L'affiliation à la tradition paternelle

Maintenant, examinons les filiations auxquelles le narrateur se rattache et rattache ses descendants. Dans ce recueil, on a vu qu'ascendances et descendances se côtoyaient en grand nombre pour présenter les ancêtres en lignée patrilinéaire et en lignées maternelles. On recense vingt descendances dont deux issues du premier membre prouvé de la lignée patrilinéaire, quatre d'ascendants porteurs du patronyme, mais dont le rattachement à la famille n'a pas été prouvé et quatorze d'alliés. Mais, parmi toutes, on ne trouve jamais ni le narrateur, ni ses descendants. On n’y remarque son père qu'une fois et deux fois son grand-père paternel ; en revanche, on y trouve les ascendances de leurs épouses respectives. Les objectifs du narrateur se concentrent sur les générations qui précèdent ces derniers étant donné la problématique qui touche son ascendance.

On peut trouver six lignées patronymiques dont seulement deux sont patrilinéaires. Les quatre autres ont pour objectif de détailler les généalogies des ascendants sur lesquels se posent les questions du rattachement à la lignée aristocratique et aux armoiries 555 . Quant aux deux lignées patrilinéaires, elles sont toutes les deux issues du premier ancêtre prouvé. La première est textuelle et a pour titre Généalogie , et la seconde qui la récapitule sous forme de tableau est sans titre mais est désignée dans la table des matières, comme un tableau de descendance 556 . L'une prend fin avec la génération du grand-père du narrateur et l'autre avec celle de son père. Ainsi, dans ce récit, le narrateur n'affilie pas ses descendants. Nous allons les examiner quand même dans la mesure où sa question est plus d'affilier ses proches ascendants et collatéraux que ses propres enfants.

Observons la première. Chaque ascendant patrilinéaire y est situé succinctement en introduction, puis on trouve sa descendance sur trois générations. Si l'on compare les données introductives avec les repères historiques apportés dans le chapitre sur l'ascendance patrilinéaire, on s'aperçoit que le narrateur prête de l'importance à de nouveaux éléments, soit qu'il modifie leurs places dans le dispositif de présentation, soit qu'il systématise un ordre de préséance. Les deux qualités identitaires figurées en tête sont, pour tous les ascendants de Sainte-Cécile, d'abord bourgeois du lieu, et pour les Lyonnais, leur profession. On remarque que l'ancêtre enracineur fait partie des Lyonnais car son attribut est celui de ces derniers : sa profession. Il ne figure plus au titre de l'inaugurateur de la lignée lyonnaise mais est lyonnais dans la continuité de sa lignée.

Les informations qui suivent immédiatement derrière sont, pour les ascendants de Sainte-Cécile, la propriété d'un mas. Pour les Lyonnais, elles sont pour l'enracineur le titre de notable bourgeois de Lyon, pour son fils, les responsabilités de secrétaire puis de président des sections pour la défense de Lyon en 1793, pour son petit-fils le titre de chevalier de la Légion d'Honneur et enfin pour son arrière petit-fils la mise à la retraite forcée pour ses opinions catholiques royalistes légitimistes. Ainsi, le narrateur laisse à l'esprit de la descendance les indices des enjeux qu'il a retenus comme prioritaires pour être gardés dans la mémoire généalogique de ses lecteurs.

La seconde généalogie est donc un tableau récapitulatif de la première. Elle est subdivisée en trois parties, chaque partie occupant une page du recueil. Elle commence, sur une page, avec le premier ancêtre prouvé dont la descendance est déployée sur quatre générations, puis, sur la seconde page, elle reprend avec le quatrième ancêtre dont la descendance est indiquée sur trois générations et sur la troisième page, elle finit avec le septième ancêtre et sa descendance sur trois générations aussi. Les subdivisions tiennent-elles à des raisons pratiques d'organisation de l'espace ou indiquent-elles une intentionnalité du discours ? Les ancêtres éponymes des trois parties de la descendance sont : le premier ascendant du nom prouvé, le père de l'ascendant enracineur, dernier bourgeois de Sainte-Cécile qui engendra trois souches bourgeoises dont la lyonnaise, et l'ascendant grand bourgeois qui maria son fils à une lignée noble. Dans chaque tableau, on y lit les identités des descendants et de leur alliée, avec l'année de leur mariage, sauf pour la dernière génération. Tous les descendants de la première généalogie n'y paraissent pas. On s'est demandé quelles règles présidaient à la présence d'un descendant dans les deux généalogies. On a pu conclure qu'elles étaient les mêmes que celles que le narrateur avait validées pour sa toute première ascendance patronymique 557 . On peut remarquer qu'il y a seulement deux professions énoncées : il s'agit de celles de médecin et de chirurgien chez un neveu et un petit neveu de l'enracineur !

Notre hypothèse est qu'une telle structure généalogique permet de voir exposées la fratrie et la parentèle de chacun des ascendants du narrateur, de manière synoptique. En effet, sur la dernière page, on voit les derniers descendants. On y retrouve le père et le grand-père du narrateur au milieu de leur parentèle. Ils sont les héritiers de leurs patrilinéaires en qualité de cousins, tous issus du même grand bourgeois éponyme et celui-ci issu en chaîne du premier membre prouvé. Et, plus précisément, si l'on regarde la dernière génération présentée, on voit une ligne de cousins parmi lesquels on constate la place du père du narrateur. Celui-ci inscrit-il son père au milieu de sa parentèle pour rattacher clairement sa génération et celle de ses descendants (ses cousins germains et issus de germain) à leur filiation prouvée ?

Pour les descendances maternelles, sur les quatorze exposées, on y trouve seulement une fois le grand-père paternel du narrateur : c'est dans sa lignée maternelle, la dernière descendance présentée 558 . On sait que c'est elle qui sera la plus informée quant à ses ascendances et qu'il a choisi pour être la branche maternelle des quartiers de la famille. Il a donc inscrit ce grand-père dans sa double filiation : justement celle du grand bourgeois et de l’épouse lyonnaise la mieux née de tous les patrilinéaires qui le précèdent. Ainsi, on peut penser que, dans ce récit, le narrateur inscrit bien sa famille dans une généalogie à la même structure de filiation que les narrateurs précédents, mais il y place ceux sur lesquels ses questions portent, à savoir ses ascendants et non ses descendants. A lire les descendances qu'il présente et les ascendances qui leur sont rattachées, en prenant les lignées dans un sens ou dans un autre, en suivant le fil de telle ou telle, le lecteur se voit, certes, affilié à la grande bourgeoisie par les patrilinéaires, mais surtout se constate toujours issu de l'aristocratie, même si c’est par les femmes. Il a toutes les preuves généalogiques pour le voir s'il le souhaite.

Notes
555.

. Parmi ces quatre tableaux, on trouve un tableau sur lequel la question n'est pas un rattachement. Il s'agit de la descendance de la fille du sixième ascendant patrilinéaire, désignée sous le titre “Descendants d'Anne Magdeleine ARMAND, fille de Pierre Claude et de Madgeleine MOGIN, mariée à Jean François GARIN”. Il figure les identités de ces descendants et de leurs alliés. On trouve une seule profession : officier. Pourquoi cette descendante du nom a-t-elle un statut spécial dans le récit ? Est-ce parce que l'époux de celle fille a tenu un cahier et a apporté des informations précieuses sur la famille à cette époque ? Est-ce parce que les descendants nés de leur alliance ont été très bien alliés ? Les quatre généalogies couvrent 3 pages.

556.

. La première a 8 pages et la seconde 3.

557.

. Rappelons les règles d'apparition que nous avons repérées comme prioritaires : avoir une postérité lorsqu'il s'agit d'un ascendant éponyme ; pour la fratrie et la parentèle de chacun de ces derniers, avoir une notoriété ou/et être propriétaires ou/et enfin avoir une postérité et une alliance. Dans les très rares cas pour lesquels nous sommes restée hésitante, nous avons pu penser que le narrateur pouvait compter des relations encore dans le Languedoc ou à Lyon qui le décidaient dans ce sens.

558.

. Dans toutes les autres descendances, on y lit la présence des patrilinéaires précédents et comme on l'a déjà vu, celles exposées montrent la distinction de leurs alliances, leur notabilité et leur multi-établissement à Lyon. Avec leurs courtes introductions, on constate que l'alliance et la postérité continuent d'avoir une priorité sur les autres critères d'apparition, mais aussi d'autres marqueurs comme l'appartenance à la noblesse, la mort fusillé ou guillotiné sous la Terreur et l'implantation à Lyon.