A - Le rôle déterminant des vallées dans le secteur du Nahr ad-Dahab

Pour mesurer l’importance supposée du rôle des vallées dans la localisation de l’occupation humaine, une comparaison entre plusieurs périodes archéologiques et historiques dans le secteur a été menée. Il s’agissait de localiser les sites au regard du potentiel des sols, tout en cartographiant les limites des fonds de vallées. Les périodes choisies sont le Bronze ancien IV, période de forte densité de l’occupation dans la région, le Bronze récent, période de plus faible occupation et l’époque romano-byzantine, qui marque l’apogée de l’occupation dans la région, avant la période contemporaine.

La localisation des sites à ces différentes périodes établit de manière évidente le rôle clé des vallées. Elles sont les centres d’attraction des occupants, aux périodes de forte densité de l’occupation (époque du Bronze ancien IV et époque romano-byzantine), comme au cours des périodes de retrait de l’occupation. Une des raisons de ces localisations est à rechercher dans la nature du sol qui, de par ses potentiels, favorise une mise en valeur agricole centrée sur la culture pluviale et, on le verra par la suite, l’irrigation. L’autre raison de cette localisation préférentielle, plus fondamentale encore, est celle de la proximité des réserves hydriques, qu’elles soient à l’air libre dans la vallée du Nahr ad-Dahab ou bien qu’elles se situent dans des nappes d’inféroflux dans les autres vallées. La vallée du Nahr ad-Dahab joue, aux différentes époques, un rôle fondamental, en raison de la présence attestée d’un cours d’eau pérenne, au débit qui a pu être important si l’on en juge par les descriptions faites de cette rivière dès l’époque perse. Durant l’époque du Bronze ancien IV, une grande partie des sites se concentre autour de cette vallée, tandis que le glacis est probablement exploité en culture pluviale (figure 93-A). C’est vers cette vallée que s’opère le repli de l’occupation à l’époque du Bronze récent (figure 93-B). L’époque romano-byzantine est une phase d’extension très forte de l’occupation, encouragée aussi bien par la stabilité politique et les relations plus pacifiques nouées avec les nomades que par les conditions environnementales favorisées par une période d’optimum climatique ayant débuté à l’époque hellénistique. Il en résulte qu’un certain nombre de sites occupent non plus exclusivement les berges du Nahr ad-Dahab, mais également le reste du glacis d’Al-Bâb, en particulier sa partie aval (figure 85-A). Cependant, là encore, les sites sont localisés à proximité de petites vallées ou bénéficient des sols épais du glacis aval.

La pratique culturale est tournée, à toutes les époques, vers les cultures pluviales, en raison des conditions très favorables d’humidité dans les fonds de vallées et sur le glacis d’Al-Bâb. À l’époque romano-byzantine une nouvelle pratique agricole se développe, celle de l’irrigation, par le biais de l’exploitation de qanâts. Là encore le rôle des vallées est déterminant étant donné que ce sont majoritairement les fonds de ces vallées qui sont irrigués par ce système. On le constate sur la carte qui superpose les potentiels des sols, les sites romano-byzantins et les qanâts (figure 86-B). La localisation et la disposition de ces ouvrages hydrauliques ne font pas d’ambiguïté quant à l’importance du rôle des vallées dans ce mode de mise en valeur. Ils sont presque tous localisés à proximité d’une vallée et débouchent généralement dedans, alimentant des parcelles en contrebas. Là encore les vallées jouent un rôle fondamental dans la localisation des aménagements et de l’occupation humaine en raison de la qualité de leurs sols mais également parce que les exploitants peuvent profiter du léger dénivelé qui existe entre le glacis et le fond de vallée, qui facilite le transfert de l’eau d’irrigation vers les surfaces exploitées. Seules cinq qanâts se localisent en dehors des vallées, sur le glacis récent, en contrebas du glacis d’Al-Bâb. Dans les conditions favorables de la période romano-byzantine les terrains du glacis récent ont pu être irrigués malgré la présence de gypse.

L’occupation actuelle montre également une nette préférence pour la proximité des vallées (figure 86-A). Il est frappant de constater la rareté des agglomérations situées à distance des vallées, en particulier sur le glacis d’Al-Bâb. Cette occupation date de la fin du XIXe siècle et s’est accélérée dans la seconde moitié du XXe siècle, à des périodes où les réserves d’eau souterraines étaient encore abondantes dans le secteur. Là encore, c’est probablement cette abondance et la proximité des réserves qui expliquent la localisation préférentielle des occupants, comme également la nature des sols et les bonnes conditions d’irrigation. Dans la première moitié du XXe siècle, certaines qanâts ont été remises en service et l’irrigation s’est très fortement accentuée à partir des années 1950, avec le forage de puits. Mais à cette époque, les terrains irrigués se limitaient aux fonds de vallées, ce qui explique également la localisation de la plupart des agglomérations actuelles. Aujourd’hui, les secteurs irrigués se sont étendus au glacis d’Al-Bâb et au glacis récent, en raison de l’apport de l’eau de l’Euphrate, mais les sites d’occupation restent les mêmes (figure 86-A). On peut cependant encore constater (en 1990 pour la carte de l’irrigation) que les vallées jouent un rôle fondamental dans l’irrigation. En effet, la plupart de ces unités morphologiques sont occupées par des cultures irriguées.

Si les fonds de vallées et certains secteurs des glacis sont irrigués, c’est la culture pluviale qui domine sur le glacis d’Al-Bâb. Les sols aux potentiels agricoles fort et moyen sont situés à moins de 2 km de toute agglomération ce qui, avec les moyens mécaniques aujourd’hui en usage, ne pose pas de problème.

L’analyse de la répartition de l’occupation dans le secteur de la vallée du Nahr ad-Dahab montre l’importance prise par les vallées à toutes les époques, jusqu’à la période contemporaine. La nature des sols en est une des raisons même si, on l’a vu, certains secteurs de la vallée du Nahr ad-Dahab sont de qualité faible pour la mise en valeur agricole. Mais c’est surtout la présence d’eau facilement exploitable qui a conduit les hommes à occuper les berges des vallées et particulièrement celles du Nahr ad-Dahab, aux périodes de densité comme à celles de retrait général de l’occupation.