Les pratiques de production des récits

Nous avons vu que les recherches généalogiques portaient prioritairement sur les paternels, mais que la structure généalogique des récits s'empruntait à des modèles maternels. Elles s'effectuaient à partir de la résidence principale ou de la maison de famille. Elles étaient individuelles, mais la parentèle soutenait, dans plusieurs cas, la publication des récits. Elles pouvaient durer plusieurs années ou se concentrer sur un an. Les informations provenaient d'actes d'état civil, d'actes notariés et de documents officiels, mais aussi de textes autographes, de lettres, de généalogies brèves, de textes scientifiques, littéraires et artistiques d'ascendants, etc., conservés chez les paternels. Les récits étaient manuscrits, dactylographiés ou imprimés. Ils étaient remis d'abord aux enfants et à la fratrie, du vivant des auteurs, à l'exception des manuscrits qui étaient dactylographiés et copiés, après leur décès, pour être répartis. Pour les petits-enfants, les modalités différaient selon leur âge et le support des recueils. Rares étaient ceux qui les recevaient de la main de l'auteur. Quant à la parentèle, il n'y avait pas de pratiques spécifiques. Le nombre d'exemplaires facilitait la diffusion parmi les cousins ; celle-ci dépendait des relations de proximité. Les récits appartenant aux auteurs ou à leurs dépositaires n'étaient pas l'objet d'un héritage posthume. Ils s'appropriaient dans le domicile de ceux-ci, à la suite de leur décès ou de celui de leur conjoint – après le dernier des parents décédés – ou se recevaient de la fratrie qui souhaitait les voir déposés spécifiquement chez l'un d'entre eux.

Nous avons constaté que les récits avaient des supports très différents : c'était des ouvrages, des copies reliées, des petits cahiers ou des feuilles volantes manuscrites ou photocopiées. Leur titre n'informait pas explicitement sur le genre de leur texte. Leur structure interne montrait des récurrences : c'était d'une part, la présence sur la couverture du nom des auteurs – en toute discrétion – et au minimum du patronyme de la lignée patrilinéaire, dont l'histoire était prioritairement contée, d'autre part une armature généalogique, et enfin un contenu qui débutait toujours par les patrilinéaires et en leur sein, par leurs origines rurales, puis par l'histoire des Lyonnais. On a recensé une adresse à la descendance, dans presque tous les cas, indiquant les intentions des auteurs. Pour les autres propriétés de la composition interne des récits, la diversité était la règle : on a pu remarquer ou non des tableaux généalogiques, blasons, photographies de propriétés de famille, portraits, copies de documents, exergues, etc.

Nous regrettons de n'avoir pas mis en évidence les usages que les descendants des généalogistes ont pu faire des récits dont ils sont devenus dépositaires. En effet, nous avons produit les déterminants de l'émergence de la conscience généalogique de soi, à partir des conditions de l'écriture de la généalogie et n'avons pas dégagé les processus par lesquels les descendants réactivaient avec ces récits la mémoire de leurs ascendants, auprès des générations postérieures. La tâche s'était révélée trop importante. Nous avions engagé la recherche sur ces processus, mais avions sous-estimé le nombre de données qu'elle exigeait de recueillir et le déplacement qu'elle nous obligeait de faire. Nous avons découvert que les configurations généalogiques, les contextes et les motivations des descendants concernant ces récits, étaient différents de ceux des auteurs. Nous devions envisager de cumuler deux problématiques, ce qui nous avait partagée et nous avait fait risquer de ne pas faire aboutir le travail. Il fallait, en fait, concevoir une nouvelle thèse. Nous avons voulu quand même rendre compte de la problématique de la transmission posthume des récits, même si les résultats étaient partiels.