Le contrat de confiance

Le narrateur part des savoirs institués dans sa famille sur la mémoire de ses pères, c'est-à-dire ceux qui concernent leurs positions pendant la Révolution et juste après. Il installe son contrat de confiance sur cette donnée commune. Mais, il va ouvrir une brèche dans cette évidence et en faire un censé su et non plus un savoir. Il va solliciter un champ épistémique nouveau qu'il met à la disposition de ses destinataires en leur offrant de voir des faits qu'ils n'ont peut-être pas remarqués et dont il indique comment les interpréter pour croire à leur bien-fondé. Ces faits avaient toujours été là mais personne avant lui ne les avait amenés à ressortir. Signes invisibles avant l'écriture, ils deviennent des signes nouveaux pour montrer sous un autre jour les réalités familiales. Ces signes nouveaux, ses descendants doivent les voir afin de constater que la mémoire qu'ils ont de leurs pères ne relève pas de représentations issues de n'importe quels historiens mais de ceux post-révolutionnaires. Aussi, ils doivent trouver d'autres lectures et, pour savoir quoi penser en conséquence, faire confiance dans leur simple histoire familiale.

Le narrateur met ainsi un écran entre le censé su de ses destinataires, c'est-à-dire leur croire vrai, et son voir sur les positions que leurs pères ont prises dans l'histoire de la France. Cet écran, c'est la métaphore familiale. Les faits nouveaux qu'il apporte visent à opérer un changement de dimension dans la lecture de ces positions : passer d'une dimension imaginaire de prospérité due aux sacrifices à leur suzerain – leur Dieu, leur roi et leur père – à celle symbolique d'une prospérité qui se puise dans leur tradition paternelle, c'est-à-dire qui exige que chaque génération exerce son esprit de discernement pour concevoir les termes de son identité, en prenant appui sur les qualités de leurs prédécesseurs instruites par le récit généalogique. Le narrateur propose donc des signes perceptibles par les sens pour faire advenir des signes nouveaux à valider dans les temps nouveaux : il a cherché à faire que le voir somatique (avec les yeux) devienne un voir épistémique (croire).