2 - L’occupation temporaire dans le secteur

Le secteur de Zabad, situé dans le sud-est de la région du lac Jabbûl, est au contact direct avec les espaces occupés avant tout par les nomades et les semi-nomades, à l’est et au sud-est. À la fin de l’époque byzantine et surtout au début de l’époque islamique, l’occupation nomade et semi-nomade s’est accrue dans le secteur. Cette occupation s’est accompagnée de l’augmentation d’une pratique agricole quasiment exclusive (l’élevage), qui s’est traduite par une organisation spatiale spécifique. L’analyse de cette organisation spatiale nous permettra d’en dégager les particularités au regard du potentiel agricole des sols et de relever d’éventuelles similarités avec celles observées dans le secteur de Tât à la même époque, pour le même type d’occupation.

Les sites de semi-nomades ou de nomades observés dans la région sont similaires à ceux relevés dan le secteur de Tât. Il s’agit de groupements de cercles de pierres accolés les uns aux autres, utilisés sans doute pour la gestion d’une partie du troupeau par les semi-nomades. Nous avons observé ces sites essentiellement dans le Jabal Shbayth, hormis un site localisé sur le piémont, en bordure du lac (figure 97-B). Comme cela a été souligné précédemment, il est possible que les aménagements se rapportant à cette occupation aient disparu du piémont du fait des mises en culture postérieures. Mais le matériau de construction des enclos (blocs de basalte) n’est pas présent sur le piémont. La construction de cercles de pierres dans ces zones est donc difficile. Si la présence d’un site sur le piémont montre que ce problème peut être surmonté, il semble malgré tout qu’une autre contrainte majeure explique la répartition largement préférentielle des cercles de pierres dans le Jabal Shbayth : la présence d’eau. En effet, de la même façon que dans le Jabal al-Has, les sites des nomades et des semi-nomades se localisent au sein des vallées ou en amont du piémont dans des petits vallons, la plupart du temps dans des secteurs de pente supérieure à 9 % et toujours à proximité d’une incision et d’un affleurement du substrat calcaire (affleurement qui est fréquemment dû à l’incision) (figure 97-B). Cette organisation spatiale répond à une nécessité primordiale, celle d’une alimentation régulière en eau. Là encore, de la même façon que dans le Jabal al-Has, ces zones d’affleurement du substrat calcaire au faciès crayeux, poreux, ont probablement donné naissance à des sources temporaires durant l’hiver et les premiers mois du printemps. La fin de l’époque byzantine profiterait en effet toujours des conséquences de l’optimum climatique de l’époque classique (hellénistique, romaine et début byzantine), qui aurait contribué, notamment, à la constitution d’importantes réserves d’eau souterraines. Ces sources apparaîtraient donc, dans ce cas, comme les centres fondamentaux de l’occupation nomade, avant toute autre considération, en particulier celle du potentiel agricole des sols, secondaire pour des nomades. Il existe, par ailleurs, quelques puits de fond de vallée (en particulier en amont de la vallée de Zabad) hérités de l’époque romano-byzantine, dont les nomades et les semi-nomades ont tiré parti.

La localisation de ces sites est donc, finalement, doublement intéressante pour le nomade. Elle lui permet d’assurer l’alimentation régulière en eau de lui-même et de son bétail et, secondairement, elle lui permet de profiter des bons pâturages développés dans les fonds de vallées à l’aridité édaphique moins prononcée qu’ailleurs, tout en pratiquant une culture pluviale d’appoint. Les similitudes de l’occupation semi-nomade dans les deux secteurs de plateau ne font que mettre l’accent, une fois de plus, sur le rôle majeur de ces ensembles morphologiques dans le cadre de l’occupation humaine sédentaire ou nomade.

L’absence de sites nomades et semi-nomades dans la moitié est du secteur (en dehors d’un site semi-nomade au nord-est) est étonnante. Notre recherche systématique ne nous a pas permis d’en déceler. Cependant, les sites de ce type existent bien dans la région, mais nous les avons relevés plus à l’est et au sud-est du secteur. Ces sites ne sont pas des cercles de pierres, mais se limitent souvent à la présence d’une ou plusieurs citernes, qui constituent des centres de ravitaillement en eau. Contrairement à ce que l’on observe dans les secteurs de plateau, l’occupation nomade dans la steppe est souvent difficile à observer en raison de la rareté des témoignages laissés par leur passage. C’est pourquoi nous pensons que les abords de la vallée du Wadi Abû al-Ghor ont probablement été fréquentés à l’époque byzantine et islamique par des nomades et des semi-nomades. La mise en valeur qui s’est généralisée progressivement dans cette vallée au cours de ces dernières décennies, en particulier la pratique de l’irrigation, a certainement entraîné la disparition des quelques traces qui en témoignaient. C’est une hypothèse que nous pensons vraisemblable, en raison non seulement de la qualité agronomique du sol aux abords de la vallée mais également et surtout de la réserve en eau que constituait le cours d’eau lui-même ainsi que, dans le cas où il n’aurait fonctionné que saisonnièrement, la nappe d’inféroflux, bien alimentée durant l’époque romano-byzantine.

L’absence de sites de nomades ou de semi-nomades semble moins surprenante dans la moitié sud du secteur étant donné la nature du sol : il s’agit d’un lithosol, sur lequel s’est probablement développée une végétation éparse, constituant un pâturage de qualité très moyenne en comparaison de ce que l’on pouvait trouver ailleurs et en particulier au nord (comme en témoigne le seul site de semi-nomades que nous avons pu observer dans le secteur). Mais surtout, il semble que ce soit l’absence de conditions naturelles adaptées à la présence d’un point d’eau (notamment un oued profondément incisé, capable de concentrer un volume d’eau suffisant pour alimenter des citernes au cours des rares chutes de pluies d’hiver) qui explique l’absence de sites (il n’existe d’ailleurs pas de puits ou de citernes). Ce n’est pas le cas plus au sud-est à l’inverse, où nous avons pu observer, dans certains fonds de vallées, de nombreuses citernes qui constituent des points d’eau autour desquels une occupation temporaire a été possible.

Aujourd’hui les conditions ne sont plus les mêmes. Mais ce sont les conditions économiques et les infrastructures disponibles qui ont changé, tandis que les conditions naturelles restaient au mieux les mêmes, au pire se dégradaient par rapport aux époques romano-byzantine et islamique. Les sites semi-sédentaires sont très nombreux dans les deux-tiers est du secteur (figure 97-C), en raison de l’apport d’eau par citernes transportées sur camions, du développement de la nourriture concentrée pour le bétail et de la possibilité de déplacer les animaux en camion pour rejoindre des pâturages plus à l’ouest, sans devoir traverser des parcours qui ne sont plus productifs. Il est fort probable que le maintien d’une forte population semi-nomade dans le secteur soit également due à la présence du Wadi Abû al-Ghor qui est devenu un nahr et qui permet donc au bétail de s’alimenter en eau régulièrement. Enfin, la présence de la ferme d’État de Meskéné un peu plus au nord-est, qui permet l’alimentation du bétail après les récoltes, est une explication supplémentaire à cette présence importante de semi-sédentaires.