III - La simulation d’une modification du contexte climatique : l’exemple de la période romano-byzantine

A - L’analyse des résultats

L’optimum climatique qui caractérise la période classique a des conséquences fondamentales sur l’occupation humaine et sur la mise en valeur agricole à l’époque romano-byzantine, comme l’analyse précédemment menée l’a montré. Cet optimum débute dès l’époque hellénistique et atteint un maximum, semble-t-il, à la fin de la période romaine et au début de la période byzantine. Les avantages (au point de vue agricole) d’un contexte climatique moins aride, et surtout du long processus de réduction de l’aridité édaphique qui en découle, se confondent alors.

À l’aide des outils du SIG, il paraît intéressant de tenter de simuler les conséquences qu’ont pu avoir ces deux situations sur les conditions de la mise en valeur agricole, c’est-à-dire sur le potentiel des sols. Mais une simulation offre une vision partielle de la réalité et ne peux déboucher que sur une hypothèse. Dans le cas présent, la simulation repose sur une analyse paramétrée (mesure de l’extension spatiale du potentiels des sols), mais ces paramètres ne peuvent constituer que des évaluations de la réalité et non la réalité elle-même. C’est pourquoi cette simulation ne prétend pas à l’exactitude mais propose simplement d’évaluer le comportement de la nature afin d’en tirer les conséquences pour l’occupation humaine.

L’interprétation de la simulation ne doit pas être le résultat d’un raisonnement circulaire qui consisterait à donner pour preuve de la répartition de l’occupation et de la mise en valeur agricole la supposition d’où nous partons (l’extension plus ou moins importante des surfaces exploitables au point de vue agricole en raison de l’optimum climatique). Il s’agit, tout d’abord, d’un raisonnement qui n’est pas basé uniquement sur une supposition : il est à la fois inductif (reposant sur l’observation du milieu, des différents types de sols) et déductif (reposant sur la réaction du milieu naturel et notamment du sol face à certains évènements). Par ailleurs, il ne s’agit pas de chercher des preuves de l’organisation de l’occupation et de la mise en valeur agricole dans l’évolution du milieu naturel, mais seulement de mettre en relation des connaissances déjà acquises sur le milieu naturel et son comportement pour répondre à une hypothèse et en cartographier les résultats. L’hypothèse en question est la suivante : la couverture alluviale et colluviale de la région est héritée de périodes moins arides qu’aujourd’hui. Les sols qui en dérivent possèdent donc encore certaines qualités agronomiques également héritées (éléments fins, épaisseur, texture, capacité de rétention de l’eau). Il en résulte qu’en cas de baisse de l’aridité climatique et édaphique, ces sols peuvent retrouver une partie de leur efficience dans le cadre d’une mise en valeur agricole. Il est ensuite intéressant de croiser ce résultat avec la répartition des sites de l’époque afin d’en tirer certaines observations.

Sur cette base, la cartographie de la simulation des conséquences de l’optimum climatique de l’âge classique sur les potentiels des sols des trois secteurs étudiés dans la région du lac Jabbûl, met en évidence la diminution de l’aridité édaphique. Celle-ci est relativement importante en ce qui concerne les sols les moins favorables à une mise en valeur agricole, dont la superficie diminue fortement dans les trois secteurs. Cependant, le comportement du milieu naturel n’est pas le même en fonction de la superficie et du type de terrain occupés par les différentes catégories de sols dans chaque secteur.

Le secteur de la vallée du Nahr ad-Dahab, situé au nord de la région, bénéficie en temps « normal » d’un contexte plus favorable pour l’agriculture, en raison d’une aridité édaphique moins forte que dans les autres secteurs. La baisse de l’aridité édaphique a pour conséquence, hormis celle de limiter fortement les surfaces au faible potentiel de mise en culture, d’accroître avant tout les surfaces au potentiel agricole intermédiaire, c’est-à-dire les sols appartenant à la seconde classe (figure 85-B). Cet accroissement s’est réalisé aux dépens de sols au potentiel agricole moins élevé, mais qui possèdent une grande marge d’évolution (héritages agronomiques) dépendant de l’aridité édaphique. Certains secteurs recouverts de ce type de sol restent cependant de qualité culturale moyenne en raison de la présence d’un substrat dur subaffleurant. Dans ce cas, le rôle de l’analyste entre en compte dans la simulation : il nous paraissait en effet peu probable qu’une surface encroûtée, par ailleurs légèrement inclinée, puisse voir le sol mince qui le recouvrait bénéficier de la baisse de l’aridité édaphique de manière importante. Nous avons donc maintenu ces surfaces dans leur catégorie de sol originelle.

La simulation spatiale de la baisse de l’aridité édaphique permet de visualiser son éventuel impact sur l’organisation de l’occupation, à l’époque romano-byzantine. On constate en effet que les sites se situeraient alors dans des zones bénéficiant d’un sol au potentiel de mise en culture pluviale moyen à élevé (figure 85-B), alors que cela n’est pas toujours le cas dans la première analyse (figure 85-A). Cela est particulièrement frappant en ce qui concerne les sites du sud du secteur qui, dans la première analyse sont environnés de sols à faible et très faible potentiel agricole. Aurait-on là une explication supplémentaire de la concentration des sites dans la partie aval du glacis d’Al-Bâb ? La première explication avait mis en avant le rôle des vallées, dont les sites étaient très souvent localisés à proximité. On constate ici que la baisse de l’aridité édaphique pourrait également favoriser l’occupation de cette zone. Mais cette interprétation à tendance déterministe ne peut représenter qu’un élément d’explication de la répartition de l’occupation.

Les résultats obtenus par les simulations réalisées dans les autres secteurs sont similaires, sur le fond, à ceux obtenus dans le secteur du Nahr ad-Dahab. Ainsi, dans le secteur de Tât - Um ‘amûd Kabirat, on observe la forte diminution de la classe de sol au potentiel agricole le plus faible, tandis que c’est surtout la classe de sol au potentiel moyen de mise en culture qui se généralise (figure 88-B). Mais là encore, des superficies importantes se maintiennent avec un sol appartenant à la troisième classe, donc dotés d’un potentiel de culture limité, en raison de la présence, à très faible profondeur, du substrat (croûte calcaire, gypso-calcaire ou roche mère calcaire) et de l’inclinaison de la pente (entre 5 % et 9 %). Le potentiel agricole de ces sols minces et caillouteux ne se modifie donc pas fondamentalement, même dans un contexte d’optimum climatique.

Le résultat de la simulation dans le secteur est une cartographie (qui reste une hypothèse) des conditions édaphiques à l’époque romano-byzantine. Cette cartographie met en évidence le rôle majeur des vallées, même si les changements n’y sont pas fondamentaux. Le sommet du plateau reste également un espace très fertile. Dans ces deux cas, les surfaces cultivables en blé ou en légumineuses augmentent, mais le changement le plus important concerne sans doute l’accroissement de la productivité des sols. Sur le piémont, et en particulier au sud-est du Jabal al-Has, les surfaces cultivables s’accroissent, bien qu’il s’agisse, dans ce cas, de culture d’orge. Enfin, toute la berge du lac Jabbûl connaît une augmentation des qualités agronomiques des sols qui la recouvrent. Les parties aval des glacis, à la couverture alluviale plus épaisse qu’en amont, retrouvent un potentiel de mise en valeur plus élevé grâce à l’accroissement de l’humidité provoquée par les écoulements de piémont et par la nappe phréatique bien alimentée et proche de la surface 229 . Les sites présents sur la berge immédiate du lac bénéficient ainsi de sols plus fertiles qu’aujourd’hui, adaptés à une mise en culture plus productive qui ne se limite peut-être pas seulement à l’orge.

Dans le secteur de Zabad, le changement le plus important concerne la classe des sols au plus faible potentiel agricole, dont il ne reste que quelques traces éparses au sud du secteur et sur les versants en raison de l’inclinaison (figure 90-B). Ce sol a légèrement évolué en une classe de sol au potentiel supposé plus favorable à la culture pluviale d’orge. Cette modification serait due, là aussi, à l’accroissement de l’humidité édaphique, dont nous supposons l’impact d’autant plus fort que le sol est sec. Sur le Jabal Shbayth, le processus est identique et la dernière catégorie de sol est remplacée par la catégorie précédente, plus adaptée à la culture pluviale. Sur le piémont et dans la vallée du Wadi Abû al-Ghor, c’est un sol favorable à la culture pluviale (orge et peut-être blé et légumineuses) qui se généralise, en raison d’un contexte favorable (épaisseur du sol, présence de colloïdes, texture limono-argileuse, bonne capacité de rétention en eau). L’ensemble du secteur évolue donc vers un espace temporairement plus favorable à une mise en valeur agricole fondée sur la culture et l’élevage. Concernant ce dernier, les sols du sud-est, s’ils permettent probablement la pratique de la culture d’orge, favorisent surtout le développement d’une végétation plus dense qui constitue un pâturage de bonne tenue.

Les différents constats et observations qui viennent d’être faits à partir de la simulation peuvent parfois être discutables. Ce sera l’objet de la partie suivante qui s’attachera à discuter la validité des résultats et de la méthode.

Notes
229.

Voir aussi la seconde partie, chapitre III, III, D, 2, c.