B - Les analyses de surface et le facteur temps

Certaines analyses ont été réalisées indépendamment de celle qui vient d’être présentée. Il s’agit essentiellement de l’élaboration du Modèle Numérique de Terrain (MNT) 231 , une analyse spatiale qui nous a permis ensuite de calculer la valeur de l’inclinaison des pentes ainsi que leur exposition. Ce MNT a été réalisé à l’aide d’une cartographie des courbes de niveau équidistantes de 5 m, ce qui garantit une grande précision au regard de la superficie des secteurs concernés (environ 310 km²). Le calcul de la valeur des pentes tiré de ce MNT est donc très précis autant dans les secteurs de plateau que dans les zones de piémont caractérisées par leur planéité. Ces valeurs de pentes ont été utilisées dans le calcul du potentiel des sols avant tout pour localiser les pentes entre 0 % et 5 %, entre 5 % et 9 % et supérieures à 9 %. Ces classes ont été définies en fonction des risques d’érosion des sols dus à l’inclinaison du terrain. Les sols localisés sur des surfaces appartenant à la première classe ne subissent pas les contraintes liées à la pente. Les sols recouvrant des surfaces dont la pente se situe entre 5 % et 9 % sont exploitables mais peuvent subir une érosion en cas de pluies violentes. Enfin, au-delà de 9 %, il est indispensable d’aménager les pentes. La validité du résultat n’est pas en doute et seul le choix des limites (5 % et 9 %) pourrait être discuté. Rappelons que ce choix a été déterminé en fonction des données portant sur l’érodabilité des sols qui semble influencée par l’inclinaison du terrain à partir de 5 %. La limite des 9 % s’explique par le fait que nous avons constaté sur le terrain que, bien souvent, en particulier dans le Jabal al-Has, les cultures se localisaient, en bas de versant, sur des pentes pouvant atteindre cette valeur. Or l’agriculture (culture et élevage) a été pratiquée de longue date sur ces pentes (comme en témoignent les aménagements et les anciennes limites de champs). Il semble donc tout à fait fondé de considérer, dans la région, la valeur de 9 % comme la limite maximum au-delà de laquelle les sols sont réellement menacés d’érosion et toute culture très risquée voire impossible sans terrasse.

L’analyse de l’exposition est, elle aussi, d’une grande précision grâce à la finesse du MNT. Cependant, l’utilisation qui en a été faite a nécessité une certaine simplification, puisque seules quatre classes ont été retenues, correspondant aux quatre points cardinaux. La grande simplification impliquée par ce choix peut être discutée. En effet, des classes d’exposition supplémentaires auraient pu être prises en considération (nord-est, sud-est…). Mais, dans le cadre de l’analyse dont l’objectif est de mettre en valeur les principales caractéristiques naturelles liées à la mise en valeur agricole, les points cardinaux nous ont paru suffisamment chargés d’informations, tant du point de vue de l’ensoleillement que de la relation aux vents dominants qui ont une influence sur l’exploitation du sol et qui proviennent du nord, de l’ouest ou de l’est principalement.

Le facteur temps a été intégré dans le SIG par le biais des informations concernant la périodisation des sites ainsi que, plus indirectement, l’âge (relatif) des formations superficielles. Dans le cadre des différentes analyses menées, l’utilisation du facteur temps s’est faite d’abord par l’intermédiaire des sites : elle a consisté à prendre en compte l’occupation humaine à différentes périodes. L’analyse n’a pas pour autant négligé la dimension spatiale puisque les sites ont été localisés dans la région. Le principe de cette intégration temporelle ne pose pas de problème de validité. Les résultats produits sont des cartes thématiques sur lesquelles sont localisés les sites d’occupation à certaines époques, ce qui permet d’en analyser la répartition et l’organisation. Se posent, en revanche, certains problèmes relatifs à la précision des périodisations et, en conséquence, des phases d’occupation.

Là encore, ces analyses n’ont pour objectif que d’apporter des données de compréhension d’une réalité qui ne peut pas nous être intégralement connue puisqu’elle appartient au passé. La précision des périodisations a donc été portée à son maximum et d’éventuelles erreurs, difficilement évitables, ne rendent pas pour autant les analyses caduques. À l’échelle temporelle choisie pour cette étude (les 10000 dernières années), ce n’est pas le détail du temps linéaire qui est recherché. Au contraire, l’accent est mis sur les phases de transition, c’est-à-dire les passages d’un système durable à un autre système durable. Ce sont donc les comportements des groupes humains sur un temps long et dans l’ensemble de la région, que nous privilégions, celui des grandes phases d’occupation archéologiques et historiques.

Le problème du manque de données temporelles est différent et plus contraignant pour l’analyse. Nous l’avons évité, dans la mesure du possible, en faisant intervenir sur le terrain, lorsque les données textuelles manquaient, des archéologues. Mais là encore, nous ne prétendons pas à l’exhaustivité et il est possible que certaines datations soient manquantes sur certains sites. Il est encore difficile, dans l’état actuel des connaissances sur la région, de tirer des conclusions quant à l’impact de ces lacunes, quand elles existent, sur l’essence même de l’interprétation.

La prise en compte du facteur temps a été également menée par l’intermédiaire d’une simulation dont la validité a été discutée dans la partie précédente. Rappelons que, dans ce cas, le temps a été envisagé sous ses deux formes principales, un flux mesurable et quantifiable (dates) sur une échelle d’intervalles et une succession d’évènements pouvant déterminer des séquences exprimées sur une échelle ordinale (Thériault et Claramunt 1999). Dans le cadre de notre analyse, la première forme est relative à la période choisie, par exemple l’époque romano-byzantine ; la seconde fait référence à un événement précis, par exemple l’optimum climatique de l’âge classique. L’objectif de cette simulation était de modéliser l’impact de l’optimum climatique sur le milieu, à travers un critère fondamental, celui de l’aridité édaphique. La validité de l’utilisation du facteur temps dans cette analyse nous paraît tout à fait fondée. D’une part, l’existence de l’événement pris en compte, l’optimum climatique, n’est pas remis en cause puisqu’il a été noté par plusieurs marqueurs évoqués dans la première partie de ce travail. D’autre part, si l’événement ne peut être localisé dans le temps avec une extrême précision, on sait qu’il se fait ressentir au Proche-Orient dès la période hellénistique et atteint son maximum au cours de la période romaine et au début de la période byzantine.

Notes
231.

Pour une étude géoarchéologique récente reposant sur l’utilisation d’un SIG, lui-même fondé sur un MNT à maille fine (10 m), voir A. Bevan (2002).