordre historique nous permettent de supposer qu’en plus des céréales et de l’élevage, la région d’Alep possède, à l’âge du Bronze, une agriculture spéculative dont la vigne et dans une moindre mesure l’olivier sont les pièces maîtresses. La vigne aurait pu être cultivée dans les secteurs de plateaux, sur les terrasses relevées parfois (comme à ‘almûdîat, dans le Jabal al-Has). Dans la région d’Ébla, localisée, il est vrai, plus loin au sud-ouest (à 70 km environ du lac Jabbûl), L. Milano (1996) montre, à partir des archives de la ville, qu’une agriculture mixte, fondée sur la culture pluviale de céréales et de légumineuses, sur la culture spéculative de vignes et d’olives et sur l’élevage voit le jour dans la région, à partir du IIIe millénaire av. J.-C. La production agricole repose alors sur de grandes exploitations qui possèdent terres et personnel en abondance ainsi qu’un grand nombre de tête de bétail (un des exemple cité par l’auteur parle de 600 ovins pour une exploitation). Il y a donc non seulement développement d’une culture spéculative de vin et d’olive, mais également de viande. Cette pratique agricole spécifique a très probablement existé dans la région du lac Jabbûl : culture pluviale, élevage, élevage-chasse ( ?) attestés, présence d’enclos, de terrasses construites… L’organisation de cette mise en valeur, notamment au point de vue de l’habitat, de sa hiérarchisation et des pratiques associées qui se dessine pourra être précisé encore dans le cadre d’une étude archéologique systématique. Il n’en demeure pas moins qu’un développement important de l’agriculture a bien lieu à cette époque. Il se fait très probablement en relation avec l’accroissement des échanges et du commerce. Le troisième millénaire est en effet marqué, selon J.-L. Huot (1989), par le début d’une première « mondialisation » de l’économie (ou « économie monde »), dans laquelle la société sumérienne fait office de plaque tournante, du Pamir à l’Égypte, par l’intermédiaire des cités syriennes (Ébla notamment).