La démarche généalogique dans la bourgeoisie aux siècles précédents

D'après les conclusions d'André Burguière, nous avons pu relever que les cinq généalogistes qu'il avait observés étaient des hommes : l'un parmi eux était l'auteur de la généalogie de son épouse. Ils se sont vus confier le livre de raison de leur famille, au décès de leur père (ou beau-père). Deux d'entre eux étaient des cadets, fils d'un cadet. L'auteur s'est interrogé sur le rapport à tenir entre cette donnée et la modalité bourgeoise du milieu de l'élite, se demandant si cette modalité n'attirait pas plus, dans ce milieu, les fils de cadets et si, dans la noblesse, ce n'était pas plutôt les aînés, fils d'aînés. Si une telle hypothèse était validée, elle demandait à être complétée par l'étude du rang spécifique des nouvelles populations de généalogistes. Après, nous pourrions décider si tous les récits avaient ou non la fonction de répondre à des élites appelées à être des mobiles géographiquement et des stables socialement, comme nous l'avons supposé pour notre population bourgeoise. La noblesse avait la même vocation : si l'un héritait de la maison, les autres membres de la fratrie qui s'alliaient se retrouvaient aussi contraints à la mobilité. Ses généalogistes avaient donc des chances d'être issus de lignées cadettes.

Nous avons constaté que les généalogistes s'intéressaient aussi en priorité à leurs patrilinéaires. Ils mettaient en évidence de même une ascension sociale. Ils avaient presque tous la même profession que leurs pères respectifs : ils étaient donc aussi dans une phase de stabilisation, au regard de ceux-ci. Les écarts des générations qui les séparaient de leur enracineur étaient différents, mais le minimum était de deux générations, chez eux. A comparer avec les généalogistes de notre échantillon, deux à trois générations entre son ascendant enracineur et soi était l'écart le plus courant pour écrire sa généalogie, dans la bourgeoisie. Cependant, dans tous les cas, il fallait attendre que la lignée se soit stabilisée.

Les généalogistes répondaient aussi à des besoins de légitimation et de médiation, mais nous n'avons pas observé de données concernant la présence d'un déclassement. En revanche, nous avons vu que le discrédit et la déstabilisation étaient présents. Nous avons recensé cinq preuves de légitimation communes aux nôtres : la preuve que nous n'avons pas trouvée était celle du statut de grand bourgeois. Les qualités retenues par les généalogistes pour définir leurs ancêtres enracineurs ressemblaient à celles que nous avions relevées pour notre population bourgeoise. En revanche, nous n'avons pas constaté les fonctions de socialisation, ni de support pour rendre un devoir de mémoire et transmettre des dettes, ni d'institution d'héritiers, dans les fonctions du récit des Temps modernes.

Mais, l'absence d'informations ne veut pas dire, bien évidemment, l'absence des données. C'est la grande limite de cette approche comparative. Aussi, avons-nous instruit en contrepoint certaines variables, à partir d'une étude sur une famille de la bourgeoisie toscane de la fin du XIIIe siècle. Nous avons remarqué les mêmes preuves de légitimation et la même position de médiateur, avec des attentes de transformations, suite à des discrédits. La récurrence de ces deux variables nous a invité à considérer leurs fonctions comme déterminantes dans la bourgeoisie, quel que soit le siècle. Nous avons reconnu aussi chez le généalogiste le souhait de servir la mémoire de ses descendants avec, en plus, celle des autres de sa maison. Nous avons trouvé surtout la présence très forte de sa mère qui l'éleva seule, ce qui entraîna chez lui une moins bonne conscience de ses paternels. Ainsi, sept siècles avant le nôtre, l'effacement des paternels se posait aussi au généalogiste. Trois générations le séparaient de son ascendant enracineur, ce qui confirmait notre hypothèse précédente. Nous avons aussi observé la présence d'un déclassement et de dilemmes dus aux contextes sociaux et familiaux du généalogiste. Leur description montrait une proximité de rapports avec les généalogistes bourgeois de notre époque, ce qui nous a beaucoup surprise, à plus de sept siècles d'écart.

Alors, jusqu'où la différence des époques, pour une même couche sociale, modifie-t-elle le rapport que les individus ont avec leur généalogie ? Hormis la disparition des livres de raison, nous ne sommes pas témoins de différences structurelles essentielles. Nous n'avons, bien sûr, pas les données de première main qui nous auraient permise de répondre à notre question, au-delà de ces seules conclusions. Pour autant, nous pouvons faire l'hypothèse forte que les populations bourgeoises suivent une démarche commune en écrivant leur récit généalogique, tout au long des siècles de notre histoire européenne. Mais peut-être, avons-nous été plus encline à relever les ressemblances, étant donné nos objectifs ou bien encore, comme chercheurs du XXe siècle, les auteurs que nous avons cités et nous-mêmes avons eu tendance à mettre plus en évidence ce qui intéressait le présent que nous partagions. Un travail comparatif, avec les données de première main entre des récits d'époques aussi différentes que ceux dont nous avons consulté les résultats, nous apporterait des conclusions prometteuses.