• Les règles principales de la méthode

Nous verrons dans notre troisième partie ce que chaque règle essentielle de la méthode nous a permis de faire ressortir de nos récits. Le travail d'analyse consiste à prendre d'abord chaque texte séparément et à le considérer comme un tout. Le texte, en sémiotique, forme une unité et possède tout ce qu'il faut pour l'interpréter 63 . Il est avant tout une construction faite avec du langage. Les mots y sont pris dans des parcours, et c'est le parcours qui fait le sens des mots. D'autre part, l'écriture étant soumise à une logique, on doit travailler dans la succession du développement : on prend en compte chaque élément à sa place, car ce qui est après est subordonné à ce qui est avant. Analyser, c'est donc suivre la piste de ces parcours du sens à travers les mots et les expressions du texte, dans le texte.

Le texte est l'objet d'une double étude : l'une narrative et l'autre discursive. La première vise à mettre en évidence la trame du récit. Le travail consiste à relever les actants du procès et à observer leurs performances, leurs compétences et les objets qui circulent entre eux. Ces actants sont des acteurs porteurs de fonctions spécifiques : destinateur ou destinataire, sujet opérateur, adjuvants ou opposants. Ils sont qualifiés différemment selon les procès intermédiaires dans lesquels ils sont inscrits : ainsi dans nos récits, on peut constater, par exemple, certains acteurs ascendants de nos auteurs désignés tour à tour par notre grand-père, notre bon grand-père, mon grand-père ou encore grand-père , ce qui change la représentation du lien que le narrateur veut produire à l'attention de ses lecteurs. La seconde étude a pour objectif de repérer les indices du temps et d'espace (réels et symboliques) dans leurs liens avec les acteurs, ainsi que ceux d'énonciation (je, ici et maintenant). Elle met à jour les figures du texte.

Il s'agit ensuite de nommer les rapports qui lient les acteurs entre eux et à leurs objets, étant donné les qualités qui leur sont reconnues, selon les temps et les lieux dans lesquels ils se situent. On peut alors voir émerger les transformations qu'ils subissent au cours du texte et, observant leur logique progressive, mettre en lumière les enjeux que le narrateur a tissé en fil de chaîne derrière sa trame. On peut alors concevoir des hypothèses sur la signification du message véhiculé par le texte, dans toute sa complexité et au-delà de l'intention de son auteur.

L'analyse doit porter sur chaque énoncé du texte, ce qui donne à cette méthode sa validité quant à la profondeur dans laquelle les enjeux sont puisés, mais ce qui exige un long et patient travail, et un retour renouvelé sur l'ouvrage, pour comprendre tous les rapports à prendre en compte dans la dynamique du texte. Un tel procédé est possible lorsque celui-ci ne dépasse pas une vingtaine de pages. Dans le cas d'un nombre supérieur, une adaptation est nécessaire. L'effort d'analyse porte alors sur les deux extrémités du texte et sur des morceaux choisis en son milieu. Et, une fois les hypothèses sur la signification retenue, elles sont vérifiées dans tout le texte.

Un texte ne se laisse pas saisir facilement derrière sa trame. Sa longue fréquentation est un gage de sa meilleure compréhension. Elle amène à découvrir des problématiques insoupçonnées dans les toutes premières relations avec lui. Elle introduit aussi le lecteur, petit à petit, parmi les acteurs, jusqu'à lui désigner sa place au cœur des enjeux qu'il met en lumière.

Notes
63.

. La considération d'autres connaissances n'est pas pour autant exclue de la méthode sémiotique. Seulement, le langage est le lieu de l'interprétation et non le fait historique ni le fait littéraire.