L'échantillon

– L'échantillon des auteurs et de leur famille

Etant donné nos attentes, nous devions envisager de retenir deux catégories d'acteurs : des auteurs de récits et des dépositaires qui étaient capables de présenter les auteurs décédés. Nous avions besoin qu'ils soient fidélisés sur plusieurs années car nous avions beaucoup à attendre d'eux. En effet, les contenus des récits généalogiques et de leur documentation suivaient des logiques qui n'étaient pas toujours les nôtres et nous attendions d'eux qu'ils fassent des recherches pour nous. Notamment, ils ne pouvaient pas nous procurer des données sur toutes les branches de leur filiation. Si les lignées patrilinéaires étaient facilement informées, ce n'était pas le cas pour les autres lignées, et principalement pour les lignées alliées à la première, les matrilinéaires étant les parents les plus pauvres en la matière. Le plus difficile était d'obtenir des renseignements sur la famille des auteurs décédés qui étaient pour eux des aïeuls, bisaïeuls, trisaïeuls ou même parfois des collatéraux. Car leur réseau familial n'était pas d'emblée compétent sur les questions qui se posaient à nous. Dans une famille, peu de personnes s'intéressent suffisamment à la généalogie pour bien vouloir passer du temps avec un chercheur.

Pour ce qui concernait la représentativité de notre échantillon d'auteurs, nous ne pouvions pas la déterminer proportionnellement à leur nombre, car nous ne savions pas combien de récits généalogiques circulaient dans les familles lyonnaises et donc sur combien d'auteurs on pouvait compter. Nous savions seulement ce nombre limité et ne pas pouvoir trouver une entrée pour les recenser. Aussi, ce qui nous a guidée a été de retenir le nombre d'auteurs qui pouvaient nous permettre de donner à nos résultats des conclusions probantes. Ce n'était pas chose simple, car réunir entre 10 et 15 auteurs voulait dire multiplier leur nombre par autant d'ascendants et de descendants que leur généalogie contenait, car tous nous étaient nécessaires pour notre corpus. Nous voulions en effet que notre enquête porte sur les auteurs de nos récits, mais aussi sur les membres de leur famille, ce qui faisait de notre échantillon plus un ensemble de familles que d'individus. Il ne s'agissait pas de découvrir seulement le profil des auteurs et leurs motivations vis-à-vis de leurs pratiques généalogiques à partir d'une enquête auprès d'eux, dans la limite de leurs observations et de leurs indications, mais de définir leurs positionnements et ceux des membres de leurs familles les uns par rapport aux autres et relativement à leur milieu de vie, pour comprendre les dynamiques identitaires en jeu entre les générations et les lignées.

Pour obtenir toutes les données qui nous étaient nécessaires, nous devions avoir connaissance d'informations sur le cycle des membres d'une famille d'un auteur sur au moins 7 générations : 2 générations de ses descendants (ses enfants et ses petits-enfants, ses neveux et petits-neveux et leurs alliés respectifs), sa génération (avec sa fratrie, ses cousins germains et issus de germains paternels et leurs alliés respectifs), 4 générations de ses ascendants dont celles de ses parents avec leurs fratries, cousins germains paternels et alliés respectifs, celles de ses 4 grands-parents et 8 arrière-grands-parents, leurs fratries et alliés respectifs et enfin celle de ses 16 trisaïeuls. Nous devions donc rassembler des données sur 220 individus par auteur en moyenne distribués sur 7 générations. Nous souhaitions au minimum les informations concernant leurs cycles de vie et dans l'optimum sur leur histoire 46 .

Au commencement de notre enquête, nous savions pouvoir rencontrer sûrement un seul auteur qui venait de finir une version dactylographiée de son récit et éventuellement un second, par l'intermédiaire de l'un de nos dépositaires, mais il s'agissait d'un homme très âgé (88 ans). Nous avions aussi connaissance de l'existence de quatre récits d'auteurs décédés avec la possibilité de nous informer auprès de quatre de leurs dépositaires, mais nous savions déjà que les informations seraient partielles. Nous devions donc prévoir de compléter nos données sur ces quatre auteurs et, pour cela, la seule méthode était de remonter un réseau nous menant de cousins en cousins à celui qui détenait les informations attendues, mais qu'alors personne ne connaissait ou nous permettant de cumuler avec chacun de ces cousins les renseignements recherchés. Pour donner place dans notre échantillon à des auteurs non contemporains, nous dépendions des dépositaires de leurs récits et nous savions que les trouver exigeait une longue quête. Etre conduite jusqu'à un auteur ancêtre nécessitait donc une enquête préalable à notre enquête.

Nous avons mené cette première enquête qui nous a amenée à prendre contact avec plus d'une vingtaine de familles de notre population et à lire les récits qui y circulaient. Mais, au vu de nos exigences, nous n'en avons retenu que 11 pour composer notre échantillon. En effet, sur ces vingt familles, nous en avons choisi 15 sur lesquelles nous avons mis à l'épreuve nos hypothèses, mais n'avons proposé nos résultats que sur 11 parce que certaines informations manquaient sur 4 d'entre elles. Quoi qu'il en soit leur présence ou leur retrait ne changeait en rien nos conclusions 47 . Ainsi, notre échantillon d'auteurs a été composé de 4 auteurs contemporains et de 7 appartenant à des époques antérieures. Nous n'avons retenu qu'un seul auteur n'ayant pas pris pour centre la ville de Lyon, prenant le risque de gagner en observation et de perdre en lisibilité 48 . La liste des récits se trouve dans la bibliographie, les patronymes et prénoms ayant été modifiés 49 .

Retenir un tel nombre de familles nous demandait de réunir des données sur 2 420 individus en moyenne : au minimum les coordonnées de leur cycle de vie et à l'optimum leur histoire. Mais, il fallait ajouter à ce nombre les données intéressant les 8 dépositaires des récits des auteurs décédés car nous avions besoin de comprendre aussi leurs rapports à la généalogie, soit ajouter les membres de trois générations supplémentaires en moyenne, donc 240 individus en plus 50 . Nous avions donc besoin de rassembler 2 660 noms, prénoms et cycles de vie au minimum, et histoires de vie au maximum.

Enfin, nous avons sélectionné dans notre échantillon six auteurs et leurs familles à titres d'exemples pour nous accompagner systématiquement, dans notre démonstration, tout au long de la restitution des analyses de contenus de nos récits. Nous en avons fait notre corpus de référence. C'est à partir d'eux que nous exposerons nos résultats : quatre d'entre eux feront l'objet d'un développement très détaillé et deux seront traités plus synthétiquement, pour ne pas noyer le lecteur par trop d'histoires. Mais, nous ajouterons systématiquement en conclusion les résultats relevés sur au moins deux autres auteurs et familles, choisis au choix, au vu de la pertinence des enjeux étudiés, pour faire percevoir les variantes. Ainsi, le lecteur pourra compter sur l'exposé de données concernant plus de la moitié de l'effectif de l'échantillon ; il pourra avoir une large idée de la diversité des écritures généalogiques, nous espérons, sans trop se perdre.

Notes
46.

. Pour compter ce nombre moyen de membres des familles des auteurs dont nous avions besoin, nous avons évalué une moyenne de 5 enfants par génération (hormis la génération des petits-enfants pour laquelle nous en avons considéré 4, car ils étaient, pour beaucoup de nos familles, nés à notre époque contemporaine et donc accusaient les effets du contexte social environnant) et sur ces 5 enfants, seulement 3 avec alliance et postérité. Nous avons renoncé à prendre en compte les données de la parentèle maternelle de nos auteurs devant la trop grande difficulté pour les obtenir.

47.

. Avoir travaillé sur ces quatre familles nous a apporté des variantes supplémentaires à celles de notre échantillon et pour l'une, qui appartenait à une noblesse consulaire, à bien repérer les bornes qui existaient entre modes de vie grand bourgeois et mode de vie noble et non aristocratique, ce qui nous a été fort utile car nous avons pu approcher, de l'intérieur et avec nos outils, ce qui était commun et différent dans leurs écritures généalogiques.

48.

. Dans plusieurs cas, nous devrons exclure ce récit de notre analyse ou prendre en compte les données avec un décalage d'une génération, notamment lorsqu'il sera question de repères concernant Lyon et la génération enracineuse dans la cité. En effet, la localité qui est le centre, pour cet auteur, est une petite ville de l'Ain dans laquelle son grand-père a fait fortune. C'est le père qui vint à Lyon et y introduisit sa descendance. Le récit a aussi sa spécificité : il est un discours oral transcrit – le seul de notre échantillon – commémorant le centenaire d'une maison de famille.

49.

. Nous avons modifié les patronymes et prénoms de nos auteurs et des membres les plus proches de leur famille, notre étude n'engageant pas nos seuls informateurs, mais aussi leurs fratries et collatéraux. Nous le regrettons dans la mesure où ces patronymes évoquent des individus et des familles ayant un renom à Lyon et en France, et donc apportant par leur présence un intérêt historique. La liste bibliographique n'est pas classée dans l'ordre chronologique de publication des récits, mais selon l'indice numéroté que nous leur avons donné.

50.

. En effet, il fallait ajouter aux généalogies de nos auteurs celles de nos dépositaires qui étaient leurs descendants en ligne directe ou issus de collatéraux. Pour 6 dépositaires, nous devions compter seulement leurs fratries et propres descendants, mais pour 2, il fallait ajouter leurs ascendants parce qu'ils se trouvaient être de la parentèle des auteurs, soit 30 individus en moyenne pour chaque dépositaire (nous avons considéré une moyenne de 5 enfants – et alliés – dont 3 avec postérité par fratries, à l'exception de la génération des petits-enfants où nous en avons compté 4 en moyenne).