Centrer l’analyse de l’IDE en technologie sur la théorie de la firme

L’analyse de l’internationalisation des activités d’innovation est récente, dans la mesure où la ‘naissance’ de la firme multinationale dans la théorie économique est elle-même relativement récente.

L’émergence de l’Économie industrielle internationale

L’étude des firmes multinationales relève d’une discipline que l’on peut qualifier d’hybride, à savoir l’Économie industrielle internationale. J. Ravix en propose la définition suivante :

‘Nous regroupons sous les termes d’économie industrielle internationale l’ensemble des travaux qui se proposent, en appliquant au domaine de l’économie internationale les méthodes et les modèles de l’économie industrielle, d’élargir le champ de la théorie du commerce international à des phénomènes relevant traditionnellement de celui de la théorie de l’économie industrielle. (Ravix [1991], p. 222)’

L’application de la démarche de l’Économie industrielle aux relations économiques internationales a ainsi permis de mettre en évidence les raisons conduisant les firmes à investir à l’étranger (Rainelli [1996], p. 5). En effet, comme le rappèle M. Rainelli, les firmes multinationales, en tant que telles, n’ont ‘pas de place’ dans la théorie de l’économie internationale (Rainelli [1996], p. 7). C’est un paradoxe que P. Krugman relève également :

‘Ask a layperson what issues are interesting in international economics, and the answer will almost certainly include the role and effects of multinational enterprise. Yet the multinational firm has never been brought into the core of theoretical thinking in international economics. The theoretical models of trade, factor movements, and protection, which are the essence of standard trade theory, have no role for direct foreign investment. (Krugman [1983], p. 57)’

De son côté, l’Économie industrielle traditionnelle s’est surtout préoccupée des structures de marché domestiques (cf. Bain [1956]). La perspective consistant à importer les développements de l’Économie industrielle dans la théorie du commerce international a progressivement émergé entre la fin des années 1960 et le début des années 1970. Cette préoccupation est ainsi explicitement exprimée par R. Caves en 1974 :

‘Until a few years ago these two branches of economic remained in sanitary isolation from each other […]. Why should research on industrial organization assume that markets always stop at national boundaries? How can international economics continue to ignore all microeconomic market imperfections? (Caves [1974], p. v)’

L’intérêt porté au rapprochement de l’Économie industrielle et de l’Économie internationale annoncé explicitement en ces termes ‑c'est-à-dire, en définitive, la tentative de constitution d’une Économie industrielle internationale‑ remonte donc à cette période (Rainelli [1991], p. 6). Trois célèbres articles, en particulier, contribueront à ce rapprochement, les deux premiers faisant explicitement référence, dans leur titre, à une liaison entre les deux domaines :

  • dans un article intitulé ‘International Corporations : The Industrial Economics of Foreign Investment’, publié en 1971, R. Caves avance que l’investissement direct tend à impliquer un comportement de marché qui étend la reconnaissance de la dépendance de marché, qui constitue ‘l’essence de l’oligopole’, au-delà des frontières nationales (Caves [1971], p. 1) ;
  • le but de l’article de L. White, intitulé ‘Industrial Organization and International Trade : Theoretical Considerations’ et publié en 1974, est de démontrer qu’il existe des raisons théoriques pour inférer une relation allant de la structure du marché domestique aux flux du commerce international (White [1974], p. 1013) ;
  • enfin, R. Vernon, dans son célèbre article publié en 1996 et intituléInternational Investment and International Trade in the Product Cycle’, entend substituer son approche du commerce et de l’investissement internationaux à la doctrine des coûts comparatifs, en faisant référence à la dimension temporelle de l’innovation et aux effets des économies d’échelle (Vernon [1966], p. 190).

Le point commun à l’ensemble de ces contributions réside dans leur référence aux marchés oligopolistiques. En définitive, ce qui est en jeu, dès la fin des années 1960, est un changement de perspective de la théorie des échanges internationaux qui repose sur l’abandon de la référence à l’hypothèse de concurrence pure et parfaite (Rainelli [1991], p. 6).