2 – 2.1. Les preuves de l'ancienneté

Après avoir fait connaître les premiers porteurs de leur patronyme trouvés sur la terre de leurs racines patrilinéaires, les narrateurs désignent l'ascendant le plus ancien dont ils peuvent prouver le rattachement à leur famille. Après avoir enraciné leur patronyme et fait de lui un nouveau paradigme du mythe familial, ils entrent dans la chronologie des événements avec les preuves de leur historicité. Ici, s'arrêtent la légende, l'hypothèse ou la vraisemblance et commence l'histoire, celle qui repose sur la preuve. Nous allons voir les fonctions que ces narrateurs donnent à ce premier du nom de leur famille, dans l'économie du récit.

  • Récit 1 : Dans ce récit, le premier du nom certain est présenté après qu'ait été situé le lieu des origines, lorsque commence l'histoire familiale proprement dite. Mais on a déjà entendu parlé de lui, avant, lorsque le narrateur le désigne avec ses descendants pour faire constater la réalité de la vie de ses ancêtres contre l'image qu'ont pu en donner les historiens post-révolutionnaires. En effet, dans l'adresse, on apprend des éléments de son histoire, mais le narrateur ne précise pas au lecteur qu'il est le premier membre certain de la lignée. Aussi, nous réservons l'analyse de cet énoncé pour notre prochain chapitre qui se penche sur le statut symbolique de la présence du groupe des premiers ascendants dans l'économie de nos récits. Donc, le premier du nom certain a été trouvé dans les registres d'état civil de la paroisse.
‘“Le premier du nom, que l'onrencontred'une façon certaine, est Barthelmy Delérable, qui apparaît pour la première fois sur les registres d'état civil de la paroisse de Sainte-Consorce le 17 mai 1635, comme parrain de Barthelmy Carmin. Il y est désigné de la manière suivante : Maistre Barthelmy Delérable, notaire royal de la sénéchossée de Lyon” (1/16).’

Ainsi, ce premier ascendant apparaît aux regards des lecteurs grâce à un registre qui avait conservé sa trace comme parrain en 1635. Cette preuve de son apparition semble tenir du miracle, comme tenait du miracle, déjà, la mention du plus ancien ancêtre probable de la lignée 433 . La donnée prioritaire qui l'identifie est son rattachement au service du roi et à la ville de Lyon : il est notaire royal de la sénéchossée de Lyon” (1/7). Ainsi, dès le commencement de son histoire, la famille est, comme le village des origines, dans la perspective du roi et de la cité. Mais, 1635 n'est pas la date la plus ancienne que l'on puisse trouver car on apprend qu'il est né en 1601. Mais, cette date n'est pas tout à fait sûre puisque ce plus ancien ancêtre était âgé d'environ quatre-vingt-sept ans.

‘“Il était né en 1601 ; nous ne connaissons la date de la naissance que par l'acte de ses funérailles, ainsi rédigé : “Le 28 août 1688 a été enterré (…) âgé d'environ quatre-vingt-sept ans (…)” (2/1).’

C'est donc 1601 la borne qui fixe la limite de l'ancienneté que la famille peut se donner. Si cette date peut garder quelques imprécisions, par contre, ce qui est certain, c'est la notabilité du réseau familial et social de ce premier ascendant, à constater les témoins en présence lors de la déclaration de son décès.

‘“(…) en présence de Messire Anne Girardière prêtre curé de Brindas, de Messire Philibert curé de Pollionnay, de sieur Claude Delérable notaire et greffier de justice de Laval et de Pollionnay, de noble Jean François Beau, bourgeois de Lyon et du sieur Pierre Barbier procureur d'office de Laval” (26).’

On trouve deux curés, le fils notaire du premier ascendant et deux notables dont l'un est bourgeois lyonnais et l'autre, procureur. Lyon, la continuité de la fonction de père en fils, la notabilité et la bourgeoisie sont les attributs qui ont identifié la famille depuis son commencement.

  • Récit 2 : Dans ce récit, le narrateur invite à constater l'existence du premier ascendant de la lignée à partir de leur généalogie. Il ne présente aucune preuve à l'appui. Rappelons en les termes :
‘“Nous y trouvons notre ancêtre Pierre Collas qui y est né en 1645 et qui s'y est marié avec une jeune fille du pays, Catherine Morin. Il y possédait une importante propriété dont il dirigeait l'exploitation.
Cinq générations se sont succédées à Boulieu, dont quatre ont continué l'exploitation :
1 - Pierre Collas, 1° du nom, né vers 1645, marié à Catherine Morin.”’

En invitant ses lecteurs à trouver leur premier ancêtre en sa compagnie (nous trouvons), le narrateur les sollicite pour un acte dynamique et créatif autant que pour être témoin de son résultat. L'existence de ce premier ascendant provient d'une rencontre ou d'une recherche, dans tous les cas d'une démarche qui a pu permettre de fixer sa mémoire ! 1645 est sa date de naissance : elle situe la limite de l'ancienneté de la lignée. Les données prioritaires, sur lesquelles on est informé, sont celles de son mariage : l'épouse est une jeune fille du pays : cette précision invite-t-elle le lecteur à voir la famille comme doublement enracinée à son lieu d'origine ? On est renseigné, après, sur son patrimoine et sur son activité. C'est un propriétaire terrien. Ainsi dès le commencement des patrilinéaires, la famille possédait et exploitait une propriété.

  • Récit 3 : Dans ce récit, le narrateur présente le premier ancêtre de sa lignée patrilinéaire – son premier membre prouvé – en trois étapes. Tout d'abord, dans l'adresse, il l'identifie en premier comme ayant logé dans la même maison que le couple qui pourrait bien être ses parents (1/29). La famille avait donc une maison dans un bourg, et ceci depuis au moins deux générations : de tels indicateurs sont des marqueurs capables de laisser imaginer aux lecteurs à la fois la modalité bourgeoise de la stabilité et la profondeur de l'ancienneté de la famille. Plus tard, dans son chapitre sur les preuves de la filiation, le narrateur désigne toujours son ascendant comme le premier membre prouvé, mais il ajoute de nouvelles mentions.
‘“Le premier membre prouvé de notre famille. Né vers 1570. Il est probablement fils de Jean Armand marié en 1564 à Marguerite Gordes. Habitant au mas des Léchettes à Sainte Cécile.
Vincent Armand est propriétaire du mas des Léchettes et il épouse vers 1600 Jeanne Lois dont il eut au moins trois enfants, deux filles mariées et un fils Gilbertqui lui succèdent dans ses biens” (4/3).’

Le narrateur, cette fois, fait observer l'année de la naissance approximative de l'ancêtre prouvé : 1570. Il informe, en plus, sur le mariage de celui-ci et sur le nombre de ses enfants, mais en spécifiant que parmi eux, un fils hérite des biens, c'est-à-dire de la maison. Au commencement, on était déjà des héritiers.

Enfin, dans sa généalogie détaillée, le narrateur modifie l'ordre des priorités ; il présente son ancêtre en premier lieu comme bourgeois, pas comme un premier prouvé : bourgeois en deux lieux, celui du village originaire mais aussi du bourg qui lui est proche. Puis il redit que celui-ci a été propriétaire.

‘“Bourgeois de Sainte Cécile d'Andorge et d'Alès en Languedoc. Propriétaire du mas des Léchettes à Sainte Cécile d'Andorge. Premier membre prouvé. Il est donc fils ou neveu de (…)” (p. 17).’

Ainsi, la mention que cet ancêtre est le premier prouvé n'est plus à faire, à ce stade du récit. Elle peut devenir subsidiaire et laisser place à un autre objectif tout aussi essentiel dans l'intentionnalité du récit : à savoir d'amener la preuve de leur appartenance à une bourgeoisie des plus anciennes.

  • Récit 4 : Dans ce récit, le premier ascendant de la lignée patrilinéaire du narrateur n'est pas identifié tout seul ; il est toujours accompagné de son épouse. Dans l'ordre des indicateurs de leur identité, on observe qu'ils sont d'abord des parents. Puis, on apprend la date de leur mariage : 1748. Elle est la limite qui fixe l'ancienneté prouvée de la lignée. Enfin, on se rappelle que, s'ils n'habitent pas dans le même village que leur fils, ils sont sur la même voie routière, allant dans le même sens que ce dernier malgré la différence de leurs racines géographiques.

Deux paragraphes après, ce couple éponyme est identifié par ses origines modestes.

‘“Antoine Bétiny et Marie Tédor étaient tous deux d'origine modeste ; leur mariage fut néanmoins précédé de la signature d'un contrat (...). Le contrat évalue le bienapporté par l'épouse à 80 livres, tandis que l'époux promettait à son épouse pour le jour de la noce “une robe, des bas, un chapeau et un manchon” ; “Il était précisé enfin explicitement que les enfants à naître pourraient disposer des acquis du ménage, par portions inégales et que l'épouse recevrait 30 livres si son mari décédait le premier, celui-ci n'ayant droit qu'à 15 livres dans l'autre cas. Le contrat fut signé en présence de Claude Pillet, laboureur à Villemoutier, et de Charles Guichon, bourgeois à Marboz ; seul ce dernier apposa sa signature, tous les autres présents et donc les deux époux, ayant déclaré ne pas savoir signer” (1/18).’

A cette plus ancienne génération, c'est donc un couple qui ouvre la lignée : un couple modeste mais dont l'épouse a quelques biens, un couple lié par un même destin. En effet, commente le narrateur, il y a eu contrat de mariage. C'est donc qu'il y avait quelque bien. On apprend que l'épouse, seule, apporte une somme d'argent. L'époux, lui, promet de mettre dans la corbeille du mariage des vêtements pour l'épouse et disposera, si son épouse décède, d'une somme d'argent venant d'elle. Il est, pour sa femme, prometteur mais son ayant droit. D'autre part, on apprend qu'ils envisagent, dès le mariage, la transmission de leurs acquis à leurs enfants. Déjà, le premier couple d'ascendants est inscrit dans un dispositif où le bien peut s'imaginer accumulé et l'avenir, investi. La solidarité d'une génération vis à vis d'une autre est, dès le commencement, une préoccupation.

Les témoins présents à la signature du contrat étaient, l'un laboureur et l'autre bourgeois. Les époux ont déclaré ne pas savoir signer. Le narrateur relève l'absence de compétence à signer 434 des membres de sa famille et de son entourage autre que le bourgeois. Ces commentaires du narrateur mettent l'insistance sur la modestie du niveau social des premiers ancêtres de la famille mais, dans le même temps, font remarquer que la famille fréquentait déjà un réseau bourgeois.

Lorsque le narrateur fera, une troisième fois, allusion à eux, il les désignera sous le vocable de grands-parents.

‘“Les grands-parents de Denis Bétiny n'étaient donc ainsi qu'à l'un des niveaux les plus bas de l'échelle sociale dans la population rurale de l'époque (…)” (2/1).’

Comme grands-parents, le premier couple ascendant est aussi qualifié par la modestie de son appartenance sociale : il est à l'un des niveaux le plus bas de l'échelle sociale dans la population rurale de l'époque . L'histoire familiale se confond ainsi avec son ascension sociale. Elle commence à l'échelon le plus bas.

  • Récit 5 : Dans ce récit, la première fois que le narrateur fait allusion à son plus lointain ancêtre connu, c'est pour nous informer de sa date de décès (1598) – qui est donc la limite de l'ancienneté de la bourgeoisie de la famille – et pour dire que ce dernier eut été bien surpris si on lui avait dit que, trois siècles et demi après sa mort, sa mémoire serait évoquée par un de ses descendants. La seconde fois, qu'on le présente, on apprend que durant ces siècles se succèdent six générations. La mémoire après la mort, c'est une question qui taraude le narrateur ; une mémoire de trois siècles et demi et de six générations, ce sont des précisions qui servent l'identification bourgeoise.
  • Récit 6 : Le plus ancien ancêtre du nom, dans ce récit, est présenté dans la filiation du père de l'ancêtre enracineur. On apprend d'abord où et quand il a vécu (1590) – qui est donc la date qui délimite l'ancienneté de leur bourgeoisie – puis on peut lire le nom de son épouse et sa descendance. On comprend qu'il n'est pas encore dans le village où la famille a été notable de même que son fils, mais qu'ils sont tous deux du mandement de ce village, ce qui leur donne les mêmes racines, d'autant que ce fils y épouse la fille du consul. Avec le premier ancêtre prouvé, il n'y a plus de confusion dans la représentation de la géographie du commencement. Il y a seulement une figuration de l'intentionnalité du narrateur qui est de montrer l'ancrage de la famille dans l'élite locale de son bourg des origines, depuis le commencement. Plusieurs descendants en lignée patrilinéaire y seront à leur tour consuls.

Conclusion

L'ascendant le plus ancien, dont chaque narrateur a la preuve du rattachement à sa lignée patrilinéaire, est présenté à ses descendants et situé par une date dans tous les récits de notre corpus d'appartenance. Pour les autres récits, il en est de même. On peut ainsi voir un narrateur identifier son premier ancêtre comme le père de son grand-père, né en 1733. Mais, on ne sait rien sur ce père, sinon sa ville d'origine. Il est présent avec son épouse en tant que trace de la filiation de leur fils qui est venu s'établir à Lyon et qui occupait dans la cité une bonne position commerciale, et de deux autres garçons (dont l'un était chanoine et estimait que leurs origines étaient nobles étant donné plusieurs faits, et l'autre négociant). Les marqueurs identitaires prioritaires sont aussi bourgeois, et même suggérant la noblesse, orientant le lecteur vers une bourgeoisie d'affaires. Pour un autre narrateur, le plus ancien ancêtre du nom est présenté comme le premier nom que son père ait connu, un ascendant au 5 e  degré en rapport à son fils : un ancêtre qui est assurément rattaché à la famille, d'après les sources de son père, même si son cousin en cite des plus anciens et plus élevés socialement. On apprend, dès l'abord, le lieu et la date de son décès : dans le village des origines en 1750. Le lecteur peut ainsi retenir le degré et la frontière de l'ancienneté de sa lignée, mais aussi imaginer que celle-ci avait des origines encore plus reculées et un niveau social supérieur.

On observe la présentation du premier du nom de la famille sous deux modes : comme le résultat d'une recherche – il est trouvé, retrouvé, rencontré, vu, apparu, connu –, ou par la désignation d’un acteur : un porteur du patronyme parmi les autres porteurs vivant dans le lieu des origines ou encore un habitant d’un village des origines ou enfin un parent. Dans tous les cas, il apparaît comme le premier d'une filiation ordonnant les degrés et le temps qui le séparent d'un descendant spécifique – à savoir, dans 10 cas sur 11, du père de l'enracineur 435 . On peut compter 1 à 6 générations entre eux, selon les lignées. Son surgissement dans la mémoire des vivants est le fruit de la quête de la preuve par les narrateurs. En effet, pour un généalogiste, l'existence d'un ascendant n'est pas qu'une question d'immanence, c'est-à-dire d'existence, c'est aussi une question de manifestation. La trace est un trésor précieux. Ecrire la mémoire de ses pères, c'est les sortir de l'ombre immémoriale et c'est donc dépendre de cette trace. Les narrateurs ont tous laissé voir cet enjeu capital. Devant les blancs qui les mettent sans cesse en question, on se demande si signer – ou même déclarer qu'on ne sait pas signer – comme témoin, parrain, marraine, partenaire d'un contrat, etc. n'est pas le moins que puisse faire chaque membre de la famille s'il veut, une fois mort, devenir ancêtre ou au moins ne pas empêcher d'assurer la continuité de la mémoire généalogique. Il faut des traces pour produire des acteurs comme ayant existé, même si les généalogistes attendent plus : des acteurs consistants pouvant habiter la mémoire de leurs descendants.

Ces premiers ascendants sont instruits comme des têtes de lignée certaines. Ils sont présentés sous deux modalités. Ils peuvent être identifiés explicitement par la propriété de première place, dans la lignée du nom. Dans ce cas, leur définition est le plus souvent le résultat d'une périphrase. Ainsi, en est-il pour 6 sur les 11 : ils sont le premier du nom que l'on rencontre de façon certaine, ou le premier membre prouvé, ou notre plus lointain ancêtre commun, ou le premier du nom que mon père ait connu,ou enfin le premier de nos aïeux identifié. On peut aussi les voir désignés par un lien de filiation seulement, comme notre ancêtre, ou simplement les parents ou les grands-parents du premier membre d'importance présenté.

Les narrateurs indiquent tous les preuves de l'existence de leur premier ancêtre, à partir d'actes d'état civil. Avec leurs citations, on apprend certes la vérité sur l'ancêtre – les informations sur les lieux et dates de son cycle de vie – mais surtout, on se le représente dans sa position sociale et symbolique. Le choix de leurs énoncés invite, en effet, à voir sous la trame de son identité individuelle la chaîne de son identité sociale. Tous présentent leurs premiers ancêtres avec les attributs de la bourgeoisie, même s'ils ne les désignent pas explicitement comme lui appartenant. L'intentionnalité de nos récits est de révéler aux lecteurs que leur plus ancien ascendant était déjà doté des traits du bourgeois, du petit bourgeois, certes, mais d'un bourgeois qui possédait un bien hérité et un réseau bourgeois. Elle est de leur permettre de penser leur famille comme appartenant à la bourgeoisie aussi loin qu'on puisse remonter dans sa mémoire.

Enfin, nos narrateurs apportent à la connaissance de leurs lecteurs la date précise qui fait la preuve de leur ancienneté. Ils lui donnent le rôle d'une frontière entre mythe et histoire : tout ce qui vient avant le premier ascendant du nom est mythe et ce qui vient après est histoire. Ils ne peuvent en général offrir que peu d'informations sur cet ascendant, mais la seule date indiquée suffit à définir la limite de l'immémorial. La date la plus ancienne citée dans notre corpus est 1570 et la plus récente, 1788 436 . Ces dates font entrer la mémoire familiale des narrateurs encore imaginaire dans la chronologie du temps. Elles leur donnent une base sur laquelle restructurer les représentations de leurs commencements. Elles fondent leurs lecteurs dans leur identité bourgeoise et leur apportent un nouvel imaginaire dont l'enjeu est la profondeur historique de l’ancienneté de leurs paternels. Ceux-ci peuvent se classer à partir d'elles et apprendre qu'ils sont à l'heure de leur lecture de bien ancienne bourgeoisie, même si leur ancêtre lyonnais s'est installé à Lyon, il y a une ou deux générations seulement. Ils ont désormais une filiation pouvant faire valoir une ancienneté aux côtés de celle maternelle déjà reconnue comme ancienne. La fonction de ces premiers ascendants dans l'économie des récits n'est pas celle de fondateurs comme le seront les premiers Lyonnais, mais de marqueur de l'ancienneté.

Il y a bien une date qui définit la frontière entre imaginaire et réalité, mais l'imaginaire, on l'a vu, n'est pas pour autant gommé, puisqu'il y a encore les probabilités qui laissent penser que la famille est encore plus ancienne dans sa bourgeoisie ou même noble. La famille est ainsi dotée d'une mémoire ouverte sur le passé : elle a une préhistoire. Le mythe peut continuer son œuvre, sans empêcher l'histoire de commencer la sienne.

Notes
433.

L'actant, sujet de la performance du procès d'identification est un sujet indéfini : on. Le premier du nom est ainsi l'objet d'une rencontre qui n'a pas de sujet défini. Il peut être vu par tous ceux qui veulent bien se retrouver dans ce on, acteur collectif. Mais, apparaître aux yeux des descendants n'est pas le fruit d'un hasard ; des traces de leur identité sont nécessaires : comme parrain ou marraine dans un acte d'état civil, comme témoins, etc. Le sémioticien constate que l'existence sémiotique des ancêtres est un enjeu fondamental du procès généalogique ; les actes d'état civil et documents officiels sont des sujets modaux de compétences.

434.

. Nous employons le terme compétence au sens courant mais aussi au sens sémiotique, c'est-à-dire du non savoir-faire du sujet modal“les deux époux”. Le narrateur a déjà évoqué cette question de signature en début de récit, au sujet de la marraine du petit-fils de ces premiers ancêtres : elle ne savait pas signer non plus. Il indique, avec ces mentions que la lignée paternelle a été modeste sur plusieurs générations.Mais, il porte aussi, l'attention de ses lecteurs sur le lien entre l'absence d'une signature et celle de son signataire. En effet, la signature est la trace qui permet de connaître la famille et son entourage, et de figurer parmi les vivants après la mort, sous les traits d'un ancêtre.

435.

. Un seul narrateur a fait exception en décomptant lui-même les degrés qui séparent son premier ascendant, non de son enracineur, mais de son fils, le destinataire de son adresse. C'est déjà lui qui, tout aussi exceptionnellement, s'est situé comme ancêtre éponyme dans la généalogie principale de son récit. Est-ce parce que c'est lui qui a fait la notoriété de sa famille ?

436.

. Trois narrateurs indiquent leur commencement pendant la deuxième moitié du XVIe siècle, trois pendant la première moitié du XVIIe siècle, quatre pendant la première moitié du XVIIIe siècle et un pendant sa seconde moitié.