L’intensité de l’occupation et de la mise en valeur agricole

L’étude a mis en évidence les grandes phases de l’occupation régionale et le rôle joué par les principales unités morphopédologiques dans cette occupation. Les multiples traces de la présence humaine dans la région témoignent d’une occupation souvent importante au cours des principales phases archéologiques déjà connues en Syrie du Nord. La région a été densément occupée par les sédentaires aux périodes du Chalcolithique, du Bronze ancien et moyen et aux époques hellénistique, romaine et byzantine. Les sédentaires sont beaucoup moins nombreux au Bronze récent, durant l’âge du Fer et à l’époque islamique tandis que, bien souvent, les nomades et les semi-nomades sont alors plus présents (c’est le cas à l’époque islamique). L’occupation s’accompagne d’une mise en valeur agricole qui est parfois intense, comme en témoigne l’abondance des aménagements datant de la période romano-byzantine, sans commune mesure avec les témoins des autres périodes. L’analyse des aménagements agricoles, toutes périodes confondues, a permis de mettre en évidence différentes pratiques agricoles : élevage à l’époque du Bronze ancien et du Bronze moyen, élevage à l’époque islamique, cultures arboricoles, irrigation et élevage à l’époque romano-byzantine…

Certains secteurs ont connu une occupation et une mise en valeur relativement stables au cours de l’histoire. C’est le cas du nord et du nord-ouest du lac, occupé avant tout par les sédentaires, à partir du Néolithique à céramique. Ce type d’occupation s’est maintenu dans la zone même lorsque le reste de la région accueillait presque exclusivement, semble-t-il, des populations nomades et semi-nomades, comme ce fut le cas au Bronze récent, au Fer et à la période islamique. Dans ce secteur, les vallées ont joué un rôle majeur en tant que pourvoyeuses d’une ressource hydrique facilement accessible (c’est particulièrement le cas du Nahr ad-Dahab) et en tant que ressource pédologique au potentiel agricole élevé. C’est pourquoi, à toutes les époques et plus encore aux périodes de retrait régional de l’occupation, ce sont les berges des vallées qui ont été les plus attrayantes. Ces vallées ont par ailleurs constitué des ensembles morphopédologiques parfaitement adaptés au développement d’une pratique agricole intensive, à savoir l’irrigation. Les traces les plus évidentes d’une pratique hydro-agricole dans la région s’observent sur le glacis d’Al-Bâb, en bordure des vallées, et dans quelques vallées des plateaux. Il s’agit de qanats de l’époque romano-byzantine qui, au nord du lac, convergent presque toutes vers les vallées dont les sols épais et argileux sont aisément et intensivement mis en valeur. Nous avons fait la cartographie précise de ces qanats et leur disposition témoigne de l’importance des réserves d’eau souterraines probablement très peu profondes. Le reste du glacis, hormis sa partie aval, est exploité en culture pluviale (orge et peut-être blé) aux grandes époques de l’occupation sédentaire (Bronze ancien et Bronze moyen, période Classique). Les sols sont généralement épais et l’aridité édaphique y est moins prononcée que dans le reste de la région en raison des apports d’humidité par écoulement souterrain ou superficiel depuis l’amont du glacis, plus arrosé.

Les autres secteurs ont connu une plus grande variation de l’occupation et des modes de mise en valeur agricole. Bien qu’il n’en reste que peu de traces, on a notamment pu mettre en évidence un épisode d’occupation dominé par les semi-nomades au cours de la période islamique, dans la moitié sud de la région. Dans le secteur du Jabal Shbayth, ce changement dans l’occupation et donc dans les pratiques agricoles, entre les sédentaires et les semi-nomades ou les nomades apparaît particulièrement bien, en raison de la proximité immédiate des terrains de parcours des nomades. Ce secteur est densément occupé à l’époque romano-byzantine. Quatre grandes agglomérations existent alors : Zabad et Rasm Ahmar sur le piémont nord, Al-Tûbat sur le plateau, toujours au nord et Drayb al-Wawi dans la moitié sud du plateau. Cette occupation s’est accompagnée d’une intense activité agricole qui a probablement été fondée sur l’arboriculture. L’occupation sédentaire a progressivement laissé place, lors de la transition entre les périodes byzantine et islamique, à un peuplement de semi-nomades pratiquant l’élevage et la culture d’appoint. Ce phénomène de transition entre deux populations et deux modes d’exploitation agricole ne s’est cependant pas fait brutalement. Une période de transition s’est fait jour, durant laquelle les nomades et les sédentaires ont très certainement cohabité. Dans le cas présent, c’est la fin de la période byzantine et la période omeyyade qui ont constitué la phase transitionnelle. Ce qui est remarquable, et c’est le cas également dans le secteur ouest de la région occupé par le Jabal al-Has, c’est que l’organisation de l’occupation semi-nomade conserve des similitudes avec la période précédente (dominée par une occupation sédentaire) quant au lieu de l’occupation. Ce sont en effet les secteurs de plateau et particulièrement les vallées, qui ont été occupés. Les déterminants naturels jouent donc un rôle fondamental, dans la région, quel que soit le mode de mise en valeur agricole. L’importance des déterminants naturels vient de l’influence très forte de la composante statique du climat, l’aridité. Celle-ci accentue le poids des ressources fondamentales pour l’Homme et de la première d’entre elles, l’eau. Or, c’est dans le secteur des plateaux (vallées et piémont) que se concentre cette ressource et surtout qu’elle est aisément accessible, dans la région, au sud du glacis d’Al-Bâb.