1 – 1. Les origines de la généalogie en Europe

Dans toutes les civilisations antiques, la généalogie se révèle d'abord l'une des composantes essentielles des religions. On la trouve dans la plupart des mythes qui concernent la création de l'homme. Elle émerge en même temps que l'écriture.

1 – 1.1. L'Antiquité

La généalogie est d'abord une succession de rois ou de chefs de peuples mise sous une autorité divine. En effet, les premiers textes écrits qui ne soient pas de simples aide-mémoire comptables sont des listes royales inscrites sous l'autorité des dieux, datées du troisième millénaire avant l'ère chrétienne 67 . On observe ce fait dans tous les grands foyers anciens de civilisation. Ainsi en est-il aussi pour les textes judéo-chrétiens qui décrivent les origines de l'homme de notre civilisation européenne. Puis, la généalogie deviendra une descendance, issue d'un ancêtre éponyme divin. Son objectif est alors de fonder la légitimité historique d'une religion, d'un chef ou d'un peuple. Les candidats à un rôle dans l'histoire, en quête de reconnaissance publique, et surtout leurs propagandistes, développent, grâce à elle, un argumentaire où origines et filiations divines tiennent une place de choix. Par exemple, en Grèce, Hérodote fait descendre les hommes des dieux. A Rome, on sait que Romulus et Remus sont les fils de la vestale Réa Silvia et du dieu Mars, et par Virgile qui cherchait à fonder, après la République, la légitimité des empereurs, que la gens Julia dont descendait Caïus Julius César (Jules César) et Octave-Auguste était directement issue d'Enée, lui-même fils de Vénus.

Mais, on trouve aussi dans l'Antiquité des généalogies profanes. Ainsi, à Rome, dit André Burguière, on en voit, mais seulement dans les familles patriciennes qui configurent des lignes de filiation verticales entre leurs ancêtres les plus anciens et leurs enfants : cette configuration prend en compte des filiations juridiques et non charnelles des lignées. En effet, les masques funéraires en cire (imagines) des membres des familles patriciennes étaient conservés. Les morts devenaient ancêtres accueillis dans le panthéon familial où ils contribuaient au renom de leur famille 68 . Pline l'Ancien et Sénèque ont décrit comment l'atrium des maisons patriciennes pouvait être décoré de portraits de famille reliés entre eux par des rubans ou des guirlandes, les stemmata, qui partaient de l'ancêtre commun 69 . Ainsi, dans la civilisation qui a le plus influencé les structures de l'Europe, bien avant notre Moyen Age, déjà à l'époque de la République romaine, le patriciat était formé de clans familiaux dont les membres se prévalaient de leurs pouvoirs politiques et religieux par une communauté d'ancêtres, et en face, on trouvait les autres, la plèbe qui regroupait les Romains dépourvus d'aïeux.

En conclusion, le mouvement du monde trouve son premier enchaînement explicatif et son premier ordre dans un lien généalogique, d'abord entre le divin et l'humain – le premier créant le second puis le second descendant du premier – et secondairement, entre les humains, mais seulement dans les élites.

Notes
67.

. Les plus anciennes listes royales ont été mises au jour à Fâta et Abû Salabih (l'une des cités-Etats de la Moyenne-Mésopotamie appelée alors Shuruppak) et datées de 2700-2600 av. J.-C. Nous avons puisé cette information dans l’ouvrage d'Emmanuel de Boos (1998), La généalogie. Familles, je vous aime, p. 33.

68.

. BURGUIERE André (1992), opus cit., pp. 18-51.

69.

. BOOS Emmanuel de (1998), opus cit., p. 36-37.