La firme comme unité d’analyse

Comme le relève M. Fransman, les théories de la firme les plus ‘courantes’ reposent toutes sur une hypothèse commune selon laquelle la firme est conçue comme un dispositif destiné à ‘résoudre des problèmes de type informationnels’ (Fransman [1994], p. 713). Ce qui différencie ces théories, c’est la nature du problème informationnel à résoudre (ibid., pp. 718-24) :

Cet aperçu des théories de la firme est, certes, incomplet. Mais M. Fransman estime qu’il est fortement représentatif de la vision dominante de la théorie de la firme qui repose sur une confusion implicite des catégories d’information et de connaissance :

‘In all the above writings there is implicitly a ‘tight coupling’ between the concepts of ‘information’ and ‘knowledge’. In view of this tight coupling none of the writers has felt it necessary to distinguish clearly between the two concepts. [T]he tight coupling may be expressed in the following way: information is a commodity that is capable of yielding knowledge […]. [T]he line of causation is from information to knowledge. Knowledge is processed information (Fransman [1994], p. 715).’

Les théories de la firme exposées ci-dessous, et qui se sont jusqu’ici imposées, reposent ainsi sur l’hypothèse selon laquelle la firme constitue un ‘processeur d’information’, pour reprendre la terminologie employée par Cohendet & Llerena ([1999], p. 211). En dépit de leur variété, toutes ces approches s’accordent sur une conception contractuelle de la firme : celle-ci est conçue comme un ensemble de contrats qui, dans un univers d’information imparfaite, assurent la gestion des conflits individuels et canalisent les comportements par l’institution de mécanismes d’incitations appropriées (ibid.). Les problèmes informationnels sont consubstantiels à cette conception de la firme, comme l’observent P. Cohendet et P. Llerena :

‘[Q]uel que soit le problème informationnel considéré, le point de départ théorique est bien le même : la raison de l’existence des firmes est la nécessité de corriger les insuffisances du marché lorsque celui-ci n’est pas capable efficacement de ‘processer’ lui-même les informations. La firme est alors conçue comme mécanisme institutionnel permettant de mettre en place les institutions appropriées pour corriger les biais informationnels […]. (Cohendet & Llerena [1999], p. 212)’

Cette vision de la firme repose ainsi sur la conception suivante : la connaissance est un sous-produit de l’information ; elle est de l’information ‘processée’ (Fransman [1994], p. 715). Or, des individus peuvent déduire des connaissances différentes, voire antagonistes, d’un même ensemble d’informations. La connaissance ne peut donc se réduire à une simple dimension informationnelle, mais reflète davantage un processus qu’une donnée :

‘Information […] refers to data regarding states of the world and state-contingent consequences. Information refers inherently to a closed set of data. However, knowledge is essentially open-ended. Knowledge is always in a process of becoming, extending beyond itself. (Fransman [1994], pp. 716-7)’

De façon schématique, on peut ainsi concevoir l’information comme renvoyant à une ensemble de données borné, au sens mathématique du terme. La connaissance, quant à elle, est davantage de nature ‘ouverte’ et processuelle. C’est pourquoi le paradigme concevant la firme comme un ‘processeur d’information’ ne peut rendre compte d’un processus central dans toute firme, à savoir le processus de création de connaissances (Fransman [1994], p. 716). La reconnaissance de la dichotomie entre la manière de concevoir et de traiter l’information et la connaissance induit donc de profonds changements dans l’approche théorique de la firme, comme le relèvent P. Cohendet et P. Llerena : la production, l’échange et l’usage de la connaissance présentent des caractéristiques foncièrement différentes de la production, l’échange et l’usage de l’information (Cohendet & Llerena [1999], p. 215). Cette perspective permet de privilégier les aspects créatifs au détriment des aspects strictement allocatifs, figurant au centre de l’approche assimilant la firme à un ‘processeur d’information’. Elle permet ainsi de concevoir la firme comme un ‘processeur de connaissances’ (ibid., p. 214).

Même si elles ne sont pas strictement opposables  6 , la distinction entre ces deux visions de la firme comme ‘processeur d’informations’ et comme ‘processeur de connaissances’ permet utilement de mettre en exergue deux conceptions de la firme multinationale et, par conséquent, deux conceptions de l’internationalisation de leur activité innovative.

Notes
6.

P. Cohendet et P. Llerena estiment, en effet, que ces deux approches de la firme, au-delà de leurs différences, sont davantage complémentaires que substituables (Cohendet & Llerena [1999], p. 214).