2 – 1.1. Les origines de la bourgeoisie

L'individu identifié comme bourgeois au XIe siècle, est l'habitant d'une ville. Il est d'abord un marchand. En effet, à cette époque, on assiste à la renaissance du commerce en Occident. Les villes médiévales constituaient d'un point de vue économique un siège industriel et commercial, mais aussi politiquement, une forteresse et un lieu de garnison, et administrativement une juridiction. Elles avaient besoin d'une armée, d'une police, d'une administration et d'une justice. Aussi, leurs habitants s'associèrent pour organiser leur fonctionnement. Leur lien d'association reposa sur le serment. Avec lui, ils devenaient des bourgeois, c'est-à-dire des citoyens considérés en tant qu'individus. Plus que l’origine familiale, c’était la qualité de membre de l’association locale de la ville qui garantissait le statut de bourgeois”. Ainsi, à partir d'une simple assemblée de personnes liées par serment, formée suivant les circonstances et à court terme, naquit un groupement politique durable dont les membres légalement associés jouissaient du droit statutaire particulier de citoyen d'une ville 150 . Les candidats à la bourgeoisie étaient des individus qualifiés par la possession de propriétés foncières urbaines qui devaient répondre de charges et de devoirs particuliers, mais qui jouissaient aussi de privilèges spécifiques : monopole de marché et droits d'entrepôt, privilèges et interdits professionnels légaux, participation au tribunal municipal, position militaire et fiscale privilégiée. Le but de la fraternisation par serment était d’abord l’union des propriétaires fonciers locaux, pour l’attaque et la défense, pour l’arbitrage pacifique des différends et pour la sauvegarde d’une administration de la justice qui corresponde aux intérêts des citadins. Mais, l’objectif était aussi la monopolisation des possibilités économiques que la ville offrait à ses habitants : seul l’associé par serment était admis à participer au commerce des citadins. 151 “ La ville était une fondation profane 152 .

Le bourgeois est en conséquence un adepte de la cité, mais simultanément un voyageur, un mandataire dans le courant des échanges. Il fréquente le marché, mais arpente les murs de la forteresse pour défendre sa ville, une des premières obligations qu'il eut dans l'histoire de sa condition sociale. Le château à orientation politique et militaire et le marché à orientation pacifique se tiennent souvent côte à côte et servent souvent les deux fonctions : esplanade et lieu de rassemblement de l'armée, donc des bourgeois, d'une part, place du marché aux fonctions économiques et pacifiques, d'autre part 153 . Ce rapport entre les deux fonctions du bourgeois des origines est au centre de l'organisation citadine. Il installe le citoyen bourgeois dans un ordre statutairement et communautairement défini, porteur de privilèges et de charges – un ordre de notables – mais n'a d'existence que parce qu'il repose sur une économie de marchand, c'est-à-dire sur une mobilité géographique. Au cours des siècles suivants, le bourgeois poursuivra son destin dans ce même rapport : entre stabilité et mobilité. Entre les deux choisira-t-il ?

Dans la seconde partie du Moyen Age, la responsabilité des affaires communales, et donc l'obligation de gérer des litiges, a amené les bourgeois à apprendre le droit et à se perfectionner en matière de comptabilité et de change. A partir de la Renaissance, la monarchie remplace la France féodale et l'entretien des armées doit compter avec les services des financiers, ce qui ouvre l'ère des banquiers. Les offices royaux s'achètent et une bourgeoisie de fonctionnaires se constitue alors pour organiser l'administration de l'Etat. Les jurandes s'établissent mais les communes disparaissent. La bourgeoisie exerce au service du Roi. Elle devient une contre-puissance des vassaux. Sous Louis XIV, certains de ses services et de ses fonctions peuvent produire l'anoblissement et devenir héréditaires. Ces bourgeois ne sont plus tous à l'image de ceux des origines, citoyens des villes, libérés de leur tutelle seigneuriale et ecclésiastique. Avec le désir de noblesse, note Régine Pernoud, c’est une tendance profonde vers la stabilité qui s’est manifestée, tendance qui s’est exprimée notamment par les achats de terre. En effet, la bourgeoisie a eu conscience dès l’origine du caractère passager, transitoire, qui est le sien ; instinctivement elle a tendu à l’effacer par l’acquisition de quelque chose de permanent. Par une sorte de prise de conscience collective elle a compris que, si la fortune crée le bourgeois, la bourgeoisie, elle ne s’affirmerait que par une consécration autre que celle de la fortune 154 . A l'aune de la Révolution, grande et petite bourgeoisies se font face jusqu'à s'exclure dans un contexte où toutes deux ont subi une régression sociale malgré l'expansion coloniale et le développement industriel.

Notes
150.

. WEBER Max (1947), La ville, p. 73.

151.

. WEBER Max (1947), ibid., p. 71.

152.

. WEBER Max (1947), ibid., p. 63.

153.

. WEBER Max (1947), ibid., p. 34.

154.

. PERNOUD Régine (1962), Histoire de la bourgeoisie en France. Les temps modernes, tome 2, p. 88.