3 - La très faible occupation de la région du lac Jabbûl durant la période ottomane

Les invasions mongoles répétées durant le XIVe siècle et au tout début du XVe siècle (sac d’Alep et de Damas par Tamerlan en 1400-1401) achèvent de vider les marges steppiques des paysans sédentaires et de les laisser sous le contrôle des nomades. Dès la seconde moitié du XVe siècle, le régime mamelouk est fragilisé, en particulier parce que des rivaux puissants apparaissent. Les Ottomans s’emparent de Constantinople en 1453, puis vont se heurter aux Mamelouks. En 1515 la défaite du sultan ouvre la Syrie et l’Égypte à la conquête ottomane qui sera achevée en 1516, par Soliman « le Magnifique ». Dès lors s’ouvre une ère de stabilité relative en Syrie du Nord, en particulier parce que les frontières sont repoussées bien plus loin que cela n’était le cas à l’époque mamelouke. Alep fait partie de l’armature administrative établie dans l’Empire par les Ottomans en devenant le chef lieu administratif du nord de la Syrie. Dès le XVIe siècle, la ville profite de l’ouverture des ports ottomans aux Européens pour devenir une étape obligée sur la route de Bagdad dans un sens et de Stamboul dans l’autre. Au XVIIe siècle, Alep est le marché principal de tout le Levant (ce dont témoignent les nombreux comptoirs commerciaux). Au siècle suivant, la situation de l’Empire devient plus instable, il subit en effet une double pression, européenne et perse, à laquelle s’ajoutent d’importants troubles intérieurs.

La situation apparemment privilégiée des XVIe et XVIIe siècle ne favorise pas le développement des campagnes de Syrie du Nord et en particulier des campagnes de l’est d’Alep. Ce secteur, auquel appartient la région du lac Jabbûl, a été vidé de sa population par les incursions mongoles au XVe siècle. Depuis, les sédentaires n’ont pas réinvesti ces zones qui n’ont pas été totalement sécurisées et dans lesquelles se maintient la menace du brigandage nomade, voire de celui de troupes de déserteurs de l’armée ottomane. Les alentours d’Alep et notamment la région du lac Jabbûl sont donc déserts et les campagnes sont laissées à l’abandon 209 . Les répercussions sur la ville d’Alep sont alors très vives, avec de fréquentes famines au XVIIIe siècle 210 . Cependant, la présence des salines de Jabbûl renforce plus que dans le reste des campagnes de l’est d’Alep, la surveillance militaire. On retrouve notamment les restes de petits postes militaires à Khanasir et à Jabbûl (figure 75). Cette surveillance a cependant peu d’influence sur l’occupation sédentaire puisque seul un site semble être occupé de manière permanente en dehors des deux petites garnisons que nous venons d’évoquer. La région est alors occupée périodiquement par des nomades. Mais là encore, les traces sont rares, en dehors de deux groupes de cercles de pierres observés dans les plateaux. Cependant, la réalité de la présence humaine n’est sans doute pas reflétée par les rares sites retrouvés dans la région. Il est fort possible que ce secteur ait continué a représenter un milieu tout à fait attractif pour les nomades au moins, qui y menaient saisonnièrement paître leurs troupeaux dans des pâturages de qualité (figure 75).

Notes
209.

J. Sauvaget (1941, p. 194) cite des témoignages eux-mêmes rapportés par des auteurs plus récents (XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles) qui vont dans ce sens. « Ceux de nos négociants qui ont 20 ans de résidence ont vu la majorité des environs d’Alep se dépeupler. Les cultivateurs ont fui dans la ville » (dans C.-F. Volney 1787, II, p. 49) ; « Les arabes sont les maîtres des campagnes : les villages sont déserts » (dans H. Guys 1862, p. 156). N. Lewis (1949, p. 285) rapporte des observations similaires de voyageurs anglais de la fin du XVIIe siècle qui constatent qu’à l’exception des bédouins, la région est presque déserte.

210.

Les alentours d’Alep seraient même revenus à l’état de friche, selon des témoignages rapportés par J. Sauvaget (1941, p. 194).