1 – 2.1. Le temps de l'harmonie : le paradis

Nous allons voir que chacun des récits décrit un temps dans lequel la famille des narrateurs a vécu sans avoir besoin de se préoccuper de son avenir et dans lequel ses membres se confondaient avec elle et avec les ressources qui leur procuraient leur existence.

  • Récit 1 : Aux commencements, la famille du narrateur et ses membres étaient confondus avec la France de l'Ancien Régime.
‘Ces “fidèles sujets de Louis XIII, de Louis XIV, de Louis XV, et de Louis XVI vivant d'un travail honorable, dans le cadre de leurs libertés provinciales, communales et professionnelles, ont mené une existence paisible, sans inquiétude pour un avenir que nul danger extérieur ou intérieur ne menaçait” (III/9).’

Les liens étaient si forts entre les membres de la famille du narrateur, que ceux-ci étaient la famille et la France à la fois. Il n'y avait pas d'individus ; il y avait des sujets qui croyaient ce que l'Ancien Régime croyait 368 . La famille était sans histoire. Son histoire était celle de ses suzerains 369 . Ses membres étaient attachés à la France et soumis à leur roi 370  ; ils lui donnaient leur foi. Leur existence était prospère ; elle exprimait une sécurité générale 371 . La liberté régnait. Les fils succédaient aux pères dans les mêmes charges ; le temps s'écoulait ; l'avenir semblait devoir poursuivre éternellement cet état de la vie.

‘“Vous y verrez une famille, de souche très probablement paysanne, s'élever dès le début du dix-septième siècle à la condition moyenne (...) C'est ainsi sans doute que Barthelemy Delérable était devenu, sous le règne de Louis XIII, notaire royal à Marcy-le-Loup (...). Vous verrez qu'il a paisiblement transmis à son fils et à son petit-fils, et cela pendant plus d'un siècle, une charge dont il n'était alors donné à personne de lui contester la propriété” (II/35).’

Leur foi était double : religieuse et monarchique. Dieu et le Roi étaient l'objet d'une et même foi.

‘“Ces hommes d'Ancien Régime ainsi que les bonnes aïeules, leurs compagnes, ont ainsi traversé la vie solidement appuyés sur la double foi religieuse et monarchique “ (VI/1). ’

Après la Révolution, les descendants ont continué à avoir les mêmes sentiments 372 . Le narrateur comme ses fils aînés, y sont restés attachés.

‘“A travers la Révolution, ces sentiments ont continué à être ceux de leurs descendants jusqu'à mon père, jusqu'à moi-même” (IV/3).’

Mais avec la mort de ces fils aînés, les ancrages qui avaient tenu le narrateur vont être ébranlés.

  • Récit 2 : Aux commencements de l'histoire de la famille du narrateur de ce deuxième récit, la famille, leurs ascendants et leur propriété étaient confondus.
‘“Ainsi qu'il ressort du tableau généalogique n° I :
La famille Collas est originaire de Boulieu (Ardèche). Nous y trouvons notre ancêtre Pierre Collas qui y est né en 1645 et qui s'y est marié avec une jeune fille du pays, Catherine Morin. Il y possédait une importante propriété dont il dirigeaitl'exploitation.
Cinq générations se sont succédées à Boulieu, dont quatre ont continuél'exploitation :
1 - Pierre Collas, 1er du nom, né vers 1645, marié à Catherine Morin ;
2 - Mathieu Collas, 1er du nom, né le 5 Juillet 1678, marié à Anne Blier ;
3 - Pierre Collas, 2e du nom, né le 30 octobre 1709, marié à Marie-Jeanne Catala ;
4 - Mathieu Collas, 2e du nom, né le 6 Juin 1733, marié à Anne Demichel.
De chacune de ces quatre premières générations, nous ne connaissons que notre auteur direct, resté attaché à la propriété (et qui) se livrait à (son) exploitation” (3/2).’

Ainsi, à ses commencements, la famille puisait ses ressources dans sa propriété et se réduisait à son auteur direct 373 . Cet auteur dirigeait l'exploitation, mais y était attaché et livré à l'image donc d'un esclave, la régissant et la conduisant mais en dépendant entièrement pour exister. Ainsi, les quatre ascendants des premiers temps représentés par leur auteur direct participaient d'une même entité et se succédaient les uns aux autres, chacun prenant la place du précédent sur le même espace 374 . Il n'y avait pas de différences entre eux ni d'identité singulière pour chacun. Mais, grâce à l'auteur direct, la famille connaissait ses origines. Cette connaissance lui venait exclusivement de son attachement à sa propriété. Aussi, si la propriété venait à disparaître, la mémoire de la famille subirait le même destin.

  • Récit 3 : Aux commencements de l'histoire de la famille du troisième narrateur, celle-ci était confondue avec “la très ancienne famille des Armand de Barry connue en Bretagne” et avec son blason.
‘“La très ancienne famille des Armand de Barry connue en Bretagne au XIIIe siècle puis en Anjou au XVe, éteinte au XVIIIe siècle, portait les mêmes armes que nous, avec en sus, un chef chargé de trois étoiles. Sommes-nous de même race, ou est-ce notre famille qui a repris ces armoiries en les modifiant légèrement ?” (1/11).’

En effet, on croyait, dans la famille, que les Armand de Barry 375 et la famille étaient les mêmes et que le blason des seconds avait été hérité des premiers, même s'il montrait une petite différence 376 . Donc, on voyait la famille pourvue d'une origine très ancienne et de haut rang. Avant que l'on sache que la lignée de ces Armand de Barry s'était éteinte au XVIIIe siècle, les Armand considéraient descendre de la race des Armand de Barry.

  • Récit 4 : Aux commencements de l'histoire de la famille du quatrième narrateur, celle-ci se confondait avec sa fortune immobilière et son chef qui avait su la conserver. En effet, au temps d'avant le partage de la fortune, il y avait un chef dans la famille : c'était la mère de François Félix Bétiny qui avait laissé, à sa mort, une fortune considérable à la famille. Tant qu'elle existait, la fortune existait et la famille aussi : toutes deux étaient son univers. Et elle vécut longtemps (97 ans).
‘“Scholastique Bonaventure dut jouer le rôle de chef de famille jusqu'à sa mort 12 ans plus tard ; cela ne lui fut pas contesté. Elle s'éteignit à l'âge de 97 ans, mais toujours munie de toutes ses facultés (...) (5/13).’

Elle confondait sa vie avec celle de sa famille : ainsi, les naissances chez son fils et sa belle-fille sont annoncées comme les naissances de ses petits-enfants 377 . En effet, elle les éleva.

‘“Elle survécut longtemps à son mari. A la mort de celui-ci, elle avait déjà deux petits-enfants, Joséphine et Adrien ; ils furent suivis très vite d'une seconde petite fille Denise, née en Juillet 1852, puis ce fut en 1857, Bonaventure quatrième enfant de François Félix et de Marie Cortet.”(4/33)’

A la mort de sa belle-fille, elle s'installe chez son fils et sa vie se confond avec celle de ce dernier.

‘“Les circonstances l'amenèrent rapidement à dépasser le rôle traditionnel de grand-mère auquel elle s'adonnait certainement. En Décembre 1862 en effet, Marie Cortet décéda brusquement d'une crise cardiaque et François Félix se trouva veuf avec quatre enfants dont seule Joséphine était établie, ayant épousé en Avril 1861 Jean-Pierre Baffin ; les trois autres avaient respectivement 12, 10, et 6 ans et Scholastique Bonaventure dut prendre en charge leur éducation. Elle vint s'installer chez son fils, 2 Place de la Bourse. A partir de ce moment sa vie se confond avec celle de la famille de son fils ; ce ne fut pas sans soucis, ses deux petits-fils ayant eu des accrocs de santé assez sérieux mais en définitive bien surmontés.
Lorsque François Félix décéda en mai 1871, la tâche de Scholastique Bonaventure n'était toujours pas terminée bien qu'elle eut 85 ans. Adrien n'avait que 20 ans et les deux derniers étaient encore mineurs, Bonaventure ayant tout juste 15 ans” (5/1)’

Enfin, elle influe sur le destin de la fortune avec les conseils qu'elle octroie à ses petits-enfants qui attendent ses assentiments sur la gestion du patrimoine immobilier et la succession de son fils : de son temps, la famille favorisait l'indivision de sa fortune, mais aussi celle de ses membres. En effet, ce n'est qu'une fois décédée et sa propre succession achevée que la succession de son fils fut reconsidérée et la liquidation des biens y afférant rendue possible.

‘“D'un commun accord les quatre héritiers décidèrent de ne pas donner suite aux attributions immobilières prévues par le testament et de 'recueillir tous les immeubles de la succession dans une indivision par portions égales'.
L'acte ultérieur, en date du 16.12.1887, portant partage des immeubles situés à Ouroux, souligne que cette décision fut prise par les quatre héritiers, 'avec l'assentiment complet de leur grand-mère Bonaventure Bétiny-Pavois' ; celle-ci était alors âgé de 85 ans mais le fait que son assentiment ait été ainsi expressément souligné montre qu'elle était encore en mesure de donner un avis autorisé (...)
Cette indivision subsista jusqu'en 1887, époque avant laquelle la situation familiale avait suffisamment évolué pour que la liquidation définitive de la succession puisse être envisagée. (...) Enfin la grand-mère Scholastique-Bonaventure étant décédée en Avril 1883, l'ouverture de sa succession avait sans doute apporté des éléments d'appréciation nouveaux tandis que sa disparition ne pouvait que relâcher les liens existant entre les quatre frères et sœurs” (p. 8-9).’

Mais avant que la vie de Scholastique Bonaventure ne se confondît avec celle de ses descendants, elle se confondait déjà avec celle de ses parents. En effet, cette dernière était destinée depuis sa naissance à accomplir leur ambition 378 et son éducation la prépara tout naturellement à l'élévation de sa famille 379 . On lui choisit des parrain et marraine d'exception 380  :

‘“Dès sa naissance, ses parents firent preuved'ambition à son sujet en lui choisissant pour parrain Joseph Robin, docteur en théologie et doyen de l'église collégiale de Varambon, et comme marraine Scholastique Bonaventure de Laberrière de Challe, comtesse de Briort en Bugey (paroisse de Gouverdriat) ; ils n'hésitèrent pas à donner à leur fille les deux prénoms de Scholastique et Bonaventure certainement peu communs à l'époque en milieu rural” (2/16).’

En conclusion, elle traversa le temps et les générations en occupant les places de sa belle-fille d'abord, puis de son fils, puis de ses petits-enfants. Avec sa mort, la fortune se divisa et les liens de la famille se relâchèrent.

  • Récit 5 : Aux commencements de l'histoire de la famille de ce narrateur, il y avait celle-ci qui se confondait avec la terre et les individus qui y ont habité. En effet, on trouvait tout dans la terre : l'amour de Dieu, de la famille réunie, de son prochain et de son petit domaine familial.
  • Récit 6 : Enfin, aux commencements de l'histoire de la famille de ce narrateur, celle-ci se confondait avec une peuplade dont les êtres pouvaient être variés et bigarrés mais partageaient les mêmes droits du sang.

Conclusion

Ainsi, aux commencements de chaque histoire familiale de nos récits, la famille est représentée comme vivant à partir de ressources qui l'ont générée. On peut aussi constater dans le reste de notre corpus d'autres sources génératives, comme pour une famille, la tradition ancestrale, et pour une autre une lignée immémoriale d'artistes. Ces ressources proviennent d'objets qui sont respectivement pour chacune :

  • L'Ancien Régime
  • La propriété
  • L'origine aristocratique
  • La fortune indivise
  • La terre
  • Les droits du sang

Dans les autres récits de notre corpus, on trouve par exemple pour l’un, la ressource du travail qui a fait la force et la richesse de la famille et pour un autre, celle de la continuité des artistes célèbres. Ce sont ces objets qui ont fait la famille. Entre eux et la famille, le lien est fusionnel et naturel. Il est évident. La famille a comme surgi de son objet et un cordon matriciel l'y rattache. Elle a été comme tirée de lui 381 , mais le mystère a recouvert le moment de son apparition. De lui vient l'existence. Il produit abondance, richesse, élévation, sécurité, prospérité, unité, etc. 382 . Avec lui, on ne s'inquiète pas de l'avenir et la famille est un lieu de jouissance infinie et de consommation sans peine.

L'objet a donc fait exister les ancêtres. Et, ce faisant, il a dans le même temps produit l'existence de la famille. Il a conçu le mode de vie de celle-ci dans sa dépendance et sa conservation en un éternel retour. Sans lui, la famille n'aurait pas été. Mais, ses membres se sont tenus hors de l'histoire. Le temps n'a rien introduit dans un tel mode de vie, sinon la répétition fidèle de ce qui a été, les générations se succédant diachroniquement, sans pour autant modifier leur rapport à l'objet et à son monde 383 .

Ainsi, le commencement de l'histoire familiale de nos narrateurs est une époque mythique dans laquelle la famille a vécu un paradis, un temps rêvé au cours duquel l'abondance régnait sans question ni crainte pour l'avenir. Il témoigne d'un mode d'existence précis qui a défini le rapport de celle-ci au monde et dans le même temps l'identité fondatrice des membres qui en font partie.

Ces rapports de la famille au monde des commencements est comparable au rapport d'un nourrisson au monde, tel que l'anthropologie psychanalytique peut le décrire 384  : la mère étant avec le nourrisson dans le même rapport que l'objet avec la famille. En effet, aux commencements des familles comme aux commencements de l'humain, les liens sont d'abord ceux qu'un sujet noue avec l'objet originaire et pas encore ceux qu'ils nouent avec les autres membres de sa famille ou de sa société. Ils sont matriciels.

On peut donc constater que les familles de la bourgeoisie inscrivent dans leur mémoire, avec leurs récits généalogiques, le récit de leurs origines, comme les pays, les peuples, les villes, etc. peuvent le faire. En effet, si elles veulent traverser le temps et l'espace, elles doivent se pourvoir de mythes pour résoudre les incompatibilités qu'elles peuvent rencontrer avec l'histoire et les générations à venir. Le maintien de leur identité dans le temps et dans l'espace les amène à devoir se considérer comme des structures. Elles ont besoin de la cohérence, de l'unité et de la validité provenant de la répétition non historique de la condition première de leur avènement. Elles doivent être productrices d'intelligibilité concernant les identités qui les définissent 385 . Nous allons voir quelles incompatibilités elles peuvent rencontrer.

En effet, les temps dorés, comme dans tout mythe, vont devoir engendrer leur crépuscule : la chute, la séparation, le paradis perdu. Les familles vont être privées de leur agalma 386 .

Notes
368.

. Ces acteurs - sujets - ont comme attribut la fidélité ; ils sont attachés aux rois à qui ils portent leur crédit et leur foi.

369.

. La figure des Louis est organisée en paradigme. Avec la chaîne de nombres contigus au même lexème, l'énonciation insiste sur la reproduction du même : les rois se succèdent à l'identique, identifiés et ordonnés seulement, chacun, par un numéro.

370.

. C'est la figure de sujet qui indique ainsi cette soumission. En effet, l'énonciation donne à l'acteur – ascendants du narrateur – le rôle actantiel de sujet. Aux premiers temps de l'histoire familiale, les membres de la famille étaient donc des sujets, c'est-à-dire des individus soumis à d'autres. Le terme sujet vient du latin subjacio (sub-jacio) et signifie soumettre.

371.

. Une note en bas de page du narrateur (III/28) réfère le lecteur au commentaire du Cardinal de Bonald, sur ce sentiment de sécurité générale.

372.

. Nous devons remarquer que la double foi est devenue des sentiments après avoir traversé la Révolution. Une transformation figurative s'est effectuée à partir de la figure de la foi. La foi s'est métamorphosée en sentiments avec la Révolution et pourtant la dernière demeure dans la continuité de la première. Nous verrons l'implication de cette transformation.

373.

. Cette figure est pour le sémioticien et le mythologue un trait de la langue précieux : figure de l'unique et de l'engendrement du même.

374.

. En effet, le discours est déployé sous une forme paradigmatique, ne laissant pas trace de filiation. Les ascendants se succèdent, simplement. Chacun occupe la même place que le précédent.

375.

. Cette famille a compté des rois.

376.

. Les armoiries des Armand de Barry ont du plus par rapport à celles de la famille.

377.

. En effet, c'est comme petits-enfants de Scholastique Bonaventure Pavois que ces acteurs existent. Leur rôle actantiel est toujours en relation avec l'acteur leur grand-mère, jamais à leurs parents. Seul, Bonaventure, et une fois dans le texte, se trouve conjoint en même temps à celle-ci et à ses père et mère (il sera prêtre Jésuite).

378.

. Ambition signifie lexicalement “le désir de quelque réussite d'ordre supérieur”. L'acteur pourvoyeur de montée sociale est ici collectif : les parents. L'objet de la performance est leur fille : elle ne sera qu'un déictique tant que dure le procès narratif de son identité ; ses prénoms et nom ne seront prononcés que relativement à l'objet d'ambition qu'elle est, que ce soit pour ses parents ou pour son mari. Mais avant tout, elle est l'objet de l'alliance qui a permis de faire monter socialement Claude Denis Bétiny (2/7). Sa vie n'a-t-elle pas été sacrifiée à l'ambition de ses parents d'abord, puis à l'ascension sociale de son mari et de sa descendance, passive d'abord, puis active dans le sacrifice ?

379.

Le parcours figuratif qui accompagne les performances de Scholastique Bonaventure montre bien cette élévation et cette préparation : à la fois dépasser, prendre en charge, surmonter mais aussi, s'adonner, devoir, se confondre, etc.

380.

. La performance des parents est ici un /laisser faire/ un don exceptionnel à leur fille. L'attitude de ceux-ci est, en effet, l'objet d'un commentaire de l'énonciation sur le mode passif : ils ont suspendu les us de leur époque qui étaient de donner les prénoms des parrain et marraine, devant leur rareté dans leur milieu. Ces parents sont ainsi considérés comme ayant engagé leur fille dans un destin peu commun et identifié à la parenté spirituelle qu'ils lui ont choisie.

381.

. Nous reprenons là une figure mythique de la Bible. Nous disons tirer dans le sens d'extraire. L'opération d'extraction produit l'effet que l'objet d'extraction est à la fois une partie de l'objet d'où il a été tiré, et en même temps un tout défini hors de celui-ci.

382.

. Ces valeurs de l'époque des origines de la famille sont relevées à partir des objets circulant dans les procès d'usage et des figures mises en parcours.

383.

. Pour Claude Lévi-Strauss, dit Marcel Henaff (1991), “le diachronique ne se confond pas avec la perspective historique. Il peut être une dimension interne à la structure : comme c'est le cas pour le rapport des générations dans le système de parenté ou encore dans le mouvement de la réciprocité pour les alliances à cycles très longs, ou les moments du récit mythique (...)”, p. 237.

384.

. Ce rapport du nourrisson au monde a été l'objet de nombreux travaux de Sigmund Freud : il s'agit de la relation d'objet. Celle-ci se construit entre le nourrisson et l'objet qu'est sa mère, objet unique, sans partage, indifférencié de lui et investi du fait de procurer toute satisfaction, durant les premiers mois de la vie. Elle n'est pas seulement la relation par laquelle le nourrisson constitue ses objets ; elle est aussi le rapport par lequel ceux-ci modèlent l'activité de ce dernier. Mélanie Klein donne, par son œuvre, une signification renforcée de cette relation, insistant sur le fait que les objets (des bons ou mauvais objets) – projetés, introjectés - exercent littéralement une action (rassurante, persécutrice, etc.) sur le nourrisson. La relation au premier objet laisse son empreinte indélébile sur toute relation au monde.

385.

. Voir les travaux de Claude Lévi-Strauss (1962) sur les rapports entre structure et événement et, système et histoire.

386.

. Nous faisons de ce mot grec – agalma – une métaphore pour dépeindre ces objets à l'origine des familles. L'agalma évoque l'alliance, d'une part de la signification qui a inspiré Jacques Lacan, dans son Séminaire, livre VIII : le transfert, séminaire dans lequel, il commente Le Banquet de PLATON, et d'autre part, la signification qu'a formulée Jasper Svenbro, lors d'un colloque sur “les figures du mythe grec : autour de Jean-Pierre Vernant, les 31 mai et 1er juin 1997”, au Centre Thomas More. En effet pour le premier, l'agalma, c'est l'objet du désir – “ce quelque chose qui est la visée du désir” – trésor caché dans l'écrin qu'est tout objet partiel et qui a l'attribut “entre tous d'être sans balance avec les autres” p. 175. Et pour le second, l'agalma, c'est l'objet qui constitue le mythe. J. Svenbro reprend en effet, les thèses de Louis Jernet qui travaille sur le mythe dans une perspective générative, et indique que celui-ci est engendré par un objet qui “déclenche sa propre exégèse” par concaténations. L'agalma est pour lui le point de départ susceptible d'orienter tout le récit mythique.