L'affiliation aux paternels

Examinons maintenant les filiations auxquelles le narrateur se rattache et rattache ses descendants. On trouve trois généalogies descendantes dans ce récit. Elles sont manuscrites et mises en annexe comme les autres qui les précèdent. La première 552 n'a pas exactement d'éponymes ou bien c'est une génération qui en joue le rôle : la génération des parents du narrateur et leurs fratries respectives. On y trouve la descendance de chacun de ceux-ci sur deux générations et le nom des branches dont ils sont issus. Ainsi, déjà, on voit que la génération des parents du narrateur est pivot. Le narrateur y a inscrit ses enfants, mais pas ses petits-enfants.

Pour chacun des membres de cette généalogie, on connaît les coordonnées du cycle de vie, renseignées dans la limite de la date d'écriture du recueil. Seuls deux membres de la généalogie n'ont aucune information, si ce n'est leurs prénoms ; il s'agit des deux enfants de la tante Brun, ceux-là mêmes qui ont saccagé la propriété de Frontenas ! On ne lit pas de professions. Ainsi, le narrateur s'affilie avec ses enfants à la génération de ses parents et de ses oncles et tantes, et solidairement à celle de ses quatre grands-parents. Nous allons voir à quelle filiation il lie ses petits-enfants.

La seconde généalogie présente la descendance des parents du narrateur, mais cette fois sans la présence de leurs ascendants ni de leurs fratries. Sans doute, ce tableau a-t-il été fait plus tard, car il compte une génération de descendants supplémentaires – celle des petits-enfants – et des informations plus tardives. Quoi qu'il en soit, ces deux généalogies ont pour éponymes le même couple. On peut constater qu'il s'agit du grand bourgeois lyonnais et de la mieux née des alliés des ascendants patrilinéaires (une lignée noble). On voit ainsi que le narrateur tient à ce qu'on considère son identité issue de cette alliance ainsi que celle de ses enfants.

Enfin, la troisième généalogie a vraisemblablement la même raison d'être que la précédente. Mais, elle se présente différemment. Elle montre une suite de cinq généalogies dont les ancêtres éponymes sont, pour chacune, les enfants du père du narrateur. Chaque généalogie occupe une page volante de petit cahier, toutes étant collées les unes aux autres, dépliables pour consultation et repliées pour rangement. Chaque généalogie a pour titre Descendance de (…) avec leurs prénom et nom. On y lit de gauche à droite, pour chacun, les coordonnées du cycle de vie de l'ascendant du nom et de son conjoint, puis celles de leurs enfants et de leurs petits-enfants, jusqu'en 1936. Il n'y a ni profession, ni titre. On trouve donc dans cette dernière généalogie à nouveau les enfants et petits-enfants du narrateur, mais ils lui sont affiliés.

Ainsi, le narrateur a-t-il pris soin de mettre à jour régulièrement les informations concernant sa famille. Au fur et à mesure du temps qui passe, lui, ses parents et ses descendants ont pris des places différentes dans leur univers familial. Comme ses parents, après avoir été affilié à ses propres parents et à leurs fratries, il prend aussi, au même titre que sa fratrie, une place d'éponyme. On voit que le temps dévoile le cycle des générations de cette famille, mais pas comme sur la propriété de Boulieu car il y a les collatéraux et que les tableaux demeurent. Les enfants du narrateur se retrouvent ainsi inscrits au cœur de la filiation de leurs grands-parents paternels – ceux-ci ayant été affiliés à leurs propres parents, puis ne l'ayant plus été – et ensuite dans celle de leurs parents. Pour les petits-enfants, il les affilie à ses seuls parents puis à lui-même. Après avoir été affiliés à la mieux née des ascendants maternels du narrateur, enfants et petits-enfants le seront, en dernier lieu, à leur mère. Celle-ci aussi appartient à la noblesse. Ce changement d'affiliation provient-il du fait que cette dernière est mieux-née que la précédente ? Ou bien, plutôt, le fait qu'elle soit aussi noble, permet-il au narrateur de mettre à l'origine de sa descendance, en fin de compte, une femme qui a permis que les souvenirs heureux aient pu se perpétuer ? Les nouveaux éponymes figurent-ils l'écran qu'a voulu mettre, par son récit, le narrateur, entre l'héritage malheureux et celui dans lequel tristesses et joies s'égalent ? Enfants et petits-enfants sont logés dans l'univers familial à la même enseigne que leurs cousins et petits cousins. La visibilité des collatéraux est sans doute un des objectifs du narrateur : on se souvient que l'absence d'informations sur les collatéraux des premiers ancêtres de la famille était un enjeu pour le narrateur.

Observons enfin les tableaux d'ascendances aussi en annexe qui nous permettent de compléter encore l'analyse de l'affiliation que s'est donnée le narrateur. Nous avons, en effet, remarqué que les parents du narrateur ne se retrouvaient dans aucune ascendance paternelle, mais au contraire qu'on les voyait dans celle de son épouse. Certes, on a vu que le père était affilié à sa branche paternelle lorsqu'il est considéré comme éponyme de sa descendance, mais il n'est jamais nommé avec son cycle de vie dans une ascendance. Ainsi, il fait donc partie de la famille de ses alliés même s'il n'est pas coupé de ses paternels. On sait l'importance qu'eurent pour lui ses beaux-parents et le souvenir qu'en eut le narrateur ! Un tel indice indique que les sources de la vie de ce père sont clairement venues de son alliance et que le narrateur a reconnu les choix de celui-ci en le faisant l'héritier de ses maternels.

Notes
552.

. Ce tableau, nous n'avons pu l'étudier que sur copie manuscrite de notre informateur.