1 - Typologie de l’occupation actuelle

L’importance de la ville d’Alep pour toute la Syrie du Nord en général et pour la région du lac Jabbûl en particulier s’est accrue au cours du XXe siècle. La ville fut un temps la plus peuplée de Syrie et surtout un centre industriel et commercial qui ne cessa de se développer. En 1994 elle compte 1,5 millions d’habitants (Bianquis et David 1996), contre 75000 à la fin du XIXe siècle selon E.-G. Rey (1873). Ce foyer de population a nécessité, comme par le passé, le développement des campagnes périphériques pourvoyeuses de denrées alimentaires. C’est dans ce cadre que la région du lac Jabbûl s’est considérablement développée sur le plan agricole et ce encore plus fortement au cours des trente dernières années qui ont vu l’irrigation se développer de manière intensive.

Mais laissons de côté cette grande cité qui n'est pas directement située dans notre zone d'étude et rapprochons-nous du lac Jabbûl, sur le pourtour duquel on peut distinguer plusieurs ensembles caractérisés par des densités de populations et des types de peuplement spécifiques.

Toute la zone nord et nord-ouest montre un peuplement dense, en habitat dispersé, sous forme de nombreuses agglomérations de petite taille (figure 76) (planche 9, photo C), fortement peuplées dès le début du siècle, avec une moyenne de 100 habitants par agglomération en 1914 (Lewis 1987). Deux petites villes s'individualisent : Sfirat au nord-ouest, sur la route reliant Alep à Palmyre et Dayr Hâfir au nord-est, sur la route de l'Euphrate. Ces deux agglomérations se sont développées très récemment, à la faveur de l’extension de l’irrigation dans la région. Sfirat, qui a déjà été évoquée, semble avoir toujours été une bourgade de relative importance dans le passé : en 1860 elle constituait le dernier village de la Mamoura, avec encore 4000 habitants, tandis qu’en 1956 elle possédait 14000 habitants (Hamidé 1959). Aujourd’hui, c’est une petite ville d’environ 40000 habitants. Quant à Dayr Hâfir, elle paraît n’avoir jamais été un centre important avant aujourd’hui, probablement en raison de la proximité de nombreux autres sites qui rayonnèrent en leur temps (en particulier Um al-Marâ). Dans cette zone, la population est formée d'agriculteurs sédentaires.

La partie réunissant le sud-ouest et le sud forme un second foyer de peuplement d'importance moyenne. Les nombreuses petites agglomérations se localisent aussi bien dans les vallées que sur le piémont, au bas des versants et sur la rive ouest du lac Jabbûl, le long de la route (figure 76). Les habitations sont des petites maisons dont la morphologie en pain de sucre (planche 9, photo D ; voir aussi planche 6 et planche 13), typique de la steppe syrienne, témoigne d’une architecture traditionnelle probablement très ancienne. Seule une bourgade possède une relative importance, d’ailleurs bien plus symbolique (héritée du début du XXe siècle) que réelle aujourd’hui : il s'agit de Khanasir, dans le couloir de Monbatah. La grande majorité de la population des secteurs sud-ouest et sud est constituée d’agriculteurs sédentaires exploitant les sols fertiles des piémonts. Ces populations sont constituées, pour la plupart, par d’anciennes familles de bédouins sédentarisés. La ville de Khanasir est un cas particulier car elle est habitée majoritairement par des populations d’origine tcherkesse (originaires du Caucase) déplacées de force à la fin de la période ottomane. L'habitat est dispersé en nombreuses petites agglomérations faiblement peuplées (il n’existe pas de statistiques précises sur le nombre d’habitants par village).

Un troisième secteur correspond aux parties est (entre le lac et la zone irriguée de Meskéné) et sud-est du lac. Le nombre d’habitants est faible et l'habitat très dispersé, sous forme de petits groupes de quelques habitations (figure 76). Ces hameaux sont occupés, le plus souvent, par des pasteurs semi-nomades (planche 9, photo B), mais il existe également des nomades sédentarisés (planche 9, photo A).

Les secteurs occupés par les sédentaires sont les mêmes que lors des principales périodes d’occupation de la région. Par contre, la densité de cette occupation varie, en raison de la généralisation de l’irrigation qui a rendu ces secteurs agricoles plus productifs et donc plus attractifs. Il est rare que les villages actuels ne réoccupent pas d’anciens sites sédentaires, en particulier des sites byzantins. Dans la partie la plus sèche de la région en revanche, ce sont les semi-nomades qui fréquentent les anciens sites sédentaires ou semi-sédentaires, en particulier parce que l’on y trouve des citernes qu’ils réhabilitent. Les anciens sites de nomades sont également réoccupés par les nomades ou les semi-nomades actuels car ils y trouvent aussi des citernes qu’ils remettent en usage.