B - Validité des résultats

Les cartes ont été obtenues par une méthode qui repose sur le postulat suivant : l’optimum climatique se traduit par un léger accroissement des précipitations, une baisse des températures et une meilleure répartition des précipitations dans l’année. Cet événement a pour conséquence une baisse de l’aridité édaphique exprimée spatialement sur le terrain par un accroissement de la surface des sols potentiellement cultivables. Rappelons que les paramètres utilisés pour mesurer la modification de la superficie des sols sont les suivants : pour la classe des sols très humides, l’extension ne dépasserait pas 100 m autour de la zone d’origine ; pour les deux catégories suivantes, cette extension serait de 300 m maximum.

L’intérêt de cette analyse et de la méthode utilisée est de mettre en évidence les éléments qui structurent la mise en valeur agricole et de l’organisation de l’occupation. Cela est très explicite dans le secteur de Zabad, où le rôle fondamental des différents éléments du relief dans le cadre d’une mise en valeur agricole (le Jabal Shbayth et son piémont nord, la vallée du Wadi Abû al-Ghor et le glacis est), tel qu’il a été établi précédemment, se trouve renforcé par la simulation.

On observe ainsi un accroissement de la superficie des différentes catégories de sols plus ou moins favorables à la mise en valeur, et cela en fonction de la répartition et de la superficie de ces sols telles que nous les avons analysées avec les données actuelles. Ainsi, les sols dominants dans le secteur du Nahr ad-Dahab, après la simulation, sont les deux types de sols les plus favorables à la mise en valeur culturale. La catégorie de sols au faible potentiel de mise en valeur (sols adaptés à la culture pluviale d’orge) qui occupait la partie sud du secteur et une vaste superficie de la vallée du Nahr ad-Dahab a fortement diminuée, tout en restant toujours très présente dans les zones d’affleurement de la croûte calcaire et sur la berge immédiate du lac. La dernière classe, celle des sols au potentiel agricole très faible, a par contre disparue. Dans le cas de ce secteur, plusieurs raisons l’expliquent. D’une part, la surface occupée originellement par ce type de sol était déjà restreinte. D’autre part, une partie de ces surfaces correspondaient à des aménagements très récents (nombreuses infrastructures liées à l’irrigation notamment). Enfin, une grande partie de ces surfaces était localisée sur le glacis récent aux sols salins. Il est donc possible que, dans un contexte d’optimum climatique, la salinité de ces sols ait diminué et qu’ils soient devenus plus fertiles. Mais il reste cependant que la disparition complète de ce sol traduit également les limites de la méthode paramétrée qui ne peut s’adapter aux variations du milieu naturel que jusqu’à un certain point. Il est en effet fort peu probable que les surfaces d’affleurement du substrat soient devenues exploitables en culture pluviale même dans le cadre d’un optimum climatique. En revanche, il est possible que ces surfaces soient devenues de meilleurs pâturages. Il faudrait donc considérer, et cela est valable pour les trois secteurs, que la troisième classe de sol née de la simulation est probablement davantage adaptée à la pratique de l’élevage qu’à celle de la culture pluviale.

Pour ce qui concerne le secteur de Tât, la simulation n’est pas tout à fait similaire, dans la mesure où les deux dernières catégories de sol sont encore bien représentées. On peut donc considérer que cette simulation respecte davantage la variation des micro-milieux dans le secteur et qu’elle s’approche probablement plus complètement de la situation à l’époque romano-byzantine. La présence du plateau en est la raison principale : certains secteurs de pente conservent des sols peu adaptés à la mise en culture, tandis que certaines des surfaces du piémont évoluent en des sols plus fertiles. Cela en raison non seulement d’un apport d’humidité depuis le plateau, mais également d’un apport de colluvions, ces deux conditions favorisant la pédogenèse, la présence de végétation et le développement de l’humus. Cette chaîne de réactions, dans ce système, conduit, au bout du compte, à une évolution générale du milieu naturel.

Enfin, dans le dernier secteur, dont l’aridité édaphique est, au départ, plus prononcée que dans les deux autres secteurs étudiés, la première classe, celle des sols très humides, varie très peu et reste confinée essentiellement au fond du Wadi Abû al-Ghor. La seconde classe de sol s’accroît davantage, surtout dans cette même vallée. Mais l’évolution la plus significative concerne les deux autres catégories de sol : l’une (au potentiel agricole faible) recouvre alors presque l’ensemble du secteur tandis que la seconde (au potentiel agricole très faible), à l’image de ce qui se passe dans les autres secteurs, diminue grandement. Dans ce dernier cas, il nous semble important de considérer la méthode comme étant en partie responsable de cette forte diminution qui n’est peut-être pas totalement justifiée en raison de la nature du substrat. Nous considérons alors la troisième catégorie de sol, à l’image de ce que avons fait auparavant, comme étant plus adaptée à la pratique de l’élevage qu’à la culture pluviale. Dans ces conditions, l’évolution de cette catégorie de sol nous semble davantage justifiée.

Pour mesurer la validité de tels résultats, il est important de signaler avant tout que cette simulation n’a pas pour objet la description de la réalité, puisque cette réalité appartient au passé et n’est pas mesurable. Cette analyse a pour but la projection de l’évolution de l’environnement et du potentiel agricole des sols dans le cadre d’un optimum climatique. Les résultats ne doivent donc être traités que pour ce qu’ils sont : une réalité virtuelle servant d’outil supplémentaire à l’analyse de l’occupation humaine. Dans ce sens, la critique du principe même de la simulation, à savoir qu’un accroissement de l’humidité entraîne une baisse de l’aridité édaphique, doit être soulevée. Dans les zones arides faiblement accidentées, ce principe est d’autant plus vraisemblable que, nous l’avons vu, les sols ont souvent conservé certains des caractères hérités de périodes moins sèches. Il en résulte que lorsque le contexte climatique est moins aride, même temporairement (quelques années « humides »), le sol retrouve des qualités agronomiques qui favorisent la mise en valeur agricole 230 . Nous supposons donc que c’est ce qui s’est passé au moment de l’optimum climatique de l’âge classique dans la région, d’autant plus que le substrat est souvent fait d’un calcaire « crayeux », poreux, qui constitue un très bon réservoir d’eau.

Mais cette évolution n’a pas été la même selon les sols et les micro-milieux naturels. En effet, les modes de diffusion de cette humidité dépendent de certains paramètres physiques spécifiques au milieu : modelé, substrat, végétation et sols. Ces paramètres ont donc pu jouer un rôle dans la baisse de l’aridité édaphique, ce qui justifie le choix de valeurs d’extension des types de sols différentes. Dans la région du lac Jabbûl, le modelé est caractérisé par la présence de surfaces planes et de plateaux aux pentes raides. La végétation naturelle est très peu dense, le substrat est alluvial, calcaire et basaltique. Les sols ont une épaisseur variable, importante dans les vallées, sur les plateaux et dans certains secteurs de piémont et sont beaucoup plus minces dans les zones où le substrat est subaffleurant (croûtes calcaires ou roche calcaire). La proportion d’argiles est également variable, plus importante en fond de vallée, sur les plateaux basaltiques et dans certains secteurs de piémont. Ces différents paramètres favorisent la diffusion des écoulements vers les fonds de vallées et les piémonts. Il en résulte que dans les sols les plus poreux, l’eau se diffuse plus rapidement que dans les sols les plus argileux dans les fonds de vallées. Il est donc logique, nous semble-t-il, d’affecter une valeur de 300 m pour l’extension des sols des seconde et troisième catégories et de 100 m seulement pour la première catégorie. En revanche, la qualité même du sol de première catégorie est nettement supérieure car l’humidité s’y maintient plus longuement (points bas, plus grande épaisseur, présence d’argile). Les autres sols situés plus à l’écart de ces secteurs déprimés, bénéficieront de l’infiltration de l’eau de manière différenciée, en fonction de la pente, du substrat, de leur épaisseur et de leur nature (colloïdes argileux présents ou non). Ces différents paramètres ont été intégrés, dans la mesure où ils étaient présents dans les différentes couches d’informations qui ont servis à réaliser la simulation (géologie, formations superficielles, modelé, types de sols…).

Le choix arbitraire de l’extension de la superficie des sols doit également être soumis à la critique. Il n’existe pas de données sur l’évolution spatiale de ce type de sol en cas d’amélioration durable des conditions climatiques. L’hypothèse d’une baisse de l’aridité édaphique nous paraît cependant fondée. Mais de quelle manière cette baisse de l’aridité se traduit-elle spatialement ? Il est évident qu’elle n’est pas régulière et que des contraintes liées au substrat interviennent. Nous avons tenté, dans la mesure du possible, de tenir compte de ces contraintes (en particulier en affectant des valeurs différentes selon les sols), mais il n’en reste pas moins que la mesure de l’extension spatiale du potentiel des sols a été déterminée arbitrairement et que l’échelle de grandeur du phénomène a pu parfois être légèrement biaisée. Il s’agit d’une limite inhérente à ce type de méthode paramétrée. Mais l’objectif reste de se rapprocher de la vérité afin de faciliter la réflexion sur l’évolution du milieu dans son ensemble. Dans ce cadre, la simulation nous paraît avoir donné satisfaction.

Au final, ces critiques impliquent de n’utiliser les résultats de la simulation que comme documents d’hypothèses, notamment dans le cadre d’une analyse de l’organisation de l’occupation et de la mise en valeur agricole.

Notes
230.

Cela a été constaté lors de la série des deux années « humides » de 1987 et 1988 en Syrie, qui a permis, dans la région du lac Jabbûl, l’extension des cultures pluviales dans des secteurs très secs (moins de 200 mm de précipitations en moyenne par an).