1 - La réalisation de la carte des sols

La carte des sols a été réalisée à partir de l’image Landsat TM de février 1997. L’utilisation d’une image d’hiver, saison humide dans la région, permet de percevoir un plus grand nombre de différences dans les types de sols en fonction de leur humidité. Or c’est principalement ce qui nous intéresse, puisqu’il s’agit de mettre en évidence le potentiel agricole des sols qui dépend, en grande partie, du degré d’aridité édaphique. La carte des sols a été réalisée en suivant un certain nombre de traitements.

Dans un premier temps, nous avons opéré une correction géométrique de l’image à l’aide d’une image satellitaire Spot de la région, elle-même déjà géoréférencée. Ce travail a été réalisé à l’aide du logiciel Er-Mapper. Il s’agissait de repérer un certain nombre de points (appelés points d’amer) identiques aux deux images, puis de redresser l’image Landsat non géoréférencée à partir de ce faisceau de points. Dès lors, il était possible de superposer à cette image des données spatialisées dans le même système de référence.

L’image a ensuite été rehaussée à l’aide d’un étirement d’histogramme linéaire. Il s’agit d'améliorer la qualité de l'image afin de la rendre plus aisément interprétable en travaillant, en particulier, sur les contrastes. La lisibilité de l'image est améliorée en jouant sur la dynamique des valeurs radiométriques. Il est en effet possible de connaître l'histogramme des valeurs radiométriques de l'image. Généralement, celles-ci ne sont pas réparties sur l'ensemble des niveaux de gris disponibles (256). L'opération consiste donc à transformer l'amplitude du signal (valeurs radiométriques) de chacun des pixels de l'image, afin que l'ensemble des amplitudes occupe la totalité des valeurs de gris. Ce traitement constitue un étirement d'histogramme.

Il faut ensuite opérer une transformation d’image, toujours dans le but de mettre en valeur certains aspects de l’image pouvant nous être utiles lors de la réalisation de la carte des sols. Cette mise en valeur peut être réalisée en opérant des calculs entre plusieurs bandes spectrales. Ces calculs sont parfois normalisés, il s’agit alors d’indices. Dans le cadre de l’étude des sols, c’est l’indice de rougeur qui a été utilisé en raison de sa capacité à mettre en évidence les caractéristiques du sol en évitant les influences de la couverture végétale.

Indice de rougeur (IR) = Cr - Cv/Cr + Cv

(où Cr et Cv sont les canaux du rouge et du vert)

L’image obtenue a ensuite été soumise à un filtre de moyenne. Le filtre a pour but d’homogénéiser l’image et de supprimer les informations trop dispersées et parfois erronées (le bruit). Il se présente généralement comme une « fenêtre » mobile de plus ou moins grande dimension (3 5 3 pixels jusqu’à 7 5 7 pixels) contenant des chiffres dont la valeur varie en fonction du type de filtre et de l’image. Ici l’image doit être lissée. Les filtres utilisés dans ce but sont des filtres appelés passe-bas. La fenêtre coulissante (le filtre) balaye l’image et calcule la valeur du pixel central en fonction de la moyenne, de la médiane ou du mode. Un filtre de moyenne (3 5 3) a été choisi car l’image ne possédait que peu de bruit.

Enfin, cette image a été analysée. Cette étape finale consiste à faire une classification, c’est-à-dire à regrouper des ensembles de pixels similaires en classes afin de catégoriser plus aisément la nature des objets qu’ils représentent. L’objectif d’un classement est de parvenir à une simplification radiométrique de l’image brute afin de la rendre plus facilement interprétable, tout en essayant de faire correspondre au mieux la réalité radiométrique et la réalité thématique. La difficulté d’une classification réside dans le risque de perte d’information, car une classe représentant un intervalle spectral délimité peut recouvrir plusieurs objets. Il peut donc y avoir confusion et ce d'autant plus que la résolution spatiale est grande.

Pour effectuer la reconnaissance des sols, nous nous sommes fondés sur les valeurs radiométriques : il s’agit donc d’une classification spectrale (Robin 2002). Huit classes de sol, fondées sur la réflectance 221 des surfaces, ont été définies. On s’est appuyé pour cela sur les critères de différenciation des sols (Girard et Girard 1999). La couleur et la brillance d’un sol varient en fonction de quelques éléments fondamentaux. Plus un sol contient d’humidité, de matière organique, de fer et plus il sera sombre (faible réflectance). Plus un sol est rugueux (labouré), et plus il sera sombre également. À l’inverse, plus un sol contient de calcaire, de sels (halite et gypse notamment) et plus il est lisse et sec (croûte de battance, affleurement de roche calcaire…) : il est donc d’autant plus clair sur l’image (forte réflectance). La localisation des surfaces interprétées et la connaissance du terrain affinent ensuite l’analyse.

Les huit classes définies sont les suivantes :

  1. Sol irrigué ou très humide ou labouré et humide (à forte capacité de rétention en eau), argilo-limoneux, carbonatés, contenant des argiles de néoformation (secteur des plateaux du al-Has et du Shbayth) ou contenant du sulfate de calcium (secteur de la ferme de Meskéné).
  2. Sol épais, humide, argilo-limoneux, labouré, carbonaté ou sulfaté, contenant des argiles de néoformation (secteurs du al-Has et du Shbayth).
  3. Sol moins épais et moins humide que le précédent, limoneux, constitué de carbonate de calcium et de sulfate de calcium.
  4. Sol peu épais, mais possédant une bonne capacité de rétention en eau, sablo-limoneux, contenant une forte proportion de carbonate de calcium et de sulfate de calcium.
  5. Sol peu épais, à dominance sablo-limoneuse, possédant une faible capacité de rétention en eau, contenant une forte proportion de carbonate de calcium et de sulfate de calcium.
  6. Sol très mince, sablo-limoneux et caillouteux, à la capacité de rétention en eau très limitée, très carbonaté et très gypseux.
  7. Roches, croûtes calcaires ou gypseuses affleurantes ou subaffleurantes.
  8. Hors classe (zone nuageuse).

Les valeurs radiométriques de ces classes se recoupent parfois, mais les histogrammes montrent que ces recoupements concernent des valeurs dont le nombre d’occurrences est faible dans chaque classe concernée (moins de 5 %, ce qui est acceptable dans le traitement d’image, voir notamment M.-C. Girard et C. Girard, 1999). En supprimant ces valeurs, les intervalles de classes sont les suivants (tableau 7) :

Tableau 6 : Les intervalles de valeur de gris des classes de sol
numéro des parcelles Nom des parcelles Intervalles de valeur
1 treshum 34-44
2 hum 49-54
3 moyhum 55-59
4 peuhum 59-62
5 sec 63-78
6 tresec 78-94
7 croute 98-114
8 nosol 107-185

À partir de cette série de classes, nous pouvons classifier l’image en utilisant diverses fonctions discriminantes. Une des plus courantes, lorsque l’on connaît les paramètres statistiques associés aux classes, est la segmentation par maximum de vraisemblance. Elle consiste, après avoir déterminé les différents échantillons de classes (appelés parcelles d’entraînement) à affecter les pixels aux échantillons les plus proches selon une distance basée sur la probabilité qu’a un pixel d’appartenir à une classe donnée. C’est cette fonction que nous avons choisie car, en se fondant sur les probabilités, le risque d’erreur (de pixels mal classés) est moindre que dans d’autres classifications. En effet, l’approche probabiliste substitue à la signature spectrale d’un pixel, décrite par une simple polyligne (classification par hypercubes par exemple), le comportement spectral décrit par une distribution de probabilité centrée autour d’un comportement spectral moyen (Girard et Girard 1999).

Au final, d’après la matrice de confusion (figure 82), la classification est bonne. En effet, 98 % des pixels de l’image sont bien classés (la limite est fixée généralement 85 %). Par ailleurs, la précision n’est pas seulement globale, car on constate que dans chaque classe, les pixels ont également été bien classés.

La carte obtenue (figure 12) permet de visualiser les grands ensembles de sols en fonction des critères définis plus haut. Ces critères sont les plus pertinents pour l’étude des sols, mais ils peuvent néanmoins induire en erreur. Ainsi, les sols oranges (sablo-limoneux peu épais et peu humides) sont les plus répandus, depuis l’est vers l’ouest. Cela est dû avant tout à la faible pluviosité de ces dernières années. Les sols dont la capacité de rétention en eau varie de l’ouest vers l’est, n’ont pas pu se différencier fortement (mis à part les sols de fonds d’oueds ou les sols arrosés). C’est ainsi que les sols du couloir de Monbatah se trouvent dans la même classe qu’une partie des sols de l’est du lac. Or on sait que les sols de l’est du lac sont moins épais, moins bien structurés et possèdent une plus faible capacité de rétention en eau que ceux du couloir de Monbatah. Cette classification traduit donc une réalité, celle de la persistance de la sécheresse depuis quelques années et son impact sur la qualité agronomique des sols. La culture pluviale est plus aléatoire du fait du manque d’eau. La classification traduit également la faible proportion de matière organique dans les sols de la région tandis que les carbonates sont au contraire en très forte proportion (d’où la forte réflectance des ondes sur les surfaces qui se traduit par des sols aux couleurs claires).

Une classification a également été menée sur l’image de juillet 1990 car cette image couvre l’ensemble de la région étudiée à l’inverse de celle de 1997, dans laquelle le secteur de la vallée du Nahr ad-Dahab n’est que partiellement présent. Les images de périodes estivales ont le mérite de montrer des surfaces de sol nu (absence des couvertures végétales cultivées). Mais, dans le cadre d’une analyse fondée sur l’aridité édaphique, cette période aux températures très élevées (30° en moyenne en juillet-août), n’est pas la plus indiquée. Cependant, les résultats sont relativement satisfaisants en ce qui concerne le secteur nord (dont l’aridité édaphique est par ailleurs moins marquée que dans le reste de la région) et permettent de mettre en œuvre les analyses postérieures. C’est donc uniquement pour l’étude du secteur de la vallée du Nahr ad-Dahab que nous avons utilisé cette seconde classification, réalisée de manière similaire à la précédente.

Notes
221.

Rapport de l’énergie réfléchie par un objet dans une bande de longueur d’onde à l’énergie reçue du soleil par cet objet et pour la même bande de longueur d’onde (Girard et Girard 1999).