3 - Un potentiel agricole des sols dépendant fortement de la nature du substrat

La classe des sols très favorables à l’agriculture, telle que nous l’avons analysée dans les secteurs précédents, représente ici une superficie très faible. Elle est pratiquement limitée au fond de la vallée du Wadi Abû al-Ghor et recouvre les berges immédiates du cours d’eau qui sont effectivement très humides (figure 90-A). Ponctuellement, on retrouve ce type de sol dans le lit majeur de la vallée et notamment dans la moitié est du secteur, à la hauteur d’une zone plus évasée de la vallée, zone inondable caractérisée par une humidité plus forte. Ce sol est épais et contient des argiles et de la matière organique déposées dans le lit de la vallée par les crues successives et provenant des zones amont (aujourd’hui irriguées).

La classe de sol suivante est très proche de la précédente, mais se caractérise par une humidité moins importante. Ce sol recouvre une partie du fond de la vallée du Wadi Abû al-Ghor, mais se concentre surtout sur le plateau basaltique et dans les vallées qui l’incisent (figure 90-A). Sur le plateau, ce sol bénéficie de la nature du substrat (basaltique) qui a constitué, dans le passé, un apport de colloïdes et d’éléments ferromagnésiens nécessaires à la constitution d’un sol de bonne qualité agronomique. Le sol est aujourd’hui relativement épais, limoneux, constitué non seulement des argiles provenant de l’altération du basalte mais également des argiles de décalcification de la croûte calcaire qui le surmonte. Il comporte également des limons et une certaine quantité de matière organique, l’ensemble lui conférant une bonne capacité de rétention en eau et une bonne aération. Dans le fond des vallées, il s’agit du même type de sol façonné postérieurement sur les alluvions et colluvions héritées de l’érosion des versants et du sommet du jabal.

Il s’agit d’un sol dont le potentiel agricole est moyen, en raison de son humidité réduite qui compense difficilement la faible quantité de précipitations tombant dans le secteur. La culture pluviale est possible sur ces sols, mais elle se limite aujourd’hui, dans les secteurs autorisés (à l’ouest) à de l’orge et offre de faibles rendements. Si la culture pluviale n’est autorisée qu’au-delà de la ligne administrative des 200 mm qui passe dans la moitié ouest du secteur, les sols des fonds d’oueds situés à l’est de cette ligne sont souvent semés d’orge par les Bédouins qui l’utilisent, sur pied, pour alimenter leur bétail. C’est le cas, par exemple, de la vallée affluente du Wadi Abû al-Ghor orientée sud-nord et située à l’est du secteur, que l’on peut observer sur la carte (il s’agit d’une vallée sèche) (figure 90-A). Il est donc possible de pratiquer une culture pluviale dans ce secteur, et ce essentiellement grâce à l’humidité, même faible, qui règne dans ces fonds de vallées. Dans le Wadi Abû al-Ghor, une partie des sols est également exploitable : on a pu constater sur le terrain que ces sols sont consacrés à l’irrigation, tout simplement parce que l’oued est devenu un canal d’évacuation d’une partie du surplus des eaux d’irrigation et des eaux de drainage de la ferme de Meskéné, en amont. Cette ressource en eau, bien que légèrement salée, constitue a priori un avantage pour les semi-nomades du secteur qui se convertissent à l’agriculture. Mais se pose le problème du risque de salinisation des sols en raison d’une méconnaissance des règles de l’irrigation. Ainsi, les sols sont souvent mal drainés voire non drainés, ce qui contribue à leur salinisation rapide en raison de leur mauvaise aération et de la forte densité de gypse et de halite contenus dans le substrat. Si le potentiel agricole « absolu » de ces sols est réel, le résultat de son exploitation dépend néanmoins de la mise en pratique. Celle-ci, lorsqu’elle est mal menée, peut produire l’effet inverse de celui escompté. C’est pour cette raison qu’on observe aujourd’hui, dans la vallée du Wadi Abû al-Ghor, un certain nombre de secteurs abandonnés.

La catégorie de sol suivante est la plus répandue dans le secteur. Elle s’observe dans toute la zone, sauf au sommet du Jabal Shbayth (figure 90-A). Il s’agit d’un sol dans lequel les carbonates et le gypse sont présents en grande quantité et dont ils constituent même parfois les uniques minéraux. L’argile est présente en quantité minime tandis que la matière organique est presque absente. Ce sol est très minéral, sablo-limoneux dans la moitié nord du secteur, plus caillouteux dans la moitié sud. Ces caractéristiques lui confèrent une faible capacité de rétention de l’eau. Or, c’est bien cela qui agit le plus directement sur son potentiel agricole : une humidité « absolue » et potentielle très faible, dans un milieu très peu arrosé. Il en résulte un sol sec dont la mise en culture pluviale est possible mais offre des chances de réussite limitées et ne garantit qu’un rendement très faible. Il s’agit d’une culture « loterie », qui dépend avant tout de conditions naturelles aléatoires, c’est-à-dire du volume des précipitations et de leur répartition dans l’année. Sur le piémont du Jabal Shbayth, ce sol est a priori de meilleure qualité agricole que dans la moitié orientale en raison d’une nature moins exclusivement minérale, de sa plus grande épaisseur et des apports d’humidité en provenance du jabal. Cependant, le contexte climatique contribue à limiter cet avantage. Même dans un cadre irrigué, la production est délicate voire aussi difficile qu’à l’est, en raison de la forte quantité de gypse dans le sol et de halite dans l’eau d’irrigation.

La pratique agricole la plus adaptée à ce type de sols reste donc l’élevage. Aujourd’hui, ce sol est dénudé, parsemé de rares plantes pérennes à l’est et d’une végétation à dominante annuelle sporadique par ailleurs, en raison du surpâturage et surtout d’une mise en culture expansive dans les années 1980. Mais, dans un passé encore récent (il y a moins de 30 ans), les surfaces occupées par ce sol constituaient des terrains de parcours de qualité, grâce à une végétation naturelle steppique dense dominée par l’armoise blanche. Dans les espaces qui n’ont pas été mis en culture en raison de la trop forte proportion de gypse, voire de la présence de croûte gypseuse, on peut considérer le milieu naturel comme un témoignage du passé. C’est le cas sur la rive droite de l’estuaire du Wadi Abû al-Ghor. Ici, la végétation est une steppe à armoise qui constitue un espace encore favorable aux pâturages et illustre le potentiel agricole aujourd’hui dégradé de ce secteur.

La dernière classe de sols est bien représentée dans le secteur. Elle est située essentiellement dans la moitié sud, sur le piémont du Jabal Shbayth et au sommet de celui-ci (figure 90-A). Il s’agit d’un sol très mince de type lithosol qui recouvre le substrat subaffleurant. Dans cette classe se rangent également les affleurements directs du substrat, croûte ou roche en place. Au sommet du jabal, la croûte calcaire est par endroits subaffleurante, ce qui explique la présence de cette catégorie de sol. C’est également le cas sur le piémont nord. Vers l’est, c’est la croûte gypso-calcaire qui affleure souvent, ainsi que, par endroits, un calcaire marneux à intercalation de gypse parfois légèrement altéré.

Ces surfaces ne sont pas favorables à une mise en valeur culturale. La seule possibilité réside dans le défonçage des croûtes calcaires et gypseuses qui surmontent souvent un dépôt limoneux cultivable. C’est vrai surtout au sommet du Jabal Shbayth, ainsi que l’ont confirmé les observations de terrain. Plus à l’est, on trouve surtout un substrat calcaire et gypseux sous les croûtes, inadapté à une mise en culture.

Le potentiel le plus évident de ces sols reste, comme pour la catégorie de sol précédent, les pâturages. Cependant, même dans ce cas, la finesse des sols et leur grande aridité est un frein au développement de la végétation naturelle. La végétation, présente encore jusque dans les années 1970, a partiellement disparu en raison du surpâturage et des tentatives de mise en culture. Étant donné la minceur du sol, la faiblesse du stock grainier et les sécheresses répétées de ces dernières années, la végétation a eu beaucoup de mal à se régénérer, surtout dans des secteurs non protégés (autorisés aux éleveurs). Il ne subsiste donc que des poches de végétation constituées d’annuelles qui forment aujourd’hui des espaces au potentiel agricole très réduit. Mais la capacité de support aux pâturages a été une réalité dans le passé. Ce sol possédait donc bien un potentiel agricole spécifique non négligeable.