1 - Le déclin progressif de l’occupation à la fin de la période byzantine

a - La fin de la période byzantine et l’époque omeyyade : nomadisation et léger repli de l’occupation sédentaire

La fin de la période byzantine voit se produire une transformation partielle de l’occupation dans la région du lac Jabbûl : dans le sud de la région, une partie des sites sédentaires sont abandonnés au profit d’une occupation temporaire (figure 72 et figure 73). Cette occupation est le fait d’éleveurs nomades ou semi-nomades qui s’installent souvent dans d’anciens secteurs délaissés par les sédentaires. Ils occupent des fermes isolées ou d’anciens hameaux abandonnés dont ils utilisent les vestiges pour construire leurs enclos. Ils occupent également les versants aménagés en utilisant les terrasses de culture pour la construction de leurs enclos, tout comme les plate-formes de culture localisées dans le fond des vallées, en bordure d’oued. Les petits enclos qui accompagnent une partie de ces sites sont des cercles de petite dimension (moins de 20 m de diamètre), construits en pierres et utilisés pour garder une partie du bétail 205 (nous en avons relevé 29 en tout, mais tous n’ont pu être datés faute de tessons de céramique). Ces constructions apparaissent dès la fin de la période byzantine, ce dont témoignent les tessons de céramique trouvés dans ou à proximité des cercles de pierres, sans pour autant que ceux-ci ne soient systématiquement localisés sur d’anciens sites byzantins. D’après la céramique retrouvée dans certains de ces aménagements, ce mode d’occupation se poursuit au cours de la période islamique, jusqu’à l’époque abbasside et peut-être postérieurement.

Les cercles de pierres ne sont pas l’unique témoignage de l’occupation temporaire. À l’est et sur la berge nord du lac, des traces d’occupation dont témoigne la présence de quelques tessons de céramique ont été relevées (figure 47). Il s’agit de 23 sites, dont seuls 8 ont pu être datés avec certitude grâce à une céramique significative en type et en nombre. Ceux-ci datent également de la période byzantine et des débuts de la période islamique (omeyyade et abbasside). La présence de ces sites confirme le fait que l’occupation nomade ou semi-nomade, en dehors des sites constitués de cercles de pierres, fut une réalité dès l’époque byzantine et durant une partie des périodes suivantes. Plus au nord, en revanche, G. Schwartz et al. (2000) n’ont pas relevé de sites temporaires dans leur prospection. Cette absence peut s’expliquer par le fait que la recherche de sites de nomades ne constituait pas réellement l’objectif des auteurs de cette prospection, tout comme lors de la précédente (Maxwell-Hyslop et al. 1942). Par ailleurs, la mise en valeur agricole ayant été intense depuis les années 1950, il est aujourd’hui difficile d’observer les restes de l’occupation nomade. Pourtant, dans un secteur agricole riche comme l’est le nord de la région à cette époque, il est fort probable que les nomades, localisés dans la steppe toute proche, aient cohabité avec les sédentaires à la fin du printemps et en été, afin de profiter des chaumes pour nourrir leurs troupeaux.

L’évolution progressive des modes d’occupation à la fin de l’époque byzantine, qui se traduit par l’apparition de sites de nomades et l’abandon de quelques sites sédentaires, ne concerne que la partie sud et est de la région. Ce phénomène est soit la marque d’une nomadisation de certaines populations sédentarisées, soit celle de l’arrivée de nouveaux nomades et du retrait de certains sédentaires vers l’ouest et le nord. Il semble en tout cas être la conséquence de la dégradation des conditions de mise en valeur agricole tant au plan naturel (fin de l’optimum climatique) que politique (conquête arabe) à la fin de l’époque byzantine. Cette dégradation affecte d’abord les zones les plus sensibles, c’est-à-dire le sud-est et l’est de la région, à la marge désertique. Le nord de la région, quant à lui, conserve une stabilité socio-économique, garantie par la présence de nombreux sites sédentaires et d’une plus grande densité d’habitants d’une part et par un potentiel agricole plus riche d’autre part (figure 14).

Ce phénomène de nomadisation et de migration, amorcé à la fin de la période byzantine, reste encore très limité au cours de la période suivante (omeyyade). On assiste plutôt à une permanence dans l’occupation et dans la mise en valeur, avec notamment la persistance de sites sédentaires à l’est et au sud de la région. La conquête arabe ne s’accompagne donc pas d’un reflux massif des populations. Bien au contraire, la période omeyyade connaît une occupation sédentaire toujours importante, même si elle l’est un peu moins qu’auparavant, avec la présence de 73 sites sédentaires, 52 au nord (contre 53 auparavant) (Schwartz et al. 2000) et 21 dans le reste de la région, en particulier au sud-est (figure 73) (pour les raisons déjà évoquées, la carte ne reflète pas entièrement la densité de l’occupation ; voir note 185). Quelques sites temporaires (4 cercles de pierres) sont fondés sur d’anciens sites byzantins sédentaires. Mais la plupart des sites d’occupation sont encore sédentaires et se localisent dans les anciens villages byzantins, à une exception près. Il y a donc une permanence de l’occupation sédentaire entre la fin de la période byzantine et la conquête arabe dans le secteur. Cette permanence spatiale confirme l’idée selon laquelle la conquête arabe s’est réalisée de manière relativement pacifique, seuls les dirigeants politiques ayant été remplacés.

Durant la période omeyyade les pratiques agricoles se maintiennent seulement partiellement. Comme on a pu le constater, dans le secteur du Jabal Shbayth en particulier, les terrasses de culture sur versant sont parfois occupées par les enclos des nomades. Il semble donc que cette activité soit progressivement délaissée, du fait sans doute de la dégradation du contexte climatique et de l’absence de débouchés commerciaux. En effet, les conditions politiques ne se prêtent pas au maintien d’une activité commerciale vouée à l’exportation, en raison de l’insécurité qui s’instaure progressivement dans la région et de la désorganisation des circuits commerciaux vers les grandes cités byzantines. Les pratiques agricoles se concentre donc davantage sur des cultures de subsistance, orge, légumineuses et peut-être blé ; ces deux dernières cultures possiblement irriguées dans certains secteurs. À côté de ces pratiques, l’élevage tient une place importante, en particulier dans les secteurs les plus secs (sud et sud-est) où les conditions de mise en culture sont plus difficiles. Enfin, il ne faut pas négliger la possibilité qu’une culture arboricole se soit maintenue plus longuement dans le secteur nord du Jabal al-Has.

Notes
205.

Se reporter également au chapitre II, II, A, 2, b.