1 – 2.2. Des fils (filles) de lignées bien établies à Lyon

Examinons maintenant les lieux de résidence des auteurs et de leurs ascendants. Nous nous demandions jusqu'où il fallait avoir des ancêtres lyonnais pour être le signataire d'un récit bourgeois et dans combien de branches. Nous souhaitions voir aussi, si pour tous les auteurs, c'était la même branche qui était la plus anciennement implantée à Lyon 302 . Enfin, nous voulions savoir si, pour être auteur, il fallait habiter dans le milieu géographique – Lyon – dans lequel sa famille était bien intégrée. Observons tout d'abord les lieux de résidence des générations des bisaïeuls (Tableau 12).

Tableau 13 : Lieux de résidence des auteurs et de leurs ascendants
Auteurs/
Lieux du domicile 303
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Auteur Lyon/
Paris
Lyon Lyon Lyon Lyon Tours Le Havre
Rouen
Lyon Lyon/
Paris
Lyon Savoie
Parents Loire/
Lyon
Lyon/
Rhône
Lyon Lyon Lyon Lyon Lyon Lyon Lyon Lyon Lyon
Gds-parents
paternels
Lyon Saint-
Etienne
Lyon Lyon Ain Lyon Lyon Lyon Lyon Lyon Ain
A-g-parents I Lyon Ardèche Lyon Lyon Ain Lyon Drôme Savoie Ain Lyon Ain
A-g-parents II Lyon Rhône Lyon Lyon Ain Rhône Hors
Rhône
Givors Inconnu Bourg Cham-
béry
Gds-parents
maternels
Lyon Lyon Lyon Lyon Lyon Lyon Lyon Lyon Lyon Lyon Lyon
A-g-parents III Rhône Rhône Lyon Lyon Lyon Lyon Lyon Loire Lyon Lyon Inconnu
A-g-parents IV Inconnu Lyon Lyon Lyon Inconnu Lyon Metz Lyon Loire Mâcon Lyon

Tous les auteurs ont au moins 1 de leurs 4 couples d'arrière-grands-parents habitant la ville de Lyon, qu'ils soient de la branche paternelle ou maternelle. 5 en ont au moins 2. Et 2 les ont tous les 4. Sur tout notre échantillon, on compte au moins 21 arrière-grands-parents installés à Lyon sur 44 (il y a 4 inconnus). Ainsi, pour être auteur, faut-il avoir au moins 3 générations d'une lignée derrière soi ayant habité la même ville. Peut-on remarquer une branche installée à Lyon depuis plus longtemps que les autres ? Si l'on compare les maternels et les paternels, on trouve une différence : sur les 21, on trouve 8 branches paternelles plus établies (1 inconnu) pour 13 maternelles (3 inconnus).

Si nous observons de près la lignée patrilinéaire : 5 sur les 11 auteurs ont leurs bisaïeuls lyonnais. Les bisaïeuls des autres, eux, ont vécu dans les régions environnant la cité : l'Ain, l'Ardèche, la Drôme et la Savoie 304 . Ainsi, seulement 5 auteurs ont au moins trois générations de Lyonnais derrière eux dans leur lignée patrilinéaire. Examinons maintenant les autres branches. Ont-elles, en proportion, plus d'ancienneté, car si tel était le cas, on pourrait penser qu'il peut y avoir une question concernant l'ancienneté des pères ou de leur patronyme à l'origine de l'écriture ? Pour ce qui concerne la lignée liant nos auteurs à leurs autres couples de bisaïeuls paternels, il y en a moins : 3 seulement. Ainsi, 5 auteurs ont-ils au moins un des deux couples de bisaïeuls paternels. Pour les couples de bisaïeuls maternels, on en compte pour l'un 7 et pour l'autre 6. Ainsi, tous les auteurs en on toujours un des deux à Lyon, à l'exception d'1 qui a une inconnue. les autres lignées n'ont pas plus d'ancienneté en comparaison. On peut constater que les maternels ont plus de présence dans la cité. Nos auteurs sont des individus mieux enracinés par cette branche que par celle des paternels. On n'écrit donc pas parce que sa lignée patronymique a le plus haut degré d'ancienneté à Lyon – à l'aune au moins de ses bisaïeuls – car certains auteurs ont leur deux branches établies avec la même profondeur généalogique, ni à cause du contraire. En revanche, on écrit dans un contexte dans lequel l'enracinement lyonnais maternel est plus fort ou au moins égal.

Comparons maintenant le degré d'ancienneté de ces familles à Lyon au-delà des bisaïeuls, c'est-à-dire en prenant en compte les branches paternelles et maternelles de ces bisaïeuls. Nous voulons comparer le degré d'ancienneté des lignées lyonnaises patrilinéaires et maternelles (Tableau 14).

Tableau 14 : Degrés d'ancienneté des auteurs à Lyon au-delà de leurs bisaïeuls (N = appartenance à la noblesse de la branche ; + 1, + 2, + 3 = 1, 2 ou 3 générations ayant résidé à Lyon au-delà des bisaïeuls).
Auteurs/
générations lyonnaises et nobles avant les bisaïeuls
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
A-g-parents I
. branche pat.
. branche mat.

Rural
Lyon+2

Rural
Rural

Lyon+3
Lyon+2

Rural
Lyon+1N

Rural
Rural

Rural
N

Rural
Rural

Rural
Rural

Rural
Inconnu

Lyon+1
Inconnu

Rural
Rural
A-g-parents II
. branche pat.
. branche mat.

Lyon +3
Inconnu

Rural
Rural

Rural
N

Inconnu
Lyon+3

Rural
Inconnu

N
N

Rural
Rural

Rural
Rural

Inconnu
Inconnu

Rural
Inconnu

Rural
Inconnu
A-g-parents III
. branche pat.
. branche mat

N
Inconnu

Rural
N

N
N

Rural
Inconnu

Lyon+2
Inconnu

N
Inconnu

Rural
Inconnu

Rural
Inconnu

N
Lyon+1N

Inconnu
Inconnu

N
Inconnu
A-g-parents IV
. branche pat.
. branche mat

Inconnu
Inconnu

Rural
Inconnu

Rural
Rural

Rural
N

Inconnu
Inconnu

Inconnu
Inconnu

N
N

N
Inconnu

N
Inconnu

Rural
Inconnu

Inconnu
Inconnu

Dans la branche patrilinéaire, seulement 4 auteurs sont implantés par leur lignée à Lyon au-delà de leurs bisaïeuls : 2 par les hommes et 3 par les femmes (Tableau : arrière-grands-parents I) 305 . Si l'on observe maintenant toutes les autres branches, on peut voir qu'elles ne sont pas souvent plus anciennement implantées à Lyon qu'au delà des arrière-grands-parents (5/11). Pourtant, il faut remarquer que l'implantation hors de Lyon n'est pas absente d'enjeux pertinents. En effet, une ou plusieurs branches maternelles appartiennent à la noblesse et résident très logiquement hors des villes. Mais, elles apportent de l'ancienneté aux auteurs, non par l'implantation géographique, mais par l'intégration sociale dans leur élite. On peut ainsi trouver chez 9 auteurs sur les 11 une branche noble au minimum dans leur filiation et qui remonte amplement au-delà de leurs bisaïeuls 306 . 5 auteurs en ont une, au moins, parmi les trois autres branches paternelles et 9 en ont une, au moins, parmi leurs maternels. de Il est difficile d'aller plus loin dans l'analyse des données car nous avons trop d'inconnus même si nous supposons que les inconnus ont plus de chance de ne pas avoir habité Lyon ni d'être nobles, car nos informateurs l'auraient su et les auraient inscrits très sûrement dans les généalogies qu'ils nous ont remises.

Examinons maintenant s'il faut avoir au moins ses grands-parents paternels lyonnais pour écrire. 8 auteurs sont dans ce cas. Si l'on observe le lieu de résidence des grands-parents maternels, on constate que toussont à Lyon. Quant aux parents de nos auteurs, ils ont tous habité Lyon. On peut conclure que tous les auteurs ont une forte implantation lyonnaise par des paternels ou des maternels, mais toutes leurs branches ne sont pas dans le même cas. Ainsi, le degré d'ancienneté dans la ville est une variable pertinente pour laisser penser son impact dans l'émergence d'une conscience généalogique de soi chez nos auteurs. Mais, ce n'est pas le haut degré d'ancienneté de la lignée patronymique qui en est le déclencheur.

Recensons maintenant les villes de résidence de nos auteurs eux-mêmes : sont-ils tous natifs de Lyon ? On saura si habiter la ville dans laquelle on est né bourgeois est nécessaire pour écrire ou au contraire si on écrit parce que l'on n'y est pas. 5 auteurs sur les 11 ne vivent pas à Lyon. Mais, pour 2 d'entre eux, en fait, l'expatriation n'est pas totale : ils vivent dans la capitale et à Lyon ou plus exactement dans leurs maisons de famille de la région lyonnaise au milieu d'un réseau de Lyonnais. Résider à Lyon n'apparaît pas un facteur significatif, ni dans un sens ni dans l'autre. Mais, il faut prendre en compte les effets de ce réseau perpétué par les maisons de famille qui fait des Lyonnais des multilocalisés plus que des expatriés.

Conclusion

L'ancienneté donne une antériorité et un crédit sur l'avenir, dit Anne Gotman. “Elle est le signe de la maîtrise symbolique du temps.” 307 En effet, on a vu que par leur père ou par leur mère, les auteurs occupaient une place de choix pour mettre à profit à la fois cette antériorité et ce crédit offerts avec l'ancienneté de l'installation de leurs lignées dans la cité. Tous ont leurs parents lyonnais et leurs grands-parents de même par au moins l'une de leurs branches. Ils ont aussi au moins un bisaïeul lyonnais, que ce soit en lignées paternelles ou maternelles. Il n'y a pas de branches établies depuis plus longtemps que les autres si l'on se limite à l'horizon des arrière-grands-parents. Mais, si l'on observe au-delà, on voit que 9 de nos auteurs ont au moins une branche maternelle noble dont les aïeux sont connus depuis plus longtemps que les autres. On peut ainsi conclure que la préséance de l'ancienneté dans leur élite se trouve chez leurs maternels. Cette configuration de leur filiation est un facteur pertinent pour comprendre pourquoi une conscience généalogique de leur identité a émergé chez eux. Quant à leur trajectoire résidentielle, on a vu qu'ils ne vivaient pas tous à Lyon, mais que s'y trouver en dehors ne signifiait pas être expatrié à cause, de la multilocalisation de leur mode de vie.

Notes
302.

. Nous savions qu'une des branches – une patronymique – de 3 auteurs vivants de notre corpus comportait au moins 4 générations ayant vécu à Lyon avant eux. Mais cela ne voulait pas dire que d'autres branches n'avaient pas été plus anciennes. Pour les autres auteurs, le choix de la profondeur généalogique de la lignée s'est fait sur les dépositaires de leurs récits.

303.

. Notre analyse à partir du couple des auteurs et ascendants permet de lire les lieux des implantations des couples et non des individus. Elle ne donne pas l'entière mesure du degré d'intégration des auteurs dans la cité. En effet, pour beaucoup, lorsque les couples n'habitent pas Lyon, les maternels et même matrilinéaires sont lyonnais. Nous avons donc, pour certains cas, défini deux lieux mais, dans notre recension, pris en compte seulement l'implantation géographique, soit l'extériorité lyonnaise. L'intégration est alors sociale.

304.

. On ne constate pas d'origines rurales communes aux premiers ancêtres des bourgeois lyonnais, si ce n'est que les migrations se sont faites à partir des départements limitrophes au Rhône, ce qui va tout à fait dans le sens de l'histoire de la bourgeoisie.

305.

. Nous avons seulement pris en compte les ascendants en lignée paternelle de la bisaïeule des auteurs.

306.

. Les 2 cas qui font exception sont l'auteur du récit 5, dont la ville d'élection choisie par l'auteur n'est pas Lyon, et l'auteur qui fit la généalogie des graveurs et peintres lyonnais.

307.

. GOTMAN Anne (1988), opus cit., p. 113.