• Les critères de choix de nos auteurs

Les auteurs devaient remplir plusieurs critères pour satisfaire à notre échantillon. Dans la mesure où nous visions une grande bourgeoisie pour sa longue mémoire et sa forte intégration à son élite, nous avons voulu qu'ils appartiennent à des lignées pouvant faire valoir une ancienneté d'intégration à Lyon d'au moins 5 générations à partir d'aujourd'hui. Pour les contemporains, eux ou leurs enfants adultes devaient être nés à Lyon après quatre générations d'ascendants directs y ayant vécu, peu importe la lignée. Pour les auteurs non contemporains, nous ne pouvions prévoir leurs degrés d'intégration dans la cité, car nous ne connaissions pas à l'avance leur identité et donc la génération à laquelle ils pouvaient appartenir. C'est pourquoi nous avons retenu les 5 degrés d'ancienneté à l'attention des dépositaires de leurs récits. Ainsi, avions-nous des auteurs bien établis à Lyon et d'autres dont rien ne prédisait qu'ils aient été issus d'une filiation très intégrée à la ville. Ce qui nous importait, car nous n'avions pas d'élément pour supposer que les auteurs de récits généalogiques étaient des citadins très enracinés dans leur élite.

Ensuite, leurs patronymes devaient faire partie des noms de familles qui avaient compté dans l'histoire locale de Lyon durant le XXe siècle ou dans les deux siècles précédents, et qui étaient encore évocateurs de cette histoire aujourd'hui. Nous retenions une famille lorsque nous en trouvions des membres en ligne directe dans les livres d'histoire locale ou nationale ou dans l'annuaire du Tout Lyon 51 .

Nous n'avons pas prévu de critères d'âge et de sexe dans la mesure où nous ne connaissions pas par avance les profils identitaires des auteurs de généalogies bourgeoises. Nous présupposions par les travaux de Maurice Halbwachs et des observateurs des nouvelles populations de généalogistes amateurs que nos auteurs pouvaient avoir au moins une soixantaine d'années, mais nous n'étions pas sûre qu'ils n'aient pas déjà largement entamé leur généalogie avant cet âge, au vu de l'ancienneté de la bourgeoisie de notre population. Concernant le critère de sexe, nous pressentions, étant donné la sociologie des élites traditionnelles et les résultats des analyses des populations nouvelles de généalogistes amateurs, que notre échantillon serait majoritairement de sexe masculin : il est composé de 9 hommes et de 2 femmes (les numéros attribués aux femmes, dans nos tableaux, sont 10 et 11).

Quant au choix de la période de notre étude, nous avons opté pour les XIXe et XXe siècles, car nous voulions compter sur des auteurs contemporains pour permettre de comparer nos résultats aux amateurs des nouvelles populations, sans décontextualisation, mais aussi sur des auteurs d'époques antérieures pour favoriser la perception d'organisateurs plus structurels. Les deux périodes précédentes ont été étudiées par André Burguière et nous souhaitions comparer nos hypothèses aux siennes.

Nous n'avons pu trouver des auteurs qui aient vécu à des dates ayant permis de répartir en quatre périodes égales les deux siècles. Nous ne l'avons pas trop regretté car, au vu de la limite du nombre de familles, nous n'aurions pas pu effectuer une comparaison suffisamment significative entre les modes d'expression généalogiques de chaque période et observer les effets des contextes de ces périodes sur les représentations et les pratiques à l'origine de la conscience généalogique de soi. Il nous fallait plus nous concentrer sur les enjeux structurels des modalités de cette conscience, ce qui était bien notre objectif essentiel. Pour autant, nous n'avons pas été obligée de renoncer entièrement à prendre en compte les effets de contexte, car l'analyse de contenus de nos récits nous les a mis en évidence par une autre voie.

Notre échantillon comporte 5 auteurs ayant écrit leurs récits généalogiques dans la seconde moitié du XXe siècle. Les 6 autres se distribuent entre les années 1800 et 1950. L'auteur du plus ancien récit a écrit en 1814 son cahier généalogique et celui du récit le plus récent a fait imprimer son recueil en 1994 (tableau 1).

Tableau 1 : Distribution des dates d'achèvement des récits généalogiques de notre échantillon
Auteurs/
périodes
1 2 3 4 5 6 7 8 52 9 10 11 Total
1800/1850                     1814 1
1851/1900                 1892     1
1901/1950 1924 1941     1945     1918       4
1951/2000     1994 1988   1971 1983     1986   5

Notre échantillon montre donc 2 auteurs ayant achevé leur ouvrage au XIXe siècle, mais il faut ajouter qu'un 3e a commencé le sien à la fin du XIXe siècle, car son recueil est une suite de lettres dont la première fut datée de 1878 et la dernière de 1918. Les 9 autres auteurs ont mis un point final à leurs récits au XXe siècle, 4 pendant la première moitié et 5 durant la seconde moitié. Si l'on se réfère à leur naissance, nos auteurs se distribuent entre les années 1750 et 1920 (tableau 2).

Tableau 2 : Distribution des dates de naissance des auteurs des récits de notre échantillon
Auteurs/
périodes
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 Total
1750/1800                     1754 1
1801/1850               1849 1812     2
1851/1900 1863 1854     1886             3
1901/1950     1929 1914   1906 1909     1923   5

Un auteur est né dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, 5 au XIXe et 5 dans la première moitié du XXe. Ainsi, eu égard à la naissance de nos auteurs, notre échantillon prend bien en compte plusieurs périodes malgré sa distribution inégale : il le fait suffisamment pour nous rendre compte si des différences entre les structures de nos récits ou les comportements de nos auteurs peuvent avoir quelques rapports avec les effets de contextes.

Notes
51.

. Les travaux menés par Yves Grafmeyer sur l'annuaire du Tout Lyon expliquent comment il faut comprendre le sens de la présence des familles qui y sont présentes. Voir (1992) Quand le Tout Lyon se compte, et (1993)“Les Lyonnais du Tout Lyon : une population auto-définie par l'interconnaissance et la parenté”, in Milieux et liens sociaux.

52.

. Si la publication de ce récit a eu lieu en 1977, l'écriture, elle s'est terminée en 1919. Il s'agissait avant sa publication d'une suite de lettres de l'auteur adressés à ses enfants. La première est datée de 1879. C'est le cas aussi de l'un des récits que nous avons mis de côté.