Le recueil des données concernant les auteurs

Nous avions donc à notre disposition trois sources : les auteurs, les dépositaires et les récits. Avec elles, nous devions rassembler les informations qui nous permettaient de mieux appréhender les conditions dans lesquelles pouvait naître et se perpétuer une conscience généalogique de soi ; nous devions pouvoir définir les rapports qui existaient entre identité et mémoire familiale. Aussi, nous avons sollicité nos sources principalement dans l'objectif de connaître nos auteurs, de définir leurs places et leurs fonctions dans leur famille, de repérer celles de ses autres membres, de comprendre les motivations conscientes et inconscientes de leur écriture généalogique, de reconstituer l'histoire de la conception, de la publication et de la transmission de leurs récits dans la suite des générations et enfin de dégager les fonctions du genre généalogique pour un groupe d'appartenance.

Nous avons préféré mener nos entretiens concernant nos auteurs avant d'effectuer l'analyse des contenus de nos récits. Nous souhaitions en effet nous situer en observateur d'un groupe avant d'être l'analyste du dispositif symbolique qu'il a produit et qui le structure. Nous voulions nous trouver dans la même perspective que les chercheurs ayant travaillé sur les nouvelles populations de généalogistes amateurs, c'est-à-dire recueillir les points de vue des auteurs contemporains concernant leur récit et des dépositaires sur celui de leur ascendant. Une telle méthode nous faisait risquer de reprendre notre enquête si nous découvrions après l'analyse des contenus des récits, de nouvelles hypothèses insoupçonnées alors. Nous avions donc anticipé cet inconvénient en nous réservant la possibilité de rencontrer nos informateurs régulièrement, mais de toute façon, il était nettement préférable à celui qui aurait été de nous perdre dans les niveaux d'analyse que nos récits comportaient ; étant indigène, nous étions inquiète de ne pas être capable de reconnaître les énoncés qui, comme le dit Bronislav Malinovski, pouvaient être remis à l'histoire pure, à la légende mi-historique ou au mythe.

Nous avons rencontré très longuement et pour certains d'entre eux à de nombreuses reprises, 3 auteurs et 12 dépositaires, et effectué 33 entretiens avec consultations d'archives. Les entretiens ont porté sur le profil et l'histoire des auteurs, sur ceux de leurs ascendants et descendants, sur la conception de leurs récits, sur leur transmission et leur conservation, etc. A chacun, nous leur avons demandé des généalogies complètes sur leur filiation pour 7 générations. Mais, celles-ci n'ont pas pu être constituées en une seule fois ou avec un seul dépositaire. Il nous a fallu mener de multiples quêtes en sus pour obtenir une date, un lieu, la fratrie d'une arrière-grand-mère, une précision sur un cousin issu de germain, un nombre de fils par rapport à celui de filles, etc., enfin des données qui pouvaient paraître des détails, mais qui nous étaient indispensables au vu de nos attentes. Notre plus grande difficulté a été de réunir les informations concernant les lignées maternelles et surtout les lignées matrilinéaires hormis lorsqu'elles étaient nobles ou de très ancienne bourgeoisie. Nos informateurs se sont souvent mis en quête eux-mêmes pour nous apporter les données que nous cherchions en téléphonant ou écrivant à leurs frères ou sœurs ou cousins. Enfin, nos récits et les documents familiaux consultables qui pouvaient les accompagner étaient aussi des sources d'informations très riches. Nous avons été reçue aux domiciles des auteurs et des dépositaires – à Lyon ou dans sa banlieue – ou encore dans leurs propriétés de famille. Ils pouvaient être ou non accompagnés de leurs conjoints, lors des entretiens.